http://www.senat.fr/basile/visio.do?id=qSEQ13090565S.html
Question orale sans débat n° 0565S de M. Jacques Mézard (sénateur RDSE du Cantal)
Ma question a trait à l'utilisation dans le domaine de l'énergie de l'hydrogène, qu'on trouve à l'état naturel en quantité considérable.
L'hydrogène a longtemps été considéré comme un vecteur d'énergie en raison d'une production coûteuse et nécessitant le recours à des énergies fossiles ; mais on sait aujourd'hui qu'il peut devenir une véritable source d'énergie. Aussi bien, pourquoi ne lui accorde-t-on pas en France un plus grand intérêt dans le cadre de la transition énergétique ? Les déclarations idéologiques, c'est très bien, mais cela ne fait pas avancer les choses !
L'hydrogène est une énergie renouvelable, et sa combustion ne produit pas de gaz à effet de serre. En tant que vecteur d'énergie, il constitue un moyen de transport et de stockage à haute pression. Ces propriétés sont intéressantes à la fois pour contenir le changement climatique et pour pallier l'intermittence des énergies renouvelables.
Les utilisations de l'hydrogène sont nombreuses et offrent des possibilités de substitution au pétrole et au gaz naturel, qui représentent respectivement 43 % et 20 % de notre consommation finale d'énergie.
Contrairement à leurs concurrents français, les constructeurs automobiles étrangers comme Nissan, Ford, Toyota ou Hyundai prévoient la commercialisation de voitures à piles à hydrogène d'ici à 2015 ou 2016. Ils ont d'autant plus raison que, aujourd'hui déjà, il est possible de parcourir 500 kilomètres avec un plein d'hydrogène fait en trois minutes ! Nos voisins allemands, pour leur part, ont élaboré une véritable stratégie en matière d'hydrogène : 400 points de distribution seront disponibles en 2023.
En 2011, la première centrale hybride associant l'énergie éolienne, la biomasse et l'hydrogène est entrée en service ; en l'absence de vent, l'hydrogène combiné au biogaz dans une centrale thermique produit de l'électricité et de la chaleur.
En matière d'hydrogène, la France accuse un retard évident et elle n'a aucune stratégie, ce qui est d'autant plus incompréhensible que nous disposons du savoir-faire nécessaire, notamment au sein du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.
Dans une étude de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, notre collègue Jean-Marc Pastor et le député Laurent Kalinowski, rapporteurs, critiquent l'absence de stratégie nationale, l'« attentisme » des pouvoirs publics et une réglementation qui décourage tout projet d'application en la matière - en somme, les mêmes obstacles qui entravent toute innovation en matière énergétique, et qui nous semblent bien plus politiques que technologiques.
Madame la ministre, le Gouvernement réfléchit-il à une stratégie permettant d'exploiter sans tarder l'hydrogène comme ressource énergétique ? Allons-nous enfin faire le choix de l'innovation en permettant à la recherche d'avancer dans ce domaine ? Ou bien, comme pour le gaz de schiste, serons-nous tentés de laisser l'obscurantisme prendre le pas sur le progrès ? Je crois que ce serait un très mauvais choix pour l'avenir du pays !
Réponse du Ministère chargé de la décentralisation publiée dans le JO Sénat du 08/01/2014 p. 13
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur Mézard, j'aurais été plus habile pour vous apporter une réponse dans le domaine, par exemple, de la peinture de la Renaissance italienne. De fait, celui sur lequel je suis chargée de vous répondre n'appartient pas à mon domaine de prédilection ! Heureusement, M. Philippe Martin, qui est actuellement retenu par la gestion de crise consécutive aux tempêtes et aux inondations très graves que nous avons connues, m'a confié une réponse très précise et extrêmement développée, en prévision de la qualité de la question qui allait être posée.
