Nous vous proposons aujourd’hui, (hors tableaux, graphiques, méthodes) cette étude publiée dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire du 31 mai 2023 (cliquer ici pour accéder au site du B.E.H.)
http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/9-10/2023_9-10_1.html.html
Prévalence du tabagisme et du vapotage en France métropolitaine en 2022 parmi les 18-75 ans
Anne Pasquereau (anne.pasquereau@santepubliquefrance.fr), Raphaël Andler, Romain Guignard, Noémie Soullier, François Beck, Viêt Nguyen-Thanh
Santé publique France, Saint-Maurice
Résumé
Introduction
Après une baisse inédite en France de la prévalence tabagique entre 2016 et 2019, celle-ci s’est stabilisée depuis. Dans un contexte post crise liée à la Covid-19, l’objectif principal de cette étude est d’estimer la prévalence du tabagisme en 2022 et de décrire son évolution récente.
Méthodes
Les données utilisées proviennent d’une enquête téléphonique de mars à juillet 2022 sur un échantillon aléatoire de 3 229 individus de 18-75 ans résidant en France métropolitaine.
Résultats
En 2022, en France métropolitaine, plus de trois personnes de 18-75 ans sur dix déclaraient fumer (31,8%) et un quart déclaraient fumer quotidiennement (24,5%). Ces prévalences sont stables par rapport à 2021 et depuis 2019. La prévalence du tabagisme quotidien reste supérieure parmi les hommes (27,4% vs 21,7% parmi les femmes). Un écart de 14 points est observé entre les personnes n’ayant aucun diplôme ou un diplôme inférieur au baccalauréat (30,8%) et les titulaires d’un diplôme supérieur au baccalauréat (16,8%).
En 2022, 7,3% des 18-75 ans déclaraient vapoter, 5,5% quotidiennement. Ces prévalences sont en hausse par rapport à 2019.
Conclusion
La stabilité de la prévalence tabagique observée depuis la crise liée à la Covid-19 se poursuit en 2022. Les inégalités sociales en matière de tabagisme restent très marquées et leur réduction sera un enjeu majeur pour le 3e plan de lutte contre le tabac qui démarre en 2023.
Introduction
Le tabac reste la 1e cause de mortalité évitable en France avec 75 000 décès attribuables en 2015, soit 13% des décès. Le 2e programme national de lutte contre le tabac 2018-2022 s’achève et un 3e plan prendra la suite à partir de 2023. La stratégie décennale de lutte contre les cancers publiée en 2021 a par ailleurs réaffirmé l’objectif de parvenir à la 1e génération sans tabac d’ici 2032, c’est-à-dire atteindre moins de 5% de prévalence de tabagisme à l’âge adulte pour la génération née en 2014. Les conséquences sanitaires et sociales très importantes du tabagisme en France et les efforts de prévention déployés pour le contrer font du suivi de sa prévalence en population générale un axe indispensable des politiques de santé publique.
Après une baisse du tabagisme quotidien d’ampleur inédite observée en France parmi les adultes entre 2016 et 2019 (de 29,4% à 24,0% en métropole), la prévalence s’est stabilisée entre 2019 et 2021 (25,3%). Le nombre de fumeurs en France est estimé en 2020 à 15 millions, dont 12 millions de fumeurs quotidien. Par ailleurs, les inégalités sociales semblent marquer un rebond avec une augmentation de la prévalence du tabagisme quotidien parmi le tiers de la population dont les revenus étaient les moins élevés (de 29,8% en 2019 à 33,3% en 2020), en amont du premier confinement de la population lié à l’épidémie de Covid-19, puis parmi les personnes n’ayant aucun diplôme ou un diplôme inférieur au baccalauréat (de 29,0% en 2020 à 32,0% en 2021) pendant les divers confinements et couvre-feux liés à cette même épidémie. Un impact de la crise sanitaire, sociale et économique liée à la Covid-19 ne peut être exclu concernant l’interruption de la baisse de la prévalence du tabagisme et la hausse observée parmi certains groupes de population. Cette crise a pu avoir un impact sur la consommation de tabac en elle-même : elle a davantage touché les populations les moins favorisées, et parmi elles la cigarette peut être perçue comme un outil de gestion du stress et des difficultés du quotidien 5,6. De plus la santé mentale de la population s’est dégradée et le lien entre santé mentale et tabagisme a précédemment été démontré.
