Nous vous proposons aujourd’hui un extrait d’une longue note de conjoncture détaillée publiée le 18 juin 2025 sur le site de l’INSEE (cliquer ici pour accéder au site de l’INSEE)
https://www.insee.fr/fr/statistiques/8594943
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L’épargne des ménages au sommet
Un effet ”Trump” sur l’économie mondiale dès le premier trimestre 2025
L’arrivée de l’administration américaine a chamboulé l’économie mondiale dès le début d’année 2025. Anticipant un relèvement massif des droits de douane, les industriels du monde entier se sont hâtés d’expédier des marchandises : le commerce mondial a bondi de 1,7 %, tiré par l’impressionnante envolée des importations outre-Atlantique (+9,3 %), qui a entraîné une contraction comptable de l’économie américaine (-0,1 %). À l’inverse, l’Europe a connu un regain d’activité, en particulier au Royaume-Uni (+0,7 %), en Allemagne (+0,4 %) et en Italie (+0,3 %), et en Chine, où la croissance repose à présent à moitié sur le commerce extérieur. Les annonces américaines ont également amplifié la divergence de politique monétaire : d’un côté, les craintes d’une reprise de l’inflation conduisent la Fed à mettre son assouplissement en pause, de l’autre, la BCE a baissé ses taux à 7 reprises sur les 9 derniers mois, le recul du cours du pétrole et l’appréciation de l’€ limitant la hausse des prix dans la zone.
Au printemps, le commerce mondial se retourne, avec des droits de douane américains à un niveau inédit
L’embellie du commerce mondial ne serait évidemment que temporaire. Malgré la mise en pause des « tarifs réciproques » annoncés le 2 avril, et même s’il est encore difficile de prévoir les décisions à venir, les droits de douane américains ont d’ores et déjà augmenté depuis le 1er avril, à un niveau inédit depuis la Seconde Guerre mondiale. Les premières données confirment un effondrement des importations américaines au printemps : le commerce mondial se replierait au 2e trimestre (-0,7 %), puis resterait freiné au 2e semestre (+0,4 % par trim.). La demande intérieure américaine commencerait par ailleurs à ralentir : la confiance des consommateurs vacille, les dépenses publiques marquent le pas et les entreprises, interrogées dans les enquêtes de conjoncture, voient leurs perspectives s’assombrir. Au total, l’économie américaine ralentirait en 2025 (+1,8 % après +2,8 % en 2024). La baisse des ventes contaminerait l’activité dans les pays les plus exportateurs vers les États-Unis, à commencer par la Chine : la croissance y tomberait sous les 5 % en 2025.
Lentement, l’investissement se réveille sur le Vieux Continent
Lentement, la zone euro sort de sa torpeur, malgré le retournement des échanges mondiaux. La dynamique intérieure s’affermit, faiblement mais sûrement. Dans la zone, et en particulier en Allemagne, les industriels sont un peu moins pessimistes sur leurs perspectives d’activité et l’investissement s’ébroue, profitant des baisses de taux d’intérêt. Dans la construction, les financements européens du plan de relance initié en 2021 continuent par ailleurs d’alimenter les chantiers italiens et espagnols. De plus, les ménages consomment un peu les gains de pouvoir d’achat permis par le recul de l’inflation : après avoir été porté en 2024 par l’indexation de certains revenus sur l’inflation passée, le pouvoir d’achat ralentirait nettement en 2025 mais les ménages baisseraient un peu leur taux d’épargne. Au final, l’activité de la zone € marquerait le pas par contrecoup au 2e trimestre (+0,1 % après +0,6 %) puis progresserait encore faiblement au 2e semestre (+0,2 % par trimestre). Sur l’ensemble de l’année, l’activité accélèrerait (+1,3 % après +0,8 %). Les disparités entre pays restent fortes mais s’atténuent : en glissement annuel fin 2025, la croissance allemande (+0,7 %) dépasserait celle de l’Italie (+0,5 %), tout en restant nettement en deçà de celle de l’Espagne (+2,1 %). Le réveil de l’investissement européen réactive les échanges commerciaux intra-zone : malgré la politique américaine, la demande mondiale adressée à la France accélèrerait nettement en 2025 (+2,7 % après +1,5 % 2024) et progresserait plus vite que le commerce mondial.
