performances économiques et progrès social (3/3)
http://www.stiglitz-sen-fitoussi.fr/documents/rapport_francais.pdf
Note de la rédaction du Blog : Ce rapport nous a paru particulièrement riche en pistes de réflexion pour évaluer les progrès économiques et sociaux
3e volet
…/…
5 - Principaux messages et recommandations (pp. 240 à 242)
L’argumentation du présent rapport peut se résumer aux points suivants :
• La qualité de la vie est influencée par un large éventail de facteurs qui font que la vie vaut d’être vécue, y compris ceux qui ne sont pas échangés sur des marchés et que l’on ne peut comptabiliser monétairement. Certaines extensions de la comptabilité économique cherchent à introduire des éléments de qualité de la vie dans des mesures monétaires conventionnelles du bien-être économique, mais cette approche a des limites. Les indicateurs non monétaires ont un rôle important à jouer dans la mesure du progrès social, et certaines évolutions récentes dans le domaine de la recherche ont conduit à l’élaboration de nouvelles mesures crédibles concernant certains aspects au moins de la qualité de la vie. Ces mesures, qui ne se substituent pas aux indicateurs économiques traditionnels, donnent l’occasion d’enrichir le débat public et d’apporter à chacun des informations sur la situation de la communauté dans laquelle il vit ; elles peuvent aujourd’hui passer de la recherche à la pratique statistique standard.
• Des recherches récentes ont montré qu’il était possible de collecter des données significatives et fiables sur le bien-être subjectif. Celui-ci englobe trois aspects différents : des évaluations cognitives de la vie de l’individu, des émotions positives (joie, fierté), et négatives (souffrance, inquiétude, colère). Si ces différents aspects du bien-être subjectif ont divers déterminants, dans tous les cas, ces déterminants vont bien au-delà des revenus et de la situation matérielle des individus. Par exemple, toutes ces mesures s’accordent pour souligner que le chômage a des effets néfastes majeurs sur le bien-être subjectif des individus et des pays. Tous ces aspects du bien-être subjectif devraient faire l’objet de mesures distinctes afin de dériver une mesure plus exhaustive de la qualité de la vie des individus et de permettre de mieux en comprendre les déterminants (y compris la situation objective des individus). Les organismes statistiques nationaux devraient intégrer des questions sur le bien-être subjectif dans leurs enquêtes types afin de recueillir les évaluations des individus sur leur vie, leurs expériences gratifiantes et leurs priorités.
• La qualité de la vie dépend aussi de la situation objective et des opportunités de chacun. Certains analystes considèrent que ces capacités influent plus que par leurs seuls effets sur les états subjectifs des individus et devraient plutôt être considérées comme des conditions essentielles de l’autonomie des individus. L’organisation des sociétés compte dans la vie des gens, comme on peut le voir dans les mesures concernant la santé et l’éducation des individus, leur travail quotidien et leurs activités de loisir, les moyens d’expression politique des citoyens et la réactivité des institutions, les liens sociaux et le cadre environnemental des individus ainsi que l’insécurité physique et économique qui influe sur leur vie.
Le défi dans ces domaines est d’améliorer ce qui a déjà été réalisé, de concevoir des normes statistiques reconnues dans divers domaines et d’investir dans les capacités statistiques dans des secteurs où les indicateurs disponibles restent déficients (l’insécurité, par exemple). Cela vaut particulièrement pour les données sur la manière dont les gens utilisent leur temps (et sur le plaisir qu’ils retirent de ces activités) : élaborer ces données à intervalles réguliers et sur la base de normes permettant des comparaisons entre pays et sur la durée est une priorité importante.
• Les indicateurs de qualité de la vie devraient nous renseigner sur les inégalités dans les expériences individuelles. Cela est important, car le progrès social ne dépend pas seulement des conditions moyennes prévalant dans chaque pays mais aussi des inégalités de situations des individus. Il est nécessaire de rendre compte de la diversité des expériences (en fonction du sexe, entre groupes et générations) pour combler l’écart entre estimations à l’échelle d’un pays et ressenti des gens à propos de leur propre situation.
L’inégalité dans chacune des dimensions de la qualité de la vie est significative en soi, et cela montre qu’il faut éviter de supposer qu’une dimension unique englobera toujours toutes les autres. En même temps, en raison des liens existant entre les dimensions de la qualité de la vie, diverses inégalités peuvent aussi se renforcer mutuellement.
• Certaines des questions de fond les plus importantes pour la qualité de la vie concernent la manière dont les évolutions dans un domaine influent sur celles des autres domaines et dont les évolutions dans différents domaines sont liées à celles intervenant dans le revenu. Les conséquences sur la qualité de la vie de l’accumulation de désavantages dépassent largement la somme de leurs effets individuels.
Pour élaborer des mesures de ces effets cumulatifs, il faut disposer d’informations sur la « distribution jointe » des aspects les plus saillants de la qualité de la vie (notamment l’affect, la santé, l’éducation, les moyens d’expression politique) entre tous les individus d’un pays. Il ne sera probablement possible de développer pleinement ces informations que dans un avenir éloigné mais des mesures concrètes en ce sens pourraient être prises en incluant dans toutes les enquêtes certaines questions types permettant de classer les personnes interrogées en fonction d’une série limitée de caractéristiques.
• La recherche d’une mesure scalaire de la qualité de la vie est souvent perçue comme le problème majeur de la recherche dans ce domaine. Même si l’accent placé sur ce point est en partie (ou largement, selon certains) injustifié, le présent rapport prend acte de la forte demande existant en la matière et estime que les organismes de statistiques ont un rôle à jouer pour y répondre. Différentes mesures scalaires de la qualité de la vie sont possibles, en fonction des questions traitées et de l’approche adoptée. Certaines de ces mesures sont déjà utilisées (par exemple, les niveaux moyens de satisfaction dans la vie pour un pays dans son ensemble, ou des indices composites agrégeant des moyennes dans divers domaines, comme l’Indice de développement humain).
D’autres mesures pourraient être mises en oeuvre si les systèmes statistiques nationaux procèdent aux investissements requis pour fournir les données nécessaires à leur calcul. Ainsi, l’indice U (U-index), à savoir la proportion du temps vécu par chacun durant laquelle le sentiment dominant déclaré est négatif, nécessite de collecter des informations sur les expériences affectives vécues au cours d’épisodes spécifiques par le biais des enquêtes existantes sur l’emploi du temps. De même, l’approche fondée sur le décompte des occurrences et la gravité des divers aspects objectifs de la vie des individus requiert des informations sur la distribution jointe de ces aspects, tandis que celle qui se fonde sur la notion de « revenu équivalent » demande également d’étudier les préférences des individus en ce qui concerne ces points. Les systèmes statistiques devraient fournir les informations nécessaires pour permettre le calcul de plusieurs mesures agrégées de la qualité de la vie.