http://www.senat.fr/questions/base/2014/qSEQ14050342G.html
Question d'actualité au gouvernement n° 0342G de M. Antoine Lefèvre (sénateur de l’Aisne)
M. Antoine Lefèvre. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, les jours se suivent sans que nous parvenions à vous suivre… Pas une semaine ne se passe sans qu'il ne soit question de réforme territoriale, sans qu'une annonce n'en annule une autre. Actuellement, nous atteignons le summum. Le 27 novembre 2012, on nous annonce le report à l'année 2015 d'élections territoriales normalement prévues en 2014. Le Président de la République nous dit ensuite que ces scrutins sont repoussés à 2016, mais en fait on ne sait pas vraiment, car ils se tiendront peut-être fin 2015… On parle de réduire le nombre des régions d'ici à 2017, mais cela se fera peut-être, finalement, d'ici à la fin de cette année, car, soudain, il faut accélérer le rythme… Dans tous les cas, les départements seraient dissous à l'horizon 2021, mais peut-être disparaîtront-ils dès 2016… Bref, tout cela est bien compliqué !
Pourtant, le Président de la République n'avait-il pas affirmé en janvier, dans sa bonne ville de Tulle, que «les départements gardent leur utilité pour assurer la cohésion sociale, la solidarité territoriale » ?
Il avait ajouté – écoutez bien ! – qu'il n'était donc « pas favorable à leur suppression pure et simple car des territoires ruraux perdraient en qualité de vie sans d'ailleurs générer d'économies supplémentaires ». Triple salto arrière pour masquer, encore et toujours, un énième revirement, un énième reniement !
Le Président de la République consulte depuis hier tous les partis politiques. En effet, comment espérer faire adopter cette réforme ? En organisant un référendum ? Vous redoutez cette solution. En modifiant la Constitution ? Mais avec quelle majorité ? La présentation du projet de loi, initialement prévue pour le conseil des ministres d'hier, a été reportée au 21 mai, puis au 28 mai, peut-être même interviendra-t-elle en juin… Vous nous demandez donc de nous positionner alors même qu'aucun contenu ne nous est présenté. Quel cynisme assumé !
Je rappelle que la précédente majorité avait enclenché la fusion des départements et des régions avec la mise en place du conseiller territorial. Vous avez abrogé cette réforme, mais, finalement, il semblerait que vous pensiez maintenant que la création du conseiller territorial était plutôt une bonne idée ! Pour éviter que les départements et les régions ne se concurrencent en permanence, leur clause de compétence générale avait été supprimée ; vous l'avez réintroduite ! Vous aviez pourtant là des gisements d'économies. Que de temps perdu ! Pourquoi n'avoir pas considéré de plus près le conseiller territorial avant de le lyncher ? Il serait aujourd'hui élu, le millefeuille territorial, dont tout le monde se plaint, serait déjà en partie réduit et les économies seraient engagées.
Parce que vous redoutez les scrutins à venir, vous voulez tout chambouler dans la précipitation et sans concertation. Vous mettez à mal notre organisation territoriale sans proposer d'alternative crédible. Nous contestons la méthode, et attendons du contenu. Ma question est simple : où allez-vous, où allons-nous ?
Réponse du Ministère de l'intérieur publiée dans le JO Sénat du 16/05/2014 p. 4033
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui me permettra d'apporter au Sénat un certain nombre d'éléments de réponse précis sur la réforme territoriale, ainsi que sur celle de l'État.
Vous conviendrez d'abord que, dans cette assemblée qui a une grande tradition de sagesse, il n'est pas nécessaire de créer des polémiques sur des sujets comme l'avenir des territoires, l'avenir de notre pays ou le renforcement de l'efficacité de la puissance publique, en prêtant à ceux qui sont en situation de responsabilité des pensées qu'ils n'ont pas. Si chaque modification des modes ou des dates de scrutins cache des intentions politiques pernicieuses, combien n'en avez-vous pas eues au cours des dernières décennies ?
En 1994, vous avez décidé d'allonger d'un an la durée du mandat des conseillers généraux deux mois avant les élections cantonales. En 2005, vous avez décidé de modifier la durée des mandats des conseillers municipaux, des conseillers généraux et des sénateurs, sans qu'à aucun moment des interrogations déontologiques vous aient traversé l'esprit, et sans d'ailleurs que nous vous ayons pour autant prêté de mauvaises intentions a priori.
Il ne faut pas imputer les objectifs politiques que vous avez parfois eus à ceux qui n'ont d'autre motivation que de transformer et de moderniser profondément notre pays.
Concernant la réforme elle-même, de quoi s'agit-il ? Il s'agit de faire en sorte que les collectivités territoriales soient moins nombreuses, moins pauvres, dotées de davantage de capacités d'intervention et d'investissement pour moderniser notre pays, tout en accroissant la visibilité de leur action pour les Français. Il s'agit en somme de renforcer l'efficacité de nos collectivités territoriales.
Puisque vous voulez de la clarté, monsieur le sénateur, permettez-moi de vous rappeler les objectifs de la réforme territoriale.
Premièrement, nous voulons des régions moins nombreuses, mais de dimension européenne, plus performantes en matière de transfert de technologies, d'accompagnement de grandes filières d'excellence, de relations entre l'entreprise et le monde de l'université, d'investissement dans les grandes infrastructures ou encore d'équipement numérique du territoire. Voilà ce que nous voulons faire !
Deuxièmement, nous voulons des intercommunalités plus fortes, de manière que nous puissions nous appuyer, notamment dans les territoires ruraux, sur des ensembles territoriaux qui affirment davantage leur vocation à la solidarité et à la proximité.
Troisièmement, nous voulons, en point d'orgue, achever la réforme par la suppression des conseils départementaux. Vous voyez là une contradiction, mais il n'y en a aucune : la contradiction est de votre côté, monsieur le sénateur Lefèvre, comme en atteste ce numéro de janvier du Figaro Magazine dans lequel M. Copé proposait la suppression des départements, à laquelle vous semblez aujourd'hui opposé !
Ce que nous proposons de mettre en œuvre, c'est une réforme territoriale qui permette, dans la clarté, davantage d'efficacité.
Enfin, nous voulons faire en sorte que la réforme s'opère dans le compromis et le dialogue. Lorsque l'avenir du pays est en question, il n'est pas souhaitable de susciter des polémiques sur tous les sujets. C'est la raison pour laquelle le Président de la République consulte, écoute. Au terme de ce processus, les meilleures décisions seront prises, qui permettront de faire la meilleure réforme possible.