L’objectif principal de cette étude est d’estimer la prévalence du tabagisme en France en 2022 et de décrire son évolution récente.
Prévalence du tabagisme en 2022 et évolution
En 2022, 31,8% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [29,8-33,9]) des personnes âgées de 18 à 75 ans ont déclaré fumer du tabac : 35,1% [32,0-38,2] des hommes et 28,8% [26,1-31,2] des femmes (p<0,001). La prévalence du tabagisme quotidien s’élevait à 24,5% [22,5-26,4], soit 27,4% [24,4-30,4] parmi les hommes et 21,7% [19,2-24,2] parmi les femmes (p<0,001). La prévalence du tabagisme occasionnel était de 7,4% [6,3-8,5] et non significativement différente entre hommes (7,7% [6,1-9,2]) et femmes (7,1% [5,5-8,6]).
Entre 2021 et 2022, les variations du tabagisme / tabagisme quotidien ne sont pas significatives (respectivement 31,9% et 25,3% en 2021). L’analyse du tabagisme quotidien selon le sexe ne montre pas d’évolution significative de 2021 à 2022. Une tendance stable est observée entre 2019 et 2022 pour l’ensemble des 18-75 ans, ainsi que pour les hommes et les femmes. L’augmentation observée parmi les femmes entre 2019 et 2021 ne semble ainsi pas se poursuivre.
Inégalités sociales en matière de tabagisme
Les inégalités sociales en matière de tabagisme ont été étudiées à partir de trois indicateurs : diplôme, revenu et situation professionnelle. Les résultats montrent que :
–la prévalence du tabagisme quotidien reste en 2022 nettement plus élevée lorsque le niveau de diplôme est plus faible (p<0,001) : elle varie de 30,8% parmi les personnes n’ayant aucun diplôme ou un diplôme inférieur au baccalauréat, à 16,8% parmi les titulaires d’un diplôme supérieur au baccalauréat;
–la prévalence est la plus élevée (33,6%) parmi le tiers de la population dont les revenus sont les plus bas ; elle s’élève à 20,9% parmi les personnes aux revenus intermédiaires (2e tercile), et à 21,4% pour le tercile le plus élevé (p<0,001) ;
–enfin, parmi les 18-64 ans, la prévalence du tabagisme quotidien reste nettement plus élevée parmi les personnes au chômage (42,3%), que parmi les actifs occupés (26,1%) ou les étudiants (19,1%) (p<0,001).
Concernant les évolutions, la prévalence du tabagisme quotidien ne varie pas de façon significative selon le diplôme ou selon la situation professionnelle entre 2021 et 2022, avec une tendance à la stabilité depuis 2019. L’augmentation parmi les moins diplômés observée entre 2019 et 2021 semble s’interrompre. La prévalence augmente de façon significative entre 2021 et 2022 pour le tiers de la population aux revenus les plus élevés, et à l’inverse diminue pour les personnes aux revenus intermédiaires.
Quantité de tabac fumé et tentatives d’arrêt du tabac
En 2022, les fumeurs quotidiens de 18-75 ans ont déclaré fumer en moyenne 12,6 cigarettes (ou équivalent) par jour ([11,6-13,6]), stable par rapport à 2021 et 2019.
En 2022, 24,7% [21,0-29,0] des fumeurs quotidiens avaient fait une tentative d’arrêt d’au moins une semaine au cours des 12 derniers mois, ce taux étant en baisse par rapport à 2021. Après une augmentation entre 2019 et 2021 (autour de 30%), le taux de tentatives d’arrêt revient au niveau observé entre 2016 et 2019 (autour de 25%).
