Article de Mme Sandrine Blanchard, lu le 14 octobre 2008 sur le site du Monde (cliquer ici pour accéder au site du Monde)
http://www.lemonde.fr/aujourd-hui/article/2008/10/14/cosmetiques-bebes-sous-surveillance_1106713_3238.html#xtor=EPR-32280155&ens_id=628859
Notre environnement serait-il de plus en plus délétère dès la naissance ? "Le cancer en couche-culotte", "Contaminés dès le biberon", des titres chocs ont relayé, mi-septembre, l'alerte lancée par le Comité pour le développement durable en santé (C2ds) qui dénonce un "cocktail toxique" après avoir analysé la composition des cosmétiques pour bébés.
Cosignées par des chercheurs et des médecins, parmi lesquels André Cicolella, toxicologue, Dominique Belpomme, cancérologue, le professeur Charles Sultan, pédiatre et endocrinologue, les conclusions de l'étude menée par cette association apparaissent anxiogènes pour les mères qui utilisent quotidiennement ces lingettes si pratiques pour nettoyer les fesses de leur bébé et qui les lavent de la tête au pied avec des "fluides nettoyant" ou autres "gels doux corps et cheveux".
Depuis quelques années, les rayons des cosmétiques pour bébés n'ont plus grand-chose à envier à ceux des adultes. Crèmes pour le corps ou le visage, gels lavant, shampooing "relaxant", pommades pour le change, "eaux de senteur", lingettes "sensitive", "soft and care"... tous ces produits affichent de multiples promesses : "protège la peau des bébés", "testé cliniquement", "formulé sous contrôle médical"... Il faut quasiment une loupe pour lire la liste des ingrédients utilisés et, lorsqu'on y parvient, il faut être chimiste pour décrypter des mots tels que phénoxyéthanol, méthylparaben, propylparaben, butylparaben, isobutylparaben, EDTA, etc., dont la présence permet la conservation, la stabilisation et l'absorption du produit. "Bon nombre des substances chimiques utilisées sont des perturbateurs endocriniens", explique M. Cicolella, susceptibles, à terme, "de contribuer à des problèmes de stérilité, de malformation congénitale, de maladies du système nerveux, voire de cancers". Bien que ces différentes substances aient fait l'objet d'évaluations, bien que les doses utilisées soient très faibles, les chercheurs dénoncent la non-prise en compte des effets combinés, c'est-à-dire des coexpositions. "Dans le cas de ces cosmétiques, ce n'est plus la dose qui fait le poison mais la répétition et la durée d'exposition", estime M. Delpomme.
"SECRET DE FABRICATION"
La réaction des industriels ne s'est pas fait attendre. "Nous n'utilisons que des ingrédients autorisés et dans des conditions d'utilisation fixées par les autorités françaises et européennes." Dont acte. "A l'exception des mélanges, les substances sont bien évaluées et les doses utilisées ont un facteur de précaution très important", estime Fabrice Nesslany, toxicologue à l'Institut Pasteur de Lille. De son côté, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), chargée de faire respecter la réglementation, n'a réagi que le 7 octobre à l'alerte lancée par le C2ds en promettant "de renforcer le contrôle du marché des produits cosmétiques destinés aux moins de 3 ans". Jean Marimbert, directeur général de l'Afssaps, reconnaît que "la question des mélanges est une nouvelle approche probablement intéressante. Il faut que l'on traite le sujet".
Contrairement aux médicaments, les cosmétiques ne sont pas soumis à une autorisation de mise sur le marché. Leur commercialisation s'effectue sous la responsabilité du fabricant. Ce dernier a l'obligation de constituer un "dossier technique". Mais l'accessibilité aux données n'est pas totalement transparente. A cause du "secret de fabrication", "nous n'avons pas accès aux formules intégrales et notamment aux niveaux de concentration", explique Catherine Desmars, directrice de l'évaluation des produits cosmétiques à l'Afssaps. "Nous ne pouvons pas suspendre un produit en l'absence de tout signal délétère", explique-t-elle. Ainsi, c'est à la suite de plusieurs cas d'effets indésirables graves (convulsions, absences...), que l'Afssaps a interdit, en août, l'introduction du camphre, de l'eucalyptol et du menthol dans les produits cosmétiques destinés aux moins de 3 ans. La problématique soulevée par le C2ds est tout autre puisqu'elle pose la question d'éventuelles conséquences sur le long terme. Ce serait l'accumulation des substances chimiques dans l'organisme qui entraînerait une toxicité sournoise. "Il n'est pas acceptable d'attendre trente ou quarante ans pour s'apercevoir que les substances chimiques ont des répercussions sur la santé humaine, mais agir au nom du principe de précaution", réclame M. Cicolella.
Actuellement, l'exposition à un ingrédient acceptée pour l'homme est cent fois inférieure à la plus forte dose considérée comme sans effet chez l'animal. Professeur de toxicologie au laboratoire de physico-toxicochimie (CNRS-Bordeaux-I), Jean-François Narbonne regrette que les agences sanitaires se basent toujours sur des doses journalières admissibles (DJA) "anciennes". "Le développement des outils de biologie moléculaire fait apparaître des dangers que l'on ne voyait pas avant ; il faut revoir les critères d'évaluation des risques et s'appuyer sur des tests de toxicologie modernes", insiste-t-il. "Je suis davantage préoccupé par le problème de la multiexposition", confie M. Marimbert. "Certaines substances utilisées dans les cosmétiques peuvent aussi être présentes dans notre environnement."