La France ralentit en 2025, à contre-courant du mouvement européen
L’économie française ne semble pas évoluer au diapason du continent. Au 1er trimestre, elle n’a pas bénéficié de la ruée commerciale : l’activité a à peine progressé (+0,1 %) et les exportations, dépendantes des à-coups des secteurs aéronautiques et navals, ont plongé (-1,8 %). Alors qu’en 2023 et 2024, l’activité française avait plutôt mieux résisté (+1,6 % puis +1,1 %) que dans les autres pays européens, les moteurs tricolores s’essoufflent désormais : les dépenses publiques ralentissent et les exportations déçoivent malgré le retour de la demande adressée. L’investissement repart moins franchement qu’ailleurs en Europe : lestées par leur dette, les entreprises françaises ont pâti de la hausse des coûts de financement de 2022 à 2024 qui a rogné leurs marges de manœuvre. Côté consommation, bien que leur pouvoir d’achat ait été mieux préservé qu’ailleurs, les ménages français dépensent au compte-gouttes : hors crise sanitaire, leur taux d’épargne a atteint, au premier trimestre, un niveau inédit depuis 45 ans. L’activité resterait fébrile jusqu’à la fin de l’année, sans décrocher (+0,2 % par trimestre) : les entreprises interrogées dans les enquêtes de conjoncture jugent toujours majoritairement leurs carnets de commandes inférieurs à la normale et le climat des affaires campe significativement en deçà de sa moyenne de long terme. Contrairement à ses voisins, la France entame juste sa consolidation budgétaire en 2025, ce qui pèse sur l’activité : sur l’ensemble de l’année, la croissance atteindrait +0,6 %, en net ralentissement par rapport à 2024 (+1,1 %), un peu à rebours du mouvement européen.
L’inflation est faible, la consommation n’accélère pas
Les ménages français continueraient de bénéficier d’une inflation durablement plus faible que dans le reste du continent : tombée à +0,7 % en mai, elle s’établirait autour de +1 % en fin d’année. La France se distingue par une transmission plus tardive qu’ailleurs de la baisse des prix de l’électricité et par une forte concurrence par les tarifs dans les télécommunications. Cette inflation faible n’empêcherait pas un net coup de frein sur le pouvoir d’achat (+0,7 % après +2,5 % en 2024). En 2024, le pouvoir d’achat des ménages français a connu une embellie, porté par les indexations sur l’inflation passée, en particulier des retraites, mais la consommation n’a pas suivi (+1,0 %) et le taux d’épargne a de nouveau augmenté. Plusieurs facteurs expliquent cet attentisme : outre des facteurs d’incertitude sur la politique économique, l’inflation perçue est encore élevée, le marché automobile est en transition et la part des revenus du patrimoine dans le revenu total a fortement augmenté à la faveur des hausses de taux. Un autre phénomène apparaît en 2024, où les prestations ont progressé deux fois plus vite que les revenus d’activité, sans que la consommation des retraités ne réagisse à la forte stimulation de leur revenu : l’effet de la revalorisation massive des pensions de début 2024 (de l’ordre de 5 %) sur l’activité aurait ainsi été stérilisé.
Le taux d’épargne des ménages semble toutefois avoir atteint un sommet en ce début 2025 : il amorcerait une décrue d’ici la fin de l’année. Car les ménages lissent les fluctuations de leur revenu : or, celui-ci reculerait au 2e semestre car le solde de l’impôt sur le revenu rebondirait fortement, et les revenus du patrimoine s’effriteraient avec la baisse des taux. En moyenne sur l’année, la consommation progresserait seulement au même rythme que le pouvoir d’achat (+0,7 %) et le taux d’épargne serait stable alors qu’il baisserait en Europe.
L’investissement peine à redémarrer, cerné par une situation financière des entreprises difficile
Côté entreprises, les signaux sont contrastés : les achats de biens d’équipement semblent avoir atteint un plancher mais la résilience des dépenses en services, en particulier informatiques, faiblirait nettement. En 2025, les marges des entreprises se dégraderaient dans les branches de l’énergie et des services de transport, du fait du recul des cours de l’électricité et du fret maritime, mais seraient plutôt stables pour le reste des entreprises grâce à la baisse du prix du pétrole. Malgré ces bons résultats d’exploitation, la situation financière des entreprises françaises continuerait de se dégrader en 2025 : elles pâtissent en effet de taux d’intérêt plus élevés pour les nouveaux crédits que ceux arrivant à échéance, et les plus grandes d’entre elles subiraient en outre en fin d’année le prélèvement fiscal exceptionnel de la loi de finances pour 2025.
