La France dans 15 ans : Perspectives économiques (suite et fin)
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RESUME
1er volet (publié le 5 août 2009) :
Quels sont les défis et les opportunités pour l’économie française à long terme ?
Les difficultés de la prospective :
Spécificités françaises et scénarios prospectifs
2e volet :
Les principales conclusions
Les principales conclusions
La France est immergée dans le monde. Son avenir dépendra à la fois de son environnement extérieur et de sa capacité à faire évoluer ses structures internes.
Les grandes tendances mondiales augurent d’une continuation du développement des nouveaux pays émergents et notamment des BRICs (Brésil, Russie, Inde et Chine). Ceux-ci sont à la fois des concurrents mais aussi des marchés à gagner. À ce titre, ils constituent des moteurs de la croissance mondiale. On pourrait donc tabler sur un maintien de la croissance mondiale. Des facteurs d’incertitude demeurent. La croissance se réalise sur des déséquilibres macroéconomiques qui devront être surmontés. Les déséquilibres financiers qui existent sur la balance des paiements américaine peuvent encore continuer quelques années tout comme peut se déclencher brutalement une crise sur leur financement. Il est peu probable que les créanciers des États-Unis y trouvent leur intérêt. Une première réponse est en train de se jouer à la suite de la crise économique et financière actuelle.
Un ralentissement de la croissance, notamment aux États-Unis, pourrait donc constituer un facteur déstabilisant conduisant à un retour de réflexes protectionnistes qui plomberaient plus durablement la croissance mondiale.
À l’opposé, il existe d’importantes réserves de croissance économique à travers une libéralisation plus importante des échanges, et notamment dans le secteur des services.
Les tensions sur les matières premières du fait d'une forte demande mondiale peuvent faire craindre des risques de rareté qui se porteront notamment sur les prix. Ceci concernerait principalement le prix des énergies fossiles pour lesquelles la rareté aux horizons envisagés découlerait plus d’un investissement insuffisant sur de nouveaux gisements que d’un épuisement. De plus, selon l’intensité de la prise de conscience de la forte production de CO2, les États les plus concernés pourront moduler leur rythme ou leur mode de développement. Les énergies alternatives auront toute leur place y compris l’énergie nucléaire qui constitue un point fort de la technologie française.
La France participe largement aux échanges mondiaux et presqu’un tiers de sa production est exporté. Elle peut difficilement jouer une stratégie autonome. Elle peut inscrire son action dans le cadre européen en y jouant un rôle actif. Elle peut trouver un avantage dans un approfondissement de l’Europe permettant à cette dernière d’acquérir une capacité d’influence et de négociation au niveau des grandes zones du monde. Dans un scénario où les nationalismes économiques l’emporteraient, elle pourrait alors prendre plus de distance.
La démographie est relativement prédictible à quinze ans et le vieillissement de la population est acté. Cela pèsera sur la croissance économique, la répartition des revenus entre actifs et inactifs, les évolutions de la consommation et les choix collectifs. La charge qui portera sur les actifs conduira à des ruptures sur le triptyque actuel - droits à la retraite - taux d’activité des seniors- immigration. Il sera différent dans 15 ans, et il faudra prendre des décisions.
La France dispose d’atouts qui en font une économie prospère. Elle devra néanmoins veiller à ne pas rater les opportunités technologiques qui s’ouvrent pour les années prochaines car ses spécialités économiques sont et seront de plus en plus contestées par les nouveaux entrants dans l’échange international. Les scénarios différeront principalement sur la capacité à mettre ses réformes en oeuvre du fait de l’attachement au modèle socio-économique hérité du passé en termes de modes de régulation ou de place du secteur public.
Il y a un scénario d’acceptation de l’évolution actuelle du monde qui implique alors de puissantes réformes. Il y a celui de la résistance où la France cherche à diffuser son modèle au reste du monde. Il y a celui de la résignation qui rend chaotique la mise en place de réformes et remet à plus tard de nombreux choix stratégiques. Ces scénarios valables pour un pays le sont d’ailleurs pour l’Europe en remplaçant les blocages entre acteurs économiques nationaux par ceux entre États.
Les facteurs de croissance essentiels à long terme sont la formation des hommes, l’innovation, le fonctionnement des marchés et l’efficacité de l’action publique. Dans ces trois domaines, des progrès sont possibles constituant autant de vecteurs de croissance. La difficulté de mise en oeuvre tient principalement à la très faible marge de manoeuvre des finances publiques, l’endettement public ayant déjà dépassé le seuil de soutenabilité retenu au sein de la zone euro. Les scénarios les plus favorables à la croissance supposent de dégager des marges de manoeuvre en redéfinissant le périmètre de