http://www.senat.fr/questions/base/2014/qSEQ14090857S.html
Question orale sans débat n° 0857S de M. Jean Boyer (sénateur de Haute-Loire)
M. Jean Boyer. Madame la ministre, je souhaiterais attirer votre attention sur l'avenir des départements. Il semblerait que les dernières réflexions gouvernementales s'orientent vers le maintien d'un certain nombre d'entre eux, qualifiés de « ruraux ».
En tant qu'élu d'un tel département, je me réjouis, et avec moi nombre de mes collègues, que le Premier ministre ait décidé le maintien de certains départements ruraux : cette décision était indispensable au regard de l'aménagement du territoire.
En effet, nous le savons tous, il y a plusieurs catégories de départements. Dans le mien, par exemple, l'habitat moyen est parmi les plus élevés de France et les zones de revitalisation rurale, les ZRR, couvrent vingt-deux cantons sur trente-cinq. Dans de tels départements, la faible densité de population et l'étendue de l'espace à gérer nécessitent le recours à une solidarité nationale.
Cette décision du Premier ministre devrait permettre de garder une proximité indispensable à la vie de nos communes. Un département rural doit avoir une identité, une complémentarité, une spécificité.
Cette décision positive me donne l'occasion de dire que si les communes n'existaient pas, il faudrait aujourd'hui les créer, les mettre en place. La population d'une commune rurale, comme je le dis régulièrement ici depuis treize ans, pourrait être accueillie dans un seul immeuble, dans une seule copropriété, dont il suffirait alors d'entretenir les équipements, l'environnement. Mais une commune de 200 habitants a des dizaines de kilomètres de chemins à entretenir, ainsi que les différents réseaux nécessaires à la vie quotidienne.
Dans le prolongement de cette analyse communale, je ferai remarquer que la population d'un département comme la Haute-Loire- beaucoup d'autres sont dans le même cas -pourrait tenir dans une banlieue ou dans une ville, où elle pourrait jouir de certaines richesses naturelles et économiques, sans avoir à gérer tous les espaces.
Oui, le département doit demeurer. Or, madame la ministre, je vous le dis très franchement et sans aucune démagogie : les départements ruraux s'interrogent sur leur avenir. On le souligne souvent, un département rural a un espace à gérer, sa population est en moyenne beaucoup plus âgée que celle d'autres départements. Mes chers collègues, n'opposons pas la France urbaine et la France rurale : elles sont complémentaires ; elles ont toutes les deux leur vocation.
Dès lors, madame la ministre, quels seront les critères retenus pour définir l'identité des départements ruraux ? Surtout, quelles compétences et quels moyens seront affectés à ces derniers ?
Depuis 1789 et la naissance de notre République, notre pays a connu bien des vicissitudes. Aujourd'hui, c'est la loi de la jungle économique mondiale qui alimente les inquiétudes, particulièrement dans les départements ruraux. La réforme projetée des structures communales, intercommunales ou départementales nous dissimule l'essentiel. Cela étant, je sais que les choses ne sont pas faciles : je n'ai jamais été un partisan du « y a qu'à, faut qu'on ».
Répondez-nous simplement, sans langue de bois, sur l'avenir des départements ruraux, madame la ministre : je suis Auvergnat, et je sais que vous n'êtes pas Normande !
Réponse du Ministère de la décentralisation et de la fonction publique publiée dans le JO Sénat du 15/10/2014 p. 6971
Monsieur le sénateur, j'ai la chance d'habiter depuis longtemps dans un département rural. Je crois qu'Auvergnats et Bretons ont beaucoup en commun, notamment la pugnacité.
Aujourd'hui, nous sommes face à une situation complexe. Nous voulons améliorer l'action publique et le service public rendu à nos populations. Depuis un peu plus de deux ans que je parcours la France et que je rencontre l'ensemble des associations d'élus, je constate qu'il nous incombe de remédier à la forte inégalité qui existe entre les territoires.
Les structures territoriales fonctionnent bien, mais elles souffrent de l'inégalité de leurs bases fiscales. Ainsi, au sein d'un même département, la grande richesse peut côtoyer l'extrême pauvreté.
