Article de Mme Claire Guélaud publié le 30 janvier sur le site du Monde (cliquer ici pour accéder au site du Monde)
http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/01/30/dans-la-crise-le-modele-francais-naguere-decrie-retrouve-des-couleurs_1148547_3224.html?xtref=
La crise brouille les repères. Qui eût cru, avant, que Nicolas Sarkozy serait prêt à défendre le "plus d'Etat" ? Qui eût imaginé ses ministres convertis aux vertus d'un modèle français qu'ils accusaient, il y a peu, d'être trop coûteux, de brider l'esprit d'entreprise, de faire obstacle à la modernisation du pays ? Et que dire de la spectaculaire conversion de la presse anglo-saxonne qui moquait, dans The Economist du 31 mars 2006, l'aveuglement du coq gaulois ?
Depuis l'automne et la faillite de la banque d'affaires américaine Lehman Brothers, qui a mis à mal tant de certitudes, l'impensable s'est produit. Christine Lagarde elle-même, qui n'est pas la moins libérale des ministres du gouvernement, vante dans le dernier numéro de Newsweek le caractère "équilibré" de l'économie française, le poids de nos dépenses de protection sociale, les bienfaits de l'assurance-chômage. Le système français, résume-t-elle, a été souvent critiqué pour sa lourdeur, mais "en période de crise, il nous aide à résister au ralentissement".
La ministre de l'économie a raison. La France est mieux armée que les Etats-Unis ou certains de ses partenaires européens pour affronter la récession parce que son modèle limite les dégâts sociaux. En ces temps où, selon une enquête de PricewaterhouseCoopers publiée dans La Tribune du 28 janvier, les patrons français sont les plus pessimistes de la planète, Le Monde passe en revue ses atouts qui étaient naguère considérés comme des handicaps.
La France est, devant la Suède, le pays de l'Union européenne qui dépense le plus pour sa protection sociale. "Le tiers du revenu moyen des Français provient de la redistribution. Cela lisse la consommation et amortit les chocs", observe l'économiste Mathilde Lemoine (HSBC France). Cette année, de surcroît, de nombreuses prestations sociales seront indexées sur une inflation 2008 élevée. C'est le cas, notamment, des prestations familiales, dont 6,6 millions de familles ont bénéficié en 2006, et des pensions. Selon Bercy, 12 milliards d'euros supplémentaires seront versés aux retraités du seul fait de la revalorisation des pensions du régime général, des régimes complémentaires et du minimum vieillesse.
Le système de retraite français présente l'avantage d'être pour l'essentiel fondé sur la répartition : les cotisations prélevées sur les actifs sont versées aux retraités. Contrairement aux Américains, aux Britanniques et à tous ceux qui comptaient sur la capitalisation et les fonds de pension pour assurer leurs vieux jours, les Français ne verront pas leurs retraites fondre avec la tempête boursière.
Le déficit budgétaire, fortement critiqué en période de prospérité n'a pas que des inconvénients en période de crise. En choisissant de le laisser filer et de faire jouer "les stabilisateurs automatiques", le gouvernement amortit le choc de la crise. Les rentrées fiscales baissent - donc in fine la ponction sur les revenus des ménages et des entreprises s'atténue -, et les prestations sociales sont davantage sollicitées. Or, observe Mme Lemoine, "dans une étude de 2007, l'Insee a montré que les stabilisateurs automatiques permettaient de réduire de 10 % la baisse du PIB la première année et de 25 % la deuxième, de stabiliser le revenu disponible brut des ménages à hauteur de 42 %. On évite ainsi la destruction de 17 000 emplois la première année et de 67 000 la deuxième".
Aux amortisseurs de crise classiques s'ajoutent quelques points forts. Avec plus de deux enfants par femme, la France est restée en 2008 championne d'Europe de la natalité. Sa population, y compris sa population active, continue de croître, contrairement à ce qui se passe en Allemagne. Cette vitalité, souligne Mme Lemoine, "nourrit une dynamique de consommation différente et soutient la croissance de court terme".
Grand pays agricole, la France n'a pas renoncé à être une nation industrielle. De ce point de vue, elle est en meilleure posture que le Royaume-Uni. La variété de son tissu économique, le relatif "équilibre" entre le poids du public et du privé ne peuvent que l'aider à traverser une année 2009 redoutable.
Malgré une dette publique élevée, l'Etat peut encore emprunter dans des conditions jugées "très favorables" par Bercy. Un peu moins que celles offertes à l'Allemagne mais bien meilleures que celles proposées à l'Italie, à l'Espagne ou au Portugal. Les ménages et les entreprises sont moins endettés, ce qui limite les risques notamment en matière immobilière.
Malgré les difficultés qu'il traverse, le système bancaire est plus solide. "La crise sonne la revanche des banques universelles, celles qui ont un portefeuille d'activités aux cycles différents : la banque de détail d'un côté, la banque de financement et d'investissement de l'autre, note l'économiste Olivier Pastré. La structure de bilan des banques françaises est assez équilibrée, et le niveau de concentration du secteur satisfaisant, avec sept grands réseaux."
Tenue pour excessive en pleine bulle immobilière, la prudence d'un Michel Pébereau, président du conseil d'administration de BNP Paribas, retrouve, comme le modèle social français, des vertus pendant la crise.