Article de Mme Anne Chemin, lu le 2 septembre 2008 sur le site du Monde (cliquer ici pour accéder au site du Monde)
http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/09/02/la-colere-associative-monte-contre-edvige-le-fichier-policier-de-donnees-personnelles_1090552_3224.html#xtor=EPR-32280154&ens_id=1090646
Il porte un joli nom, mais il fédère la colère d'une myriade d'associations et de citoyens : le fichier Edvige - Exploitation documentaire et valorisation de l'information générale - est visé par plusieurs recours en Conseil d'Etat et dénoncé par une pétition qui réunit, à ce jour, 700 organisations et plus de 90 000 signatures. "Non à Edvige !", proclame ce texte, qui estime que ce fichier instaure un "niveau de surveillance des citoyens totalement disproportionné et incompatible avec une conception digne de ce nom de l'Etat de droit".
Le front du refus regroupe des mouvements de défense des libertés publiques comme la Ligue des droits de l'homme, des syndicats comme la CFDT, mais aussi des associations aussi différentes qu'Aides, la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) ou l'Union nationale des associations familiales (UNAF). "Ce fichage met en cause toutes les personnes qui sont investies pour défendre des idées, des droits, des personnes", affirme l'Association des paralysés de France. "Comment continuer à défendre des locataires menacés d'expulsion en s'opposant à la force publique, à manifester pour le droit au logement, alors que planera sur les militants la menace d'un fichage systématique ?", demande la Confédération nationale du logement.
Créé par un décret du 27 juin, Edvige est né du démantèlement, au début de l'été, des Renseignements généraux. Constitué de données informatiques et d'archives papier, ce fichier géré par la direction centrale de la sécurité publique ratisse large : il concerne à la fois les personnes "ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif" et les individus ou les organisations "susceptibles de porter atteinte à l'ordre public".
FICHÉS DÈS 13 ANS
Le spectre est si large qu'il indigne les associations. "Edvige représente une atteinte sans précédent aux libertés individuelles, s'insurge le vice-président du Syndicat des avocats de France, Jean-Louis Borie. Demain, le président d'un club de pétanque pourra être fiché sous prétexte qu'il joue un rôle social dans sa ville ! Je vois mal l'intérêt de telles données pour le gouvernement." Les mineurs pourront en outre être fichés dès 13 ans. "C'est extrêmement choquant, estime Jean-Claude Vitran, de la Ligue des droits de l'homme. Il suffira qu'ils aient fréquenté un copain dans une bande pour figurer sur Edvige, même s'ils n'ont pas commis d'infraction, même s'ils n'ont pas été condamnés par la justice."
Le nouveau fichier, qui pourra être consulté par les fonctionnaires chargés du renseignement et les policiers ou gendarmes qui auront obtenu le feu vert de leur hiérarchie, contiendra des données sur les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, l'appartenance syndicale, la santé ou la vie sexuelle. "Je ne vois pas en quoi l'homosexualité ou la séropositivité constituent un danger pour l'ordre public, proteste le président d'Aides, Bruno Spire. Ce fichier menace le secret médical, alors que nous rencontrons tous les jours des personnes qui ont perdu leur travail ou leur assurance en raison de leur séropositivité."
Dans une délibération du 16 juin, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a émis de sérieuses réserves au sujet d'Edvige : elle demandait que les mineurs ne puissent pas être fichés avant 16 ans et que le recueil des données sensibles - origines ethniques, santé, vie sexuelle - soit strictement encadré. Certaines de ses critiques ont été entendues - les données sur l'orientation sexuelle et la santé seront enregistrées "de manière exceptionnelle" - mais l'essentiel du projet a été maintenu. Le gouvernement a ainsi refusé de prévoir une durée maximum de conservation des données, sauf pour les enquêtes administratives concernant l'accès à certains emplois. "Le droit à l'oubli" doit pourtant être assuré pour tous, estime la CNIL.