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Nationalité française : le droit du sol en quatre questions
Publié le 12 février 2025
Les questions liées au droit du sol sont indissociables de celles liées à la nationalité, c'est-à-dire à la citoyenneté, mais aussi au droit du sang. Les fondements de l'octroi de la nationalité française sont variés, les critères à prendre en compte nombreux. Point sur le droit du sol en quatre questions.
1 Qu'est-ce que le droit du sol et comment s'applique-t-il en France ?
2 Comment le droit du sol moderne a-t-il été élaboré en France ?
3 Quand le droit du sol en France a-t-il été limité ?
4 Limiter le droit du sol ?
1 Qu'est-ce que le droit du sol et comment s'applique-t-il en France ?
Droit du sol (jus soli) et droit du sang (jus sanguinis) sont des principes juridiques qui conditionnent l'accès à la nationalité française. La nationalité est le lien juridique qui rattache un individu à la population constitutive d'un État.
Le droit du sol permet l'attribution de la nationalité française en raison de la naissance d'un enfant en France, et éventuellement d'un de ses parents.
Le droit du sang permet l'attribution de la nationalité française par filiation.
Le droit français combine ces deux principes afin de répondre aux diverses possibilités d'octroi de la nationalité française.
Le code civil distingue deux fondements à l'octroi de la nationalité française :
- par attribution : une personne est réputée française, automatiquement, dès la naissance ou au moment de la majorité ;
- par acquisition, après le dépôt d'une demande évaluée par l'autorité publique.
C'est principalement dans l'obtention de la nationalité par attribution que le droit du sol intervient.
La nationalité française peut être attribuée :
- dès la naissance à tout enfant :
- né en France ou à l'étranger dont au moins un des parents est Français(droit du sang) ;
- né en France de deux parents apatridesou de parents étrangers qui ne lui transmettent pas leur nationalité (droit du sol) ;
- né en France dont au moins un des parents est également né en France(double droit du sol) ;
- à la majorité lorsqu'un enfant est né en France de deux parents étrangers (droit du sol), sous conditions : résider en France à la date de ses 18 ans et avoir sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans depuis l'âge de 11 ans. L'enfant peut toutefois obtenir la nationalité française par déclaration, avant sa majorité et avec des conditions de durée de résidence :
- entre 13 et 16 ans, sur demande de ses parents;
- entre 16 et 18 ans, sur demande personnelle.
2 Comment le droit du sol moderne a-t-il été élaboré en France ?
Dans l'histoire de France, la promotion du droit du sol répond dans un premier temps à des impératifs de défense nationale, afin d'augmenter les effectifs militaires.
Au Moyen Âge, l'individu appartient à celui à qui appartient la terre où il naît. Il est donc sujet du roi si la terre appartient au roi (Éléments d'histoire sur le droit de la nationalité française). C'est l'application du droit du sol.
Au début du XVIe siècle, 3 conditions cumulées sont requises pour être Français :
- être né sur le sol français ;
- avoir au moins un parent Français ;
- demeurer dans le royaume.
Dans le courant du XVIe siècle, chacune de ces trois conditions devient suffisante à elle seule.
À la veille de la Révolution française, est aussi Français celui qui :
- né en France de parents étrangers manifeste son intention de s'installer dans le royaume définitivement ;
- né hors de France de parents français revient dans le royaume pour s'y installer.
La Révolution française introduit la notion de citoyenneté dans la nationalité : tout homme fidèle aux idées révolutionnaires est digne d'être citoyen, quelle que soit son origine. C'est ainsi que, par exemple, l'américain Thomas Paine et le prussien Anarchasis Cloots sont déclarés citoyens français par l'Assemblée nationale législative en 1792 ("pour leurs écrits en faveur de la liberté, de l'humanité et des bonnes moeurs").
Le code civil, promulgué en 1804 par Napoléon Bonaparte, pose le principe de la double possibilité d'acquisition de la nationalité française :
- par droit du sang (filiation paternelle) ;
- par droit du sol (tout individu né en France d'un étranger pouvant dans l'année suivant sa majorité réclamer la qualité de Français, sous conditions de résidence et de domiciliation).
Par ailleurs, la nationalité de la femme mariée est celle de son mari.
La loi du 7 février 1851, afin d'augmenter les effectifs militaires de la France, institue le principe du double droit du sol. Un enfant né en France est Français si son père est né en France. Il peut ensuite renoncer à la nationalité française dans l'année qui suit sa majorité.
La loi du 26 juin 1889, qui pose les bases du droit de la nationalité moderne, est contemporaine de la loi du 15 juillet 1889 sur le service militaire et répond à des préoccupations de défense nationale. Elle réduit la faculté de choisir sa nationalité dans les cas relevant du droit du sol. Dans le cas du double droit du sol, la faculté de répudier la nationalité française est supprimée.
La loi du 10 août 1927 est une loi d'intégration pour quelque 1,6 million d'étrangers venus travailler en France à sa reconstruction après la Première Guerre mondiale. La loi étend plus encore le droit du sol. Le principe d'indépendance de la femme mariée est consacré :
- la femme étrangère mariée à un Français n'acquiert plus automatiquement la nationalité de son époux ;
- la femme Française mariée à un étranger conserve la nationalité française (un enfant légitime né en France de mère française et de père étranger peut être Français par filiation maternelle).
L'ordonnance du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité française rassemble les règles éparses dans un code de la nationalité française. La nationalité française se transmet par filiation paternelle ou maternelle, légitime ou naturelle et résulte de la naissance en France (double droit du sol et enfants nés en France de parents étrangers). Un décret du 24 février 1953 applique le droit du sol dans les outre-mer, dans les seuls quatre anciens départements d'outre-mer Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion.