Les applications énergétiques potentielles de l'hydrogène sont nombreuses, en particulier dans l'industrie : ainsi, l'hydrogène peut servir à alimenter ou à recharger un appareil mobile, à alimenter en électricité un site isolé, à propulser un véhicule ou un bateau électrique, à stocker de l'électricité intermittente, à augmenter la production de biocarburants ou à réduire le contenu carbone du gaz naturel des réseaux - encore ne sont-ce là que des exemples.
Les services du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, notamment la direction générale de la prévention des risques, pilotent un groupe de travail ayant pour mission d'encadrer et d'accompagner les nouvelles filières de l'hydrogène-énergie. Ce groupe de travail se penche tout particulièrement sur les flottes de chariots élévateurs dans les entrepôts, qui constituent un domaine d'expérimentation nouveau et important.
En 2011 déjà, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, avait lancé un appel à manifestation d'intérêt sur l'hydrogène et sur les piles à combustible dans le cadre du programme des investissements d'avenir. Le projet de gestion des réseaux par l'injection d'hydrogène, le GRHYD, en est issu ; coordonné par GDF SUEZ, il est une première illustration du rôle transverse du vecteur hydrogène entre les réseaux électriques et gaziers, appelé power-to-gas.
Ce programme, très ambitieux, vise à valoriser l'électricité verte en produisant, d'une part, de l'hydrogène injectable jusqu'à 20 % en volume dans du gaz naturel à usage résidentiel et, d'autre part, de l'hytane, un carburant composé de gaz naturel et d'hydrogène, jusqu'à 20 % en volume pour une flotte de bus.
D'autres projets de démonstration, comme la plate-forme Mission hydrogène renouvelable pour l'intégration au réseau électrique, dite « MYRTE », en Corse, valident la pertinence technico-économique de l'hydrogène comme vecteur de stockage d'énergie.
Pour consolider l'élan de la filière, un nouvel appel à manifestation d'intérêt sur le stockage de l'énergie et la conversion de l'électricité, contenant un volet sur les usages de l'hydrogène, a été lancé au mois de décembre dernier.
Tout cela va permettre de préparer le déploiement de véhicules électriques à hydrogène, sous le pilotage de l'association française de la filière, de façon à arriver à la mise en place d'une infrastructure privée et publique d'hydrogène sur la période 2015-2030.
Vous le constatez, monsieur le sénateur, toutes les mesures mises en œuvre par le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie contribuent à l'élaboration d'une véritable stratégie française en matière de stockage de l'énergie et de l'hydrogène ; nous sommes du côté non pas de l'obscurantisme, mais bien du progrès.
M. Jacques Mézard. Madame la ministre, comme toujours, vous nous avez apporté une réponse de qualité, ce dont je vous remercie. Cependant, vous avez dressé un constat : la politique suivie par la France en matière d'hydrogène relève plus du bricolage que de la grande série !
Certes, vous avez établi la liste de toutes les utilisations possibles de l'hydrogène. Vous nous avez annoncé la mise en place d'un groupe de travail sur les nouvelles filières de l'hydrogène-énergie.
S'il est bien de savoir que dans les prochaines années des chariots élévateurs utiliseront l'hydrogène, permettez-moi toutefois de constater que dans le secteur de l'automobile, les efforts déployés sont insuffisants. Certes, et c'est une bonne chose, le choix de l'électrique a été opéré, mais, malheureusement, dans le domaine des piles à énergie, nous avons pris un retard dramatique pour l'avenir de l'industrie française, dont nous paierons, un jour, le prix.
Nos chercheurs ont beaucoup de talent, d'idées et de savoir-faire, mais leur action est limitée par le débat idéologique sur la transition énergétique. À force d'être à l'écoute de ceux qui ont une vision complètement éthérée des réalités énergétiques et techniques, nous prenons un retard considérable alors que, nous le savons, aujourd'hui, des pistes méritent de gros investissements, un véritable programme et une planification sur les années qui viennent.
Par conséquent, je souhaite vivement que le Gouvernement sorte de ce débat idéologique et revienne au concret que nous attendons