http://www.senat.fr/questions/base/2018/qSEQ181107910.html
Question écrite n° 07910 de M. Yves Daudigny (sénateur de l’Aisne)
Yves Daudigny attire l'attention de M. le Premier ministre sur les enjeux sanitaires de la politique de lutte contre l'antibiorésistance.
La résistance aux antibiotiques est un danger grandissant : elle pourrait être à l'origine de quelque 10 millions de décès par an dans le monde à l'horizon 2050. En France en particulier, on constate une augmentation des infections aux bactéries résistantes : d'après l'assurance maladie, l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et Santé publique France, ces bactéries seraient responsables d'au moins 160 000 infections et 12 500 décès par an.
Les principales causes de l'antibiorésistance sont connues : d'une part, la surconsommation d'antibiotiques, d'autres part, la transmission croisée - interhumaine ou d'animaux à humains - des bactéries résistantes.
Agir contre ces deux problématiques représente donc un enjeu de santé publique majeur, mais aussi un véritable enjeu économique de maîtrise des dépenses de santé. Au-delà d'un coût humain et écologique difficilement quantifiable, l'antibiorésistance entraîne la hausse des dépenses de soins : prolongation des hospitalisations et traitements, prescriptions inutiles ou inadaptées d'antibiotiques...
Au fur et à mesure que le phénomène progresse, ce coût augmente. Il pourrait atteindre un pic de 100 000 milliards dans le monde à l'horizon 2050. En France actuellement, les seules prescriptions superflues d'antibiotiques entraînent des surcoûts s'élevant à plusieurs dizaines de millions d'euros.
Or, des mesures efficaces peuvent être prises rapidement afin de lutter contre le phénomène et pour protéger la santé des Français d'aujourd'hui et de demain. C'est pour répondre à ces objectifs qu'a été créé, lors de la semaine mondiale de la lutte contre l'antibiorésistance qui rassemblait de nombreux experts du monde médical, vétérinaire et environnemental, un « mode d'emploi » permettant à chacun - élu, professionnel de santé, citoyen - d'agir.
Aux vues de ces éléments, il lui demande quelles actions transversales vont être mises en place par le Gouvernement, dans le cadre d'une véritable politique globale de lutte contre l'antibiorésistance. Ces actions, allant de la sensibilisation des Français aux dangers que représente le rejet d'antibiotiques dans la nature aux mesures de « juste prescription », en passant par l'éducation aux mesures d'hygiène visant à réduire la transmission des bactéries résistantes, sont essentielles pour une lutte efficace.
Réponse du Ministère des solidarités et de la santé publiée dans le JO Sénat du 08/08/2019 p. 4243
Depuis le début des années 2000, la France mène une politique de maîtrise de l'antibiorésistance. Plusieurs plans antibiotiques ont été mis en œuvre en santé humaine, animale et dans l'environnement. Ces actions ont été accentuées depuis 2015. Si l'antibiorésistance s'est hissée au rang des priorités parmi les menaces sanitaires au niveau mondial, elle demeure cependant un danger sous-évalué par le grand public et les professionnels eux-mêmes (médecins, professionnels de santé, vétérinaires, éleveurs, agronomes, écologues, évolutionnistes, hydrologues,…).
Le phénomène reste encore peu visible, alors que l'image traditionnelle de « toute puissance » des antibiotiques perdure. En conséquence, les antimicrobiens sont encore insuffisamment perçus comme un bien commun, fragile et menacé, qu'il faut préserver. Pour ces raisons, le premier Comité Interministériel pour la Santé (CIS) a été consacré à la préparation et à l'adoption, en novembre 2016, d'une feuille de route interministérielle visant à maîtriser l'antibiorésistance. Celle-ci se compose de 40 actions réparties en 13 mesures phare, regroupées en 5 axes. Elle a pour objectif de réduire l'antibiorésistance et ses conséquences sanitaires, notamment en diminuant la consommation d'antibiotiques de 25 % d'ici 2020. La feuille de route est interministérielle et aborde des actions aussi bien en santé humaine, en santé animale et en santé des écosystèmes. Elle intègre les plans sectoriels spécifiques à savoir le programme national d'actions de prévention des infections associées aux soins (Propias) et le plan EcoAntibio2 consacré à l'utilisation des antibiotiques dans le secteur vétérinaire, le Plan national santé environnement 3. Son suivi est assuré par un comité interministériel qui se réunit régulièrement.
Concrètement, il s'agit de mettre en œuvre des actions de :
- Sensibilisation et de communication auprès du grand public et des professionnels de santé : lancement d'un programme de sensibilisation à la prévention de l'antibiorésistance. À ce jour une identité visuelle interministérielle a été lancée (″les antibiotiques : ils sont précieux, utilisons-les mieux″) ainsi qu'un premier document socle sur le concept « une seule santé ». Le ministère des solidarités et de la santé a également publié sur ses réseaux sociaux des messages de sensibilisation en novembre et décembre 2018. L'accent est notamment porté sur l'éducation pour la santé des jeunes et l'information des propriétaires d'animaux via par exemple des logiciels éducatifs ;
- Formation des professionnels de santé et incitations au bon usage des antibiotiques en médecine humaine et vétérinaire : amélioration de la formation des professionnels de santé au bon usage des anti-infectieux ; renforcement de l'encadrement de la prescription des antibiotiques lié à l'évolution des logiciels d'aide à la prescription ; amélioration de la pertinence des traitements, notamment grâce à l'usage accru des tests rapides d'orientation diagnostique ; modification des conditionnements de certains antibiotiques afin de mieux les adapter aux durées de traitement ; développement des mesures de prévention, en particulier la vaccination.
- Recherche et d'innovation en matière de maîtrise de l'antibiorésistance : Structuration et coordination des efforts de recherche, de développement et d'innovation sur l'antibiorésistance et ses conséquences ; mise en œuvre d'une politique proactive de partenariats public-privé et d'accompagnement de l'innovation ; Valorisation et préservation les produits contribuant à la maîtrise de l'antibiorésistance. Dans ce cadre, plusieurs projets relatifs à la lutte contre l'antibiorésistance ont été sélectionnés par la BPI France lors du récent concours national à l'innovation. De plus, un programme prioritaire de recherche doté de 40 millions d'euros, dédié à la lutte contre la résistance aux antibiotiques a été annoncé par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en novembre 2018. Les enjeux sont bien de structurer les réseaux de recherche et les observatoires afin de renforcer les efforts et d'assurer la coordination de recherche entre les secteurs de la santé humaine, animale et de l'environnement sous le pilotage d'un conseil stratégique transdisciplinaire.
- Mesure et surveillance de l'antibiorésistance : renforcement de la surveillance de l'antibiorésistance et de la consommation d'antibiotiques ; diffusion plus large et plus accessible des données de surveillance ″one health″ avec une publication annuelle des résultats synthétiques. Développement au niveau européen et national de nouveaux indicateurs (globaux et spécifiques) visant à mesurer l'antibiorésistance et l'exposition aux antibiotiques conjointement chez l'homme, l'animal et dans l'environnement, travail dont une partie est en cours de réalisation au cours de l'action conjointe européenne sur la résistance aux antibiotiques et les infections associées aux soins (EU-JAMRA), lancée en septembre 2017 et que la France coordonne.