Chronique de M. David Spector lu le 15 février 2008 sur le site de La Tribune
L'impact néfaste des réglementations malthusiennes sur l'emploi et la qualité de vie est une évidence. Mais David Spector, professeur associé à l'Ecole d'économie de Paris, regrette que Nicolas Sarkozy se soit privé de marges de manoeuvre à cause du paquet fiscal de l'été dernier.
La réforme de l'absurde numerus clausus des taxis et plus généralement la libéralisation des professions réglementées sont devenues les mesures emblématiques du rapport Attali. Sur ce point, il reprend le diagnostic des rapports Armand-Rueff (1960), Cahuc-Kramarz (commandé par Nicolas Sarkozy en 2004), Camdessus (2005), et de bien d'autres. On aurait tort de se gausser de cette insistance, car l'impact néfaste des réglementations malthusiennes sur l'emploi et la qualité de vie a été mis en évidence par plusieurs études rigoureuses.
Pourtant, on peut regretter que le rapport Attali ne soit pas allé au-delà de cette répétition. Car si plus grand monde ne conteste sérieusement le principe d'une suppression des privilèges corporatistes qui étouffent l'activité, la grande question porte sur les modalités susceptibles de la rendre politiquement réalisable. Du renvoi de Turgot en 1776 sous la pression des corporations qu'il avait tenté d'abolir, jusqu'à la paralysie de la présidence Chirac après l'échec de la réforme des régimes spéciaux en 1995, les exemples qui témoignent du caractère politiquement explosif de ce type de mesure ne manquent pas.
La solution la plus évidente pour abolir les privilèges sans épreuve de force consiste à les racheter. Ce thème est totalement absent du rapport Attali. Afin de proclamer que les mesures proposées ne coûtent rien, il évacue la question de l'indemnisation des personnes qui pourraient s'estimer spoliées par certaines d'entre elles.
Il en va de même pour une autre proposition, le basculement d'une partie des charges sociales vers la CSG. Cette mesure irait dans le sens de la nécessaire fusion de notre système de prélèvements fiscaux et sociaux, mais elle se ferait au détriment des retraités. Leur consentement est-il présumé acquis d'office? La discrétion du rapport Attali sur ce point s'explique peut-être par le fait qu'un examen trop poussé aurait mis en lumière la faute originelle de la présidence Sarkozy : le paquet fiscal de l'été dernier.
Plusieurs réformes utiles ont été accomplies ces derniers mois, comme l'assouplissement des règles de cumul emploi-retraite, l'accord sur le contrat de travail qui permet d'avancer vers la "flexisécurité", et la réforme des régimes spéciaux de retraite. Mais d'autres réformes souhaitables, dont plusieurs sont proposées dans le rapport Attali, heurteraient de plein fouet certains intérêts catégoriels.
Or, le paquet fiscal de 15 milliards d'euros par an a vidé les caisses de l'Etat pour une efficacité économique à peu près nulle, car ce n'est pas en subventionnant l'héritage, la pierre et les heures supplémentaires fictives que l'on peut relancer la croissance.
Les sommes gaspillées au titre du paquet fiscal auraient pu financer la suppression de trois points de cotisations sociales sans augmenter la CSG, ce qui aurait atténué les prélèvements sur les salariés et les entreprises sans léser les retraités. Nicolas Sarkozy ayant écarté la voie thatchérienne d'une réforme brutale, il aurait pu se donner comme objectif une libéralisation économique tempérée, adoucie par des transferts compensateurs. Avec le paquet fiscal, il s'est privé des moyens d'une telle politique.
Au-delà du paquet fiscal, une réflexion plus générale s'impose sans doute sur les instruments permettant à la puissance publique de venir en aide aux personnes pour atténuer les effets d'une réforme ou d'une restructuration, ou simplement pour rationaliser le système fiscal. Paradoxalement, il est aujourd'hui plus facile pour l'Etat ou pour une région d'aider une entreprise en difficulté que des salariés en difficulté.
Le contrôle communautaire interdit, sauf exception, l'octroi d'aides aux grandes entreprises - c'est ainsi que la promesse de cofinancer les investissements de Mittal à Gandrange paraît peu crédible - mais les aides aux petites entreprises, limitées à quelques dizaines de milliers d'euros, passent sous l'écran radar de la Commission européenne.
Au contraire, le principe d'égalité rend juridiquement difficile l'octroi de secours ponctuels aux individus victimes de restructurations. Cette asymétrie est source d'inefficacité, car il serait souvent préférable de laisser disparaître des activités sans avenir tout en aidant les personnes. Le principe d'égalité est parfois poussé jusqu'à l'absurde, comme lorsque le Conseil constitutionnel l'a invoqué en 2001 pour censurer la franchise de CSG proposée par le gouvernement Jospin, obligeant ce dernier à créer à la place la prime pour l'emploi, mécanisme moins efficace et plus complexe.
Comment rendre notre système de prélèvements et d'aides plus simple, plus efficace mais aussi plus flexible ? Cette question, absente du rapport Attali, mérite bien une nouvelle commission...