Article de M. Etienne Lefebvre lu le 10 décembre 2008 sur le site des Echos (cliquer ici pour accéder au site des Echos)
http://www.lesechos.fr/info/france/4807316-le-senat-supprime-l-avantage-fiscal-des-personnes-isolees-ayant-eleve-des-enfants.htm?xtor=EPR-1001
Avec l'aval du gouvernement, les sénateurs ont voté la suppression progressive de la demi-part fiscale attribuée aux personnes isolées ayant élevé des enfants, qui représente 1,7 milliard d'euros. Jean-François Copé et Pierre Méhaignerie (UMP) jugent le moment et la méthode peu opportuns.
Les sénateurs de la majorité ont eu à coeur, lors du débat budgétaire qui s'est achevé hier, de ménager les effets du plafonnement de certains avantages fiscaux votés à l'Assemblée, en particulier pour les loueurs de meublés professionnels et pour les DOM-TOM. Ils ont aussi renforcé le dispositif dit « Malraux » (rénovation en secteur sauvegardé) : le plafond de dépenses déductibles de cette niche a été porté à 150.000 euros au lieu de 100.000 et les taux de réduction d'impôt majorés (entre 30 % et 40 %). De même, le Sénat a supprimé tout plafonnement pour les dépenses ayant trait aux monuments historiques (l'Assemblée nationale l'avait fixé à 200.000 euros) et même créé de nouvelles niches fiscales. A l'instar, par exemple, de la possibilité donnée aux collectivités locales d'exonérer de taxe foncière les vignes et vergers pendant huit ans.
Ils se sont montrés en revanche inflexibles sur la suppression d'un avantage fiscal bien plus répandu, qui va toucher près de 5 millions de personnes : la demi-part fiscale attribuée aux personnes isolées ayant élevé des enfants. Cette niche, qui représente 1,7 milliard d'euros de dépense fiscale, va être supprimée progressivement : à compter des revenus de 2009 (et donc de l'impôt sur le revenu de 2010), le plafond actuel de 855 euros de réduction d'impôt va être abaissé de 10 % par an jusqu'à extinction du dispositif en 2018.
« Le bénéfice de cette demi-part ne se justifie pas faute de charges effectives de famille », a justifié Philippe Marini (UMP), au nom de la commission des Finances. Le ministre du Budget, Eric Woerth, a appuyé l'amendement en évoquant « une mesure de justice » : « Nous conservons la demi-part supplémentaire pour les contribuables qui élèvent seuls un enfant, a-t-il souligné. Mais, après, le quotient familial perdure, sans aucune charge en contrepartie : cette dérogation est un problème, on peut même y voir une prime au divorce. »
L'Assemblée nationale avait, auparavant, réduit le périmètre de cette niche en limitant le bénéfice de la demi-part aux personnes pouvant prouver qu'elles avaient élevé leurs enfants seules pendant au moins cinq années (« Les Echos » du 19 novembre). Le gouvernement, jugeant ce dispositif inapplicable, a préféré l'extinction lente proposée par les sénateurs. « Vous supprimez cette demi-part qui concerne un grand nombre de femmes alors que vous pérennisez des avantages fiscaux bien supérieurs, et que le bouclier fiscal étend l'injustice », a dénoncé la sénatrice Nicole Bricq (PS). « Cela ne représente que 400 euros par an et par contribuable, sans rapport avec la dépense de l'avantage Malraux ou pour l'investissement outre-mer », a renchéri Thierry Foucaud (PC).
Politique familiale erratique
Mais l'amendement, qui doit encore être validé en commission mixte paritaire (le 15 décembre), réunissant sept députés et sept sénateurs, fait aussi des vagues dans la majorité. Le président du groupe UMP à l'Assemblée, Jean-François Copé, s'est dit hier « plutôt réservé » : « Cette proposition me paraît un peu surprenante. Je ne suis pas certain que dans le contexte de crise (...), avec les problèmes de pouvoir d'achat que l'on connaît, ce soit une mesure qui soit d'actualité », a-t-il déclaré. Certains membres du gouvernement estiment également, officieusement, que le moment est peu opportun. A Matignon, on indique que le sujet relève de la responsabilité des parlementaires et que le gouvernement n'interviendra pas.
Interrogé par « Les Echos », le président de la commission des Affaires sociales, Pierre Méhaignerie (UMP), souligne qu'« une telle décision ne peut être prise sans concertation, sans pédagogie et sans contrepartie. Il y a un vrai travail à faire pour réformer les multiples avantages fiscaux des familles, en allant vers plus d'équité et de lisibilité. Cela ne peut se traiter dans un amendement isolé, et les économies générées doivent servir à financer la politique familiale. »
De fait, la suppression de cette demi-part, recommandée en 2007 par la Cour des comptes, est un sujet ancien - historiquement, cette niche avait été créée pour les veuves de guerre. Elle figurait d'ailleurs au premier rang des mesures envisagées par le groupe de travail sur la politique familiale, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Les gains dégagés devaient servir à rendre la politique familiale plus redistributive et à financer le droit opposable à la garde d'enfant. Mais les travaux de la RGPP famille ont été suspendus après le couac de la suppression de la carte famille nombreuse. Et la politique familiale risque de continuer d'être amendée par à-coups, sans vision d'ensemble.