Vous avez eu raison, monsieur le sénateur, de rappeler le rôle des communes, que nous avons fait le choix de garder. Nous avons voulu qu'elles aient des moyens. C'est pourquoi, nous inscrivant dans une continuité républicaine qui perdure depuis 2010, nous avons décidé ensemble de renforcer les établissements publics intercommunaux, afin qu'ils puissent répondre aux besoins des citoyens.
Quelle est, dans ce contexte, la place des départements ? Le débat que nous avons eu ici le 7 janvier 2014 sur la base du rapport de MM. Raffarin et Krattinger a été fort riche ; des propositions nombreuses et variées ont été émises sur toutes les travées, sans esprit partisan. Ensemble, nous avons affirmé qu'il fallait renforcer les compétences des régions en matière de stratégie économique.
Mais, nous le voyons bien, il reste encore un échelon à définir entre les communautés de communes rurales, notamment, et la région, qui sera plus éloignée qu'auparavant. S'agira-t-il des départements dans leur forme actuelle ? À cet instant, je vous le dis franchement, je l'ignore.
Comment définir ce qu'est un département rural ? Ce matin, mon collègue André Vallini me confiait avoir traversé des zones rurales très étendues dans le département du Nord, pourtant considéré comme urbain. De la même façon, le nord du Val-d'Oise est une zone rurale, tout comme une partie de l'Essonne. Nous aurons donc beaucoup de difficultés à établir une définition de ce qu'est un département rural.
Nous devons nous demander ensemble quel échelon de proximité nous voulons garder. L'aire géographique des départements va demeurer. La solidarité territoriale peut-elle s'exercer sur cet espace ? Je le crois. Faudra-t-il, à l'avenir, conserver les conseillers départementaux ? Je ne sais pas, mais je pense que l'on peut demander à ceux qui seront élus en mars 2015 de travailler avec nous pendant deux ans afin d'élaborer ensemble une solution.
Avec les sénateurs, les députés et les futurs élus départementaux, je suis persuadée que nous réussirons à définir la qualité de l'échelon de proximité et le contenu de la compétence de solidarité entre les territoires. Nos communautés de communes rurales, même les plus grandes, manquent souvent d'ingénierie pour répondre aux appels à projets de la région ou de l'État ou pour soutenir l'activité économique.
Monsieur le sénateur, le milieu rural a un rôle essentiel à jouer pour l'avenir de la France. Si nous ne prenons pas garde à préserver la terre agricole, nous courrons le risque de perdre notre souveraineté à compter de 2030. En effet, nous passerons à cet horizon de 0,5 hectare à 0,8 hectare de terre agricole par habitant dans le monde. En outre, notre modèle d'importation de protéines végétales pour produire des protéines animales est en grande difficulté, alors même que nous avons besoin de sauvegarder notre indépendance alimentaire.
Monsieur le sénateur, vous ouvrez un débat que je ne peux clore aujourd'hui en vous apportant une définition précise de ce qu'est un département rural. Il nous faut du temps pour discuter avec les futurs conseillers départementaux, avec le Sénat, avec l'Assemblée nationale. Je pense que nous trouverons ensemble des solutions pour que l'action publique porte le redressement de la France partout, en milieu urbain comme en milieu rural.
M. Jean Boyer. Madame la ministre, je le dis très sincèrement, j'ai apprécié votre conviction et votre détermination. J'ai également apprécié que vous nous fassiez part de la volonté du Gouvernement qu'une commune reste une commune. Un clocher, une école, un monument aux morts, un cimetière, un coq chantant sur un tas de fumier : c'est cela, la France rurale !
Madame la ministre, vous le savez, vous qui connaissez bien la France : les départements ruraux ne demandent pas la tour Eiffel ou une plage méditerranéenne ! Ils aspirent en revanche, à défaut de parité économique ou géographique, à une forme de parité sociale. (Mme la ministre marque son approbation.) Les évolutions dont nous venons de parler inquiètent : tel est le message que je souhaitais, madame la ministre, vous faire passer.