Usage de produits du vapotage
En 2022, 41,2% [39,1-43,4] des 18-75 ans ont déclaré avoir déjà expérimenté la cigarette électronique, proportion en hausse par rapport à 2021 (38,7%) (p<0,05). L’usage actuel d’une vapoteuse a été déclaré par 7,3% des 18-75 ans, et la prévalence du vapotage quotidien s’élevait à 5,5%. Ces proportions ne varient pas de façon significative par rapport à 2021, mais une hausse significative (p<0,001) est observée depuis 2016.
Le tabac chauffé
En 2022, 15,5% [13,9-17,1] des personnes interrogées avaient entendu parler des nouveaux produits utilisant du tabac chauffé, contre 9% en 2018 (p<0,001). L’expérimentation du tabac chauffé a été déclarée par 2,6% [1,9-3,3] des 18-75 ans, et 0,1% [0,0-0,4] déclaraient un usage actuel, respectivement moins de 1% et moins de 0,1% en 2018 (évolutions non significatives).
Discussion
Principaux résultats
En 2022 en France métropolitaine, plus de trois personnes de 18-75 ans sur dix déclaraient fumer (31,8%) et un quart fumer quotidiennement (24,5%). Après une baisse constatée entre 2016 et 2019, la prévalence du tabagisme s’est stabilisée depuis. Les inégalités sociales restent très marquées, avec 14 points d’écart entre personnes non diplômées ou avec un diplôme inférieur au baccalauréat et les titulaires d’un diplôme supérieur au baccalauréat, un écart de 12 points entre les plus bas et les plus hauts revenus, et un écart de 16 points entre actifs occupés et personnes au chômage. Après une diminution de ces écarts de prévalence entre 2016 et 2018 (pour atteindre environ 12 points pour chacune de ces trois caractéristiques socio-économiques), les écarts semblent augmenter depuis.
Plusieurs éléments peuvent avoir eu un impact sur la rupture de tendance observée depuis la crise liée à la Covid-19. Cette crise a pu avoir un impact sur la consommation de tabac, et en particulier auprès des personnes plus fortement touchées par la crise : les femmes et les plus défavorisés (éléments étayés dans l’article sur les résultats 2021). Cette pandémie a également pu avoir un impact sur la santé mentale de la population qui s’est dégradée, avec une augmentation de 3,5 points de la prévalence des épisodes dépressifs caractérisés (9,8% en 2017 à 13,3% en 2021), des recherches antérieures ayant montré que les troubles anxieux et dépressifs étaient associés au tabagisme. Cependant, les augmentations de la prévalence du tabagisme observées parmi les femmes et les moins diplômés en 2021 ne semblent pas se poursuivre en 2022.
Le contexte économique en 2021 et 2022 a été marqué par une forte inflation : en 2022 les prix à la consommation ont augmenté de 5,9%, les prix de l’alimentation ont augmenté de 12%. En parallèle, après les augmentations de prix du tabac qui ont mené à un coût du paquet à 10 euros en 2020 (prix moyen du paquet de la marque la plus vendue), les prix n’ont que très faiblement augmenté en 2021 et 2022, ayant pour effet une baisse relative du prix du tabac par rapport aux autres produits de consommation. Or, l’augmentation des prix du tabac est une mesure efficace pour diminuer la prévalence du tabagisme. Un rattrapage a été mis en place avec une augmentation de 50 centimes en mars 2023 et une augmentation de 35 centimes prévue pour 2024. La politique de prix pourrait être un enjeu pour le prochain plan de lutte contre le tabac qui sera mis en place en 2023.
