Nous vous proposons aujourd’hui une première note relative à la Santé Mentale publiée le 14 novembre 2025 sur le site Santé publique (cliquer ici pour accéder au site Santé publique)
https://www.santepubliquefrance.fr/docs/sante-mentale-de-quoi-parle-t-on
Santé mentale : de quoi parle‑t‑on ?
Sandrine Broussouloux, chargée d’expertise en santé publique,
Ingrid Gillaizeau, responsable de l’unité santé mentale, Direction de la prévention et de la promotion de la santé, Santé publique France,
Aude Caria, directrice,
L’ESSENTIEL
- Longtemps limité aux troubles psychiatriques, le concept de santé mentale s’est élargi, incluant le bien-être émotionnel, psychologique et social de chacun. Cette approche globale et inclusive, qui n’oblitère en rien la réalité des troubles psychiques et de leur prise en charge, reconnaît que tout le monde a une santé mentale, marquée par des facteurs individuels, sociaux et environnementaux. Le ʺmodèle du double continuumʺ montre que l’on peut aller bien malgré un trouble psychique, ou mal sans en avoir. Dès lors, la promotion de la santé mentale implique toutes les politiques publiques, au-delà du seul domaine médical, afin d’améliorer la qualité de vie de tous.
Les conceptions liées à la santé mentale ont beaucoup évolué ces dernières décennies. La définition de la santé mentale ne se réduit pas aux seuls troubles psychiques, mais qu’elle inclut également une dimension de bien-être. Ainsi, elle ne concerne plus uniquement les personnes souffrant de troubles : elle nous concerne toutes et tous. Cette évolution ne se limite pas à un changement conceptuel : elle transforme aussi les façons de promouvoir la santé mentale, de prévenir et prendre en charge les troubles psychiques. Les enjeux sont multiples : qui est concerné ? Quels facteurs influencent la santé mentale ? Et qui peut agir pour la préserver ou la soigner ? Ces changements marquent un pas décisif vers une approche plus universelle et inclusive.
Pendant des siècles, la santé mentale a été réduite au champ de la psychiatrie. Cette approche exclusivement médicale a nourri une conception binaire de la santé mentale qui s’interprète selon la présence ou l’absence de troubles. Les maladies psychiatriques sont identifiées et classées selon leurs symptômes et leur étiologie. Aujourd’hui, deux classifications font référence : la Classification internationale des maladies (CIM) et le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.
Dans cette conception, la santé mentale serait limitée aux troubles psychiatriques, elle ne concernerait que les personnes malades et relèverait uniquement des professionnels de psychiatrie. Cette approche exclusive a contribué à forger une représentation sociale des questions de santé mentale, articulée autour de l’image du « fou », souvent perçu comme dangereux, et qu’il était préférable d’isoler dans les asiles. Bien que les modalités de traitements se soient diversifiées (médicaments, psychothérapies, approches psychosociales), cette seule dimension psychiatrique de la santé mentale ne rend pas compte de l’étendue de ce que ces termes recouvrent.
Importance de l’expérience subjective du bien-être
À partir du milieu du XXe siècle, la notion de santé mentale s’est peu à peu affranchie de la seule psychiatrie pour prendre en compte le fonctionnement plus global des individus. Dans cette conception, la santé mentale ne se résume plus à l’absence ou à la présence de troubles, mais elle intègre aussi l’expérience subjective de bien-être, avec plusieurs dimensions : le bien-être émotionnel, le bien-être psychologique et le bien-être social.
Celui-ci se manifeste dans les relations que les personnes entretiennent avec leur entourage (familial, amical, professionnel), dans la réalisation de leurs activités quotidiennes et dans leur capacité à faire face aux événements de vie. Cette conception s’incarne notamment dans le courant de la psychologie positive qui recouvre le bien-être, l’épanouissement personnel, les ressources psychologiques et les capacités d’agir de l’individu dans ses rôles sociaux.
En 2004, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a défini la santé mentale comme « un état de bien-être dans lequel la personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et fructueux et contribuer à la vie de la communauté ». Cette définition a l’intérêt de contribuer à une approche plus globale de la santé mentale, qui implique que toute personne a une santé mentale et ressent du bien-être ou du mal-être à différents moments de sa vie, qu’elle ait ou non un trouble psychique. La santé mentale n’est donc pas un état figé, mais évolutif, influencé au long de la vie par une multitude de facteurs. Certains relèvent de la personne (patrimoine biogénétique, personnalité, capacité à gérer ses émotions, parcours de vie, exposition à la violence, etc.). D’autres dépendent de ses conditions de vie (logement, travail, accès aux soins, à la culture, à la nature, etc.) ou encore de la société dans laquelle elle évolue (éducation, inégalités, discriminations, infrastructures, etc.). Enfin, la santé mentale n’est plus seulement l’affaire de la psychiatrie et des équipes de soins, elle intègre désormais des actions de prévention et de promotion de santé, auxquelles doivent contribuer toutes les sphères de la société.
Ces deux conceptions de la santé mentale ne sont pas exclusives l’une de l’autre et elles trouvent même une complémentarité dans ʺle modèle du double continuumʺ. Celui-ci articule les deux dimensions sur un même schéma : un axe bien-être/mal-être et un axe absence/présence de troubles psychiques. Pour comprendre et identifier l’état de santé mentale d’un individu, on peut le situer simultanément sur chacun de ces deux axes. Ainsi, aux extrêmes, un bon état de santé mentale correspond à l’absence de troubles psychiques et à un sentiment
de bien-être. À l’inverse, un mauvais état de santé mentale se traduit par la présence d’un trouble psychique et le fait de ressentir un profond mal-être.
Toutefois, on peut être concerné par un trouble psychique et éprouver du bien-être, car on a retrouvé un équilibre satisfaisant (rétablissement). À l’inverse, il est possible de ressentir du mal-être sans pour autant présenter de trouble psychique avéré. Entre ces quatre cas de figure, il existe toute une palette de situations et donc d’états de santé mentale. Les impacts, positifs comme négatifs, sur la vie quotidienne peuvent être importants.
Agir sur les environnements et les facteurs de protection
La recherche montre que ces deux dimensions, bien que distinctes, sont souvent corrélées. Elles s’influencent l’une l’autre. Par exemple, un niveau élevé de bien-être peut favoriser le rétablissement d’un trouble psychique, tandis qu’un mal-être persistant peut accroître le risque d’apparition d’un trouble psychique. Rappelons-le, la santé mentale n’est pas figée, elle évolue tout au long de la vie, influencée par de nombreux déterminants tant individuels qu’environnementaux. Ces constats soulignent l’importance de promouvoir la santé mentale en agissant sur les environnements et en renforçant les facteurs de protection tant au niveau individuel que collectif.
Élargir la conception de la santé mentale au-delà des troubles psychiques contribue à faire évoluer les représentations sociales et le regard porté sur les personnes concernées par un trouble. Reconnaître que nous avons toutes et tous une santé mentale permet de dépasser la vision clivante entre ʺle moi sainʺ et ʺl’autre fouʺ, à l’origine de stigmatisations et de discriminations, et de libérer ainsi la parole. Cette approche met également en évidence la pluralité des déterminants – individuels, environnementaux, sociaux – qui influencent la santé mentale. Elle invite aussi toutes les sphères de la société à contribuer à la promotion de la santé mentale et à la prévention des troubles, et toutes les politiques publiques à agir en faveur de la santé mentale.