Article de M. Christophe Jakubyszyn, lu le 21 août 2008 sur le site du Monde (cliquer ici pour accéder à l’article original)
http://www.lemonde.fr/politique/article/2008/08/19/m-borloo-veut-generaliser-le-bonus-malus-ecologique_1085391_823448.html#xtor=EPR-32280154&ens_id=1085481
Fort du succès du bonus-malus automobile, le ministre de l'écologie, Jean-Louis Borloo, a proposé à Nicolas Sarkozy l'extension de ce mécanisme à une vingtaine de familles de produits. Téléviseurs, ordinateurs, congélateurs, pneus, ampoules électriques feraient partie de la liste des produits concernés, encore tenue secrète par le ministère du développement durable pour éviter que les consommateurs réorientent leurs achats avant la mise en place de la mesure. L'explosion des ventes des 4 × 4 en décembre 2007, avant la mise en place du malus sur ces véhicules polluants, a servi de leçon.
Cette extension du bonus-malus est l'une des principales surprises du projet de loi de finances pour 2009, encore en préparation à Bercy et à l'Elysée. Dans un contexte de restriction budgétaire, cette généralisation du bonus-malus pourrait donner de l'air à un projet de budget qui s'annonce austère. Mais l'enthousiasme de Jean-Louis Borloo se heurte encore au scepticisme, voire à l'opposition du ministère du budget. Victime de son succès, le bonus-malus automobile coûtera cette année environ 140 millions d'euros au budget de l'Etat : les consommateurs ont rapidement modifié leurs achats et déjoué les calculs de Bercy qui avait calibré les primes et les taxes de manière à ce que la mesure soit neutre fiscalement.
Les Français ont plébiscité le bonus-malus automobile, entraînant une progression de 45 % des ventes de véhicules consommant moins de 130 grammes de CO2 par kilomètre (le bonus versé par l'Etat peut aller jusqu'à 5 000 euros à l'achat du véhicule, le malus prélevé par l'Etat jusqu'à 2 600 euros). En huit mois, ce mécanisme a dépassé tous les pronostics : "On a abaissé de 8 grammes de CO2 la consommation automobile des nouveaux véhicules achetés, soit une réduction de 9 % de la consommation de carbone, mieux que l'objectif européen sur 2012-2020 !", calcule Jean-Louis Borloo. "Nous sommes en train d'inventer un nouveau modèle économique où le prix du marché ne rémunère plus seulement le capital ou le travail, mais aussi le capital nature", s'enthousiasme le ministre de l'écologie.
Pressé par le premier ministre de ne pas dévier de l'objectif de réduction des déficits, Eric Woerth, ministre du budget, voit lui d'un très mauvais oeil la multiplication de dispositifs dont le coût est incertain. Le ministre du budget n'est pas prêt à multiplier par 20 (le nombre de secteurs concernés) l'inconnue fiscale en 2009. Il affirme vouloir "mettre un coup d'arrêt aux politiques débridées de bonus-malus".
Il suggère d'en modifier le mécanisme : "Puisqu'on parle de fiscalité incitative et que le contexte n'est pas à de nouveaux cadeaux fiscaux, il faut plutôt réfléchir à des systèmes de "malus-malus" où la taxation serait d'autant plus élevée que le produit consommé serait polluant".
Nathalie Kosciusko-Morizet, la secrétaire d'Etat à l'écologie, a tenté de convaincre son collègue de Bercy : ancienne spécialiste de la fiscalité environnementale à Bercy, elle défendait alors, pour le compte du ministère, cette théorie de l'élasticité prix. Mais l'expérience du bonus automobile a contredit la théorie : les calculs du ministère de l'économie tablaient sur un déplacement du marché compris entre 6 et 7 %. "Or nous avons déplacé 50 % du marché", explique-t-elle. "D'autres phénomènes sont entrés en ligne de compte : la conscience environnementale des citoyens, l'envie d'avoir un comportement responsable à partir du moment où le gouvernement donnait un coup de pouce", analyse Nathalie Kosciusko-Morizet. Bref, Jean-Louis Borloo et elle ont inventé "un nouvel outil qui envoie des signaux hyperpuissants au consommateur et qui est neutre pour l'Etat : en bref, l'instrument budgétaire rêvé", déclare-t-elle.
La prime automobile va faire l'objet d'un réglage fin pour atteindre l'équilibre (avec notamment une baisse du seuil de pollution de 5 grammes tous les deux ans). Et tant pis, si à court terme il y a des écarts par rapport aux prévisions : "Moi, avec 100 millions d'euros, je sauve la planète !" s'agace Jean-Louis Borloo qui oppose à ce chiffre "les 77 milliards d'euros de niche fiscale".
Nicolas Sarkozy doit encore donner son feu vert, à son retour de vacances, à la liste des 20 secteurs de produits de grande consommation susceptibles d'être concernés dès 2009. Les deux ministres ont veillé à identifier des critères de mesure de la pollution (à la consommation mais aussi à la production du bien) le moins contestables possible afin d'éviter d'être accusés, devant l'Organisation mondiale du commerce, par exemple, de créer un avantage compétitif pour certains industriels.
Pour créer l'effet de surprise auprès des consommateurs, l'idée est d'introduire progressivement, dans le débat budgétaire, les nouveaux secteurs concernés : sous forme d'amendements, ou même par voie d'ordonnances.
Nicolas Sarkozy pourrait d'ailleurs s'inspirer d'autres mesures du Grenelle de l'environnement pour réorienter la consommation des ménages et, pourquoi pas, relancer la machine économique. Les experts du ministère du développement durable estiment à 450 milliards d'euros l'impact des mesures du Grenelle de l'environnement sur l'activité économique d'ici à 2020. Le ministre du développement durable a, à cette fin, préparé une seconde loi Grenelle baptisée "loi d'accompagnement de la mutation environnementale de la société française". Encore à l'arbitrage du président, elle pourrait être discutée par le Parlement avant la fin de cette année.