La part de fumeurs ayant fait une tentative d’arrêt au cours des 12 derniers mois est en baisse en 2022. Une baisse des initiations de traitements nicotiniques de substitution remboursés, et donc issus de prescriptions médicales, a également été observée en 2020 et 2021 par rapport à la période 2017-2019. Par ailleurs, les inscriptions et les tentatives d’arrêt liées à l’opération Mois sans tabac ont diminué pendant les deux années d’épidémie de Covid-19. Le Baromètre Cancer 2021 a montré que moins d’un quart des fumeurs déclaraient avoir abordé la question du tabac avec un professionnel de santé au cours des 12 derniers mois, proportion en net recul par rapport à 2015. Or un conseil d’arrêt du tabac par un professionnel de santé augmente les taux d’arrêt du tabac à 6 mois de l’ordre de 70%. Promouvoir l’efficacité de l’accompagnement d’un professionnel de santé auprès des fumeurs, et sensibiliser les professionnels de santé à l’importance de détecter et de prendre en charge le tabagisme, sont des enjeux essentiels.
Des résultats similaires ont été observés en Europe, en particulier aux Pays-Bas, où la baisse du tabagisme observée depuis 2015 s’est interrompue en 2021 (21% de fumeurs). En Italie, une augmentation de la prévalence du tabagisme a même été observée entre 2019 et 2022, passant de 22% à 24%. À l’inverse, d’autres pays, qui présentent une prévalence nettement inférieure, continuent de la voir diminuer : États-Unis (de 14% en 2019 à 13% en 2020), Canada (de 12% de fumeurs en 2019 à 10% en 2020, et de 9% de fumeurs quotidiens en 2019 à 8% en 2020), Nouvelle-Zélande (de 12% de fumeurs quotidiens en 2019 à 8% en 2021-2022) et Royaume-Uni (de 14% de fumeurs en 2019 à 13% en 2021). Malgré des contextes réglementaires, culturels et sociaux différents, les inégalités sociales observées en France l’étaient également dans les différents pays cités ci-dessus, parfois de manière particulièrement marquée. La prévalence varie, par exemple, de 4% à 32% selon le diplôme aux États-Unis, et de 6% à 20% selon les revenus, et en Nouvelle-Zélande elle est multipliée par 4,3 pour les adultes vivant dans les zones les plus défavorisées, comparativement aux personnes des zones les plus favorisées.
Forces et limites
Parmi les forces de cette étude, celle-ci repose sur une enquête basée sur une méthodologie de sondage aléatoire et un protocole d’appels destiné à maximiser les chances que chaque individu soit joint et interrogé. La méthode d’enquête tend ainsi à représenter la diversité des comportements de la population résidant en France métropolitaine, parlant le français et joignable par téléphone. Par ailleurs, la méthode et les questions interrogeant la consommation de tabac sont stables depuis plusieurs années, permettant de disposer d’indicateurs standardisés et d’un certain recul sur les évolutions observées.
Trois principales limites peuvent être évoquées : l’enquête est déclarative et assistée par un enquêteur, ce qui peut entraîner un biais de sous-déclaration (biais de désirabilité sociale ou de mémoire par exemple), même s’il est sans doute assez faible dans les enquêtes observationnelles ; la baisse du taux de réponse observée en France comme à l’international et le problème que cela pose en matière de biais de sélection ; l’effectif réduit de cette édition 2022 qui entraîne une baisse de la précision des estimations et une baisse de la puissance pour détecter des évolutions significatives entre deux années, en particulier au sein de sous-groupes. Cette enquête 2022 permet de répondre à l’objectif fixé de mesurer la prévalence du tabagisme avec une précision suffisante au niveau national, en l’absence de Baromètre de Santé publique France cette année-là. Les tendances observées seront donc à confirmer dans les prochaines éditions du Baromètre de Santé publique France, en particulier les analyses selon les caractéristiques socio-économiques. L’analyse détaillée des vapoteurs, en particulier le lien avec le tabagisme ne faisait pas partie des objectifs de l’enquête 2022, mais a été réalisée à partir des données du Baromètre de Santé publique France 2021.
Conclusion
Après une période de baisse de la prévalence du tabagisme entre 2016 et 2019, une stabilité est observée entre 2019 et 2022. Les inégalités sociales en matière de tabagisme restent très marquées et sont un enjeu majeur pour le troisième programme national de lutte contre le tabac, qui sera lancé en 2023