La loi du 9 janvier 1973 modifie le code de la nationalité française et affirme les principes d'égalité des époux dans le mariage et d'égalité entre enfants légitimes et naturels.
Ces différents textes ont posé les jalons de la nationalité française, ancrée dans la citoyenneté, et des quatre voies de son obtention : filiation, naturalisation, mariage, droit du sol.
La loi du 22 juillet 1993 étend les dispositions relatives au droit du sol à Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon (ce que n'avait pas fait l'ordonnance de 1945). Toutefois, les règles régissant l'acquisition de la nationalité font l'objet d'adaptations, sur le fondement de l'article 73 de la Constitution.
3 Quand le droit du sol en France a-t-il été limité ?
Plusieurs fois le droit du sol a été limité en France en visant l'acquisition automatique de la nationalité : le régime serait trop favorable et constituerait un facteur d'attractivité pour les étrangers.
En 1940, le régime de Vichy ne revient pas sur le droit du sol. En revanche, les naturalisations sont suspendues et la nationalité française est retirée à 15 000 personnes, juives pour la plupart.
Avec l'ordonnance du 19 octobre 1945, le Gouvernement provisoire annule les lois de Vichy. Les nouvelles naturalisations récompensent d'abord les étrangers résistants.
Durant cinq ans, entre 1993 et 1998, la loi du 24 août 1993, dite "loi Pasqua", limite le droit du sol et met fin à l'automaticité de l'obtention de la nationalité française : un mineur né en France de parents étrangers, pour devenir Français à sa majorité, doit en manifester la volonté entre 16 et 21 ans. La loi du 16 mars 1998, dite "loi Guigou", abroge la loi Pasqua et rétablit l'automaticité d'obtention de la nationalité sous certaines conditions.
La loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée instaure des restrictions supplémentaires au droit du sol à Mayotte : un enfant né à Mayotte de parents étrangers ne peut acquérir la nationalité française que si, à la date de sa naissance, l'un de ses parents au moins résidait en France de manière régulière (avec un titre de séjour) et de manière ininterrompue depuis plus de trois mois. Ces dispositions ont été jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
Lors de l'examen de la loi du 26 janvier 2024, dite "loi immigration", les sénateurs ont durci les conditions d'accès à la nationalité française des jeunes nés en France de parents étrangers. Ces dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel.
Le 3 décembre 2024, une proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale vise à limiter, à Mayotte, le droit du sol simple permettant aux enfants nés en France de parents étrangers d'acquérir la nationalité française.
4 Limiter le droit du sol ?
Le droit du sol en France, lorsqu'il est favorisé, répond à des besoins spécifiques :
- d'intégration, le plus souvent après les guerres, soit pour assimiler la main-d'œuvre et les familles étrangères venues contribuer à la reconstruction du pays, soit pour récompenser les étrangers qui se sont battus pour la France ;
- de défense, pour renforcer les effectifs de l'armée.
En dehors de ces périodes d'urgence, le discours sur les flux migratoires et la possibilité de les limiter insiste sur leurs conséquences, par exemple pour Mayotte dans le rapport de l'Assemblée nationale sur la proposition de loi sur les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte : "saturation de l’ensemble des services publics, multiplication des habitats insalubres, insécurité, et dégradation de l’environnement". Ce même rapport rappelle que le Conseil constitutionnel avait validé sans réserve les adaptations du droit de la nationalité à Mayotte faites par la loi de 2018. Le Conseil avait considéré que ces dispositions ne portaient atteinte ni au principe d'égalité ni à l'indivisibilité de la République, mais répondait aux contraintes particulières de l'archipel.
Des partis politiques, comme le Rassemblement national par exemple, affichent dans leur programme la suppression du droit du sol. L'accès à la nationalité française serait alors limité à la naturalisation (acquisition de la nationalité).
De son côté, la Défenseure des droits, dans un avis du 24 novembre 2023 sur le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, met en garde contre "une restriction conséquente des procédures d'accès à la nationalité française" et notamment du droit du sol. La loi rompt avec "la tradition républicaine de garantir un droit à devenir français, pour les enfants étrangers nés en France et ayant effectué leur scolarité en France".
En ce qui concerne la suppression du principe de l'acquisition automatique de la nationalité française à 18 ans, la Défenseure des droits rappelle les conclusions du rapport Weil dans le cadre de la mission d'étude des législations de la nationalité et de l'immigration, en 1997, alors que la loi Pasqua s'appliquait. Le rapporteur pointait le principe de la manifestation de la volonté, au motif qu'il "se heurte dans son application concrète à divers obstacles qui peuvent provenir du milieu social d'origine (pressions, méconnaissance des règles, rejet des démarches administratives)".
Le rapport souligne que "sous la République, le lien avec la nation ne résulte plus de l'allégeance personnelle au roi mais de l'éducation dans la société française, et la résidence passée, constatée au moment de la majorité, en est la garantie". Autrement dit, le droit du sol est la garantie du respect d'une tradition républicaine, qui fait reposer sur l'éducation le lien de l'individu à la nation.
L'impossibilité instaurée par la loi immigration de 2024 de réclamer la nationalité française pour les enfants mineurs ayant été condamnés à une peine égale ou supérieure à six mois d'emprisonnement sans sursis a pour conséquence de priver ces enfants définitivement des perspectives d'intégration dans le pays où ils sont nés et résident, selon la Défenseure des droits.