Le logement neuf repart, l’entretien et le marché de l’ancien patinent
Après 2 années de fort repli, la construction de logements neufs semble avoir atteint un plancher et les signes de reprise se multiplient : les mises en chantier et permis de construire se redressent et les promoteurs mettent à l’étude de nouveaux projets. À l’inverse, la composante de l’entretien-amélioration, qui maintenait à flot l’activité, semble fragilisée, d’autant plus depuis la suspension du principal dispositif de soutien public à la rénovation (MaPrimeRenov’). Dans l’ancien, les transactions immobilières ont vivement repris depuis 2 trimestres, encouragées par la baisse des taux d’intérêt et temporairement dopées par l’anticipation de la hausse des droits de mutation décidée en loi de finances 2025 et mise en œuvre au printemps. Elles fléchiraient nettement par contrecoup d’ici la fin de l’année, d’autant plus que les ménages sont nettement moins nombreux à déclarer envisager l’achat d’un logement dans les enquêtes de conjoncture. Au total, l’investissement des ménages se replierait de nouveau en 2025 (-0,6 %), moins fortement tout de même qu’en 2024 (-5,6 %) et 2023 (-7,7 %).
Le commerce extérieur ne soutient plus la croissance
La déception française sur l’ensemble de l’année provient du commerce extérieur. Les aléas climatiques entraîneraient un repli en 2025 du solde des échanges en électricité et en produits agricoles, ces deux segments ayant nettement contribué à la performance française l’an passé. De même, les échanges de services pâtiraient du contrecoup des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. Les exportations de produits manufacturés, hors secteur aéronautique et naval, resteraient étales (-0,2 % après +0,3 % en 2024), matérialisant de nouvelles pertes de parts de marché des industriels français. Les livraisons prévues d’avions et de bateaux, très concentrées sur les 3 derniers trimestres, compenseraient en partie cet affaiblissement mais, sur l’ensemble de l’année 2025, le commerce extérieur ôte 0,7 % de croissance alors qu’il y avait contribué positivement les 2 années précédentes. En contrepartie, les entreprises reconstituent pour le moment leurs stocks, ce qui sauvegarde la croissance (contribution de +0,8 point après -0,8 point en 2024 et -0,3 point en 2023).
Le marché du travail se retourne, le chômage augmente
Sur le marché du travail, l’emploi salarié s’est nettement retourné depuis deux trimestres, l’économie française détruisant plus de 120 000 postes salariés. Dans les enquêtes de conjoncture, l’optimisme qui prévalait depuis la crise sanitaire a fini par disparaître : le climat de l’emploi est inférieur à sa moyenne de longue période depuis l’été 2024 et s’est de nouveau dégradé depuis le début de l’année 2025, les entreprises rétablissant leur productivité. Dans le même temps, les subventions liées aux politiques de l’emploi se compriment, qu’il s’agisse des aides à l’apprentissage ou des enveloppes d’emplois aidés. L’emploi salarié baisserait ainsi de 90 000 postes supplémentaires d’ici la fin de l’année, aux deux tiers d’alternants. Au total, environ 210 000 emplois salariés seraient perdus en cinq trimestres. Conjuguée à l’augmentation de la population active engendrée par la montée en charge de la réforme des retraites, cette baisse de l’emploi pousserait le taux de chômage à la hausse à 7,7 % fin 2025.
Aléas : imprévisibilité dans le bureau ovale, tensions au Proche-Orient, confiance des ménages et des entreprises en France
Plusieurs aléas sur cette prévision. D’abord, la situation internationale reste très incertaine. Cette Note de conjoncture suppose que les droits de douane US se stabilisent globalement à leur niveau actuel sur l’horizon de prévision, mais les revirements de l’administration américaine sur le sujet, nombreux depuis début avril, constituent un aléa important, aussi bien à la hausse qu’à la baisse. En outre, le prix du pétrole a bondi le 13 juin avec les tensions au Proche-Orient : conventionnellement, cette Note de conjoncture, finalisée quelques jours avant, a supposé un prix constant autour de 65 $. S’il se stabilisait environ 10 $ plus haut, l’inflation serait plus élevée (d’environ 0,1 point en fin d‘année), les marges plus faibles et cela freinerait davantage l’activité. En Europe, le rythme de la reprise allemande est un facteur d’incertitude : par le passé, elle a pu surprendre par sa vigueur mais les facteurs structurels d’atonie (concurrence chinoise, coût de l’énergie notamment) incitent à la prudence. En France, la trajectoire de consolidation budgétaire des années futures reste inconnue, projetant les acteurs privés dans un potentiel inconfort. En particulier, les annonces attendues début juillet pourraient modifier les comportements des agents, entraînant un regain de confiance ou, à l’inverse, une atonie renforcée.