Article de Mme Laetitia Clavreul, lu le 21 août 2008 sur le site du Monde (cliquer ici pour accéder au texte original)
http://www.lemonde.fr/economie/article/2008/08/20/le-prix-des-fruits-et-legumes-ne-satisfait-personne_1085818_3234.html#xtor=EPR-32280155&ens_id=628859
Semaine animée pour les fruits et légumes, et qui ne fera certainement qu'amplifier le casse-tête que constitue le débat sur leurs prix. Jeudi 21 août, le syndicat paysan Modef et le Parti communiste organisent, comme tous les étés depuis quatre ans, une grande vente directe (60 tonnes) de produits à prix coûtant, à Paris et en banlieue, avec Marie-George Buffet en invitée vedette. L'objectif est de dénoncer les marges de la grande distribution. "Les prix sont élevés à la consommation, bas à la production, et la moitié des producteurs ont disparu en trente ans", s'enflamme Raymond Girardi, le secrétaire général du Modef.
Puis vendredi et samedi, les Français découvriront des opérations de promotion devant et dans les magasins, organisées main dans la main par les producteurs - du syndicat agricole FNSEA cette fois - et les distributeurs. Pour ce faire, ils ont reçu l'aval du gouvernement, qui a autorisé ces opérations spéciales car les prix des légumes d'été, courgettes, tomates et melons principalement, sont... anormalement bas, et qu'il faut liquider ces stocks périssables !
Alors même que l'offre était importante et les prix modérés, les consommateurs ont boudé ces produits, ce qui a fait chuter les prix. Une situation qualifiée de crise par le ministère de l'agriculture. Pour ajouter à la confusion, les prix des fruits à noyaux (prunes et abricots), eux, sont plus élevés que la moyenne, car la récolte est faible, à cause d'un gel tardif au printemps.
Difficile pour un non-spécialiste de se forger un avis sur la réalité des prix. D'autant que les chiffres publiés par ceux qui s'évertuent à prouver que les prix sont hauts, et ceux qui tempêtent qu'ils sont bas, divergent. Dernier épisode en date, une étude réalisée par l'association Familles rurales et publiée mardi 19 août par La Croix. Elle démontre que le coût pour un couple avec deux enfants de plus de 10 ans respectant les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé, soit 400 grammes de fruits et légumes par jour, s'élève cet été à 131 euros, soit 12,6 % du smic. Interfel, qui représente la filière du producteur au distributeur, lui a répondu dans un communiqué reprochant à Familles rurales des calculs peu représentatifs. Selon elle, le budget mensuel, sur l'année, s'élèverait à 72 euros.
Cher, pas cher ? Chaque camp tranche différemment. "Certains produits sont vendus à des prix compétitifs, après, tout est question de choix personnel", explique Jérôme Bédier, le président de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). Pour le prouver, celle-ci a mis en place un indicateur, appelé "5-1-2", pour "5 produits pour plus de 1 kilo et moins de 2 euros", soit une consommation quotidienne pour deux personnes, et démontre, exemple à l'appui, que c'est possible.
Angélique Delahaye, présidente de la Fédération nationale des producteurs de légumes, une branche de la FNSEA, ajoute un dernier argument : "En moyenne, les fruits et légumes, au kilo, coûtent de 2 à 3 euros. Si on compare au reste de la gamme alimentaire, ils font partie des produits les moins chers."
Mais dans un contexte d'inflation des prix alimentaires sur l'année, le sujet déjà sensible est devenu explosif. Selon TNS Worldpanel, le prix au kilo moyen s'est élevé à 1,98 euro en 2007, contre 1,92 en moyenne entre 2002 et 2006. D'après les relevés de l'Insee, entre juillet 2007 et juillet 2008, les fruits ont augmenté de 20 %, aléas climatiques obligent, les légumes n'ont gagné que 1 %.
Observer les indices de prix à la consommation de l'Insee permet surtout de comprendre que les prix varient énormément d'un mois sur l'autre, contrairement au reste des dépenses alimentaires, et qu'avoir des repères n'est pas aisé. Car c'est bien là la particularité du prix des fruits et légumes, être très fortement dépendant de l'offre et de la demande. Ces deux données sont elles-mêmes liées à la météo, qui influe aussi bien sur le volume de production que sur les envies de consommation, souvent décalés de surcroît.
Après des années d'antagonisme entre producteurs et distributeurs, les professionnels délivrent désormais le même message : il est possible d'acheter des produits bon marché, chaque semaine, en suivant l'offre et les saisons. Même si les producteurs, comme aujourd'hui ceux de melons, se demandent encore pourquoi une pièce vendue par eux 75 centimes peut se retrouver sur les étals à plus de 2 euros. "N'oublions pas les frais de conservation ou le transport. Faisons comprendre que le prix moyen au kilo n'est pas scandaleux, et arrangeons-nous pour que dans la filière, chacun gagne sa croûte", propose Mme Delahaye.
Même si le Modef critique l'opération, le reste des acteurs veut jouer le jeu, en cas de crise sur certains produits, des ventes au déballage. Elles se tiendront les 22 et 23 puis les 29 et 30 août, en enfin les 8 et 9 septembre. Un outil utilisé une première fois en 2007 pour les pêches et les nectarines, et qui pourrait se généraliser grâce à une simplification de la procédure administrative. Il faut pour l'instant un accord du ministère de l'agriculture et de Bercy pour autoriser ces opérations d'urgence.
L'avantage est que tout le monde peut s'y retrouver : le gouvernement, car les Français, inquiets de leur pouvoir d'achat, peuvent acheter des produits bon marché ; les consommateurs, pour la même raison ; les producteurs, qui vendront un produit qui avait du mal à trouver preneur et espèrent que l'opération permette un redressement des prix, une fois les surplus écoulés. Enfin, la distribution peut y trouver son compte, car les promotions attirent les clients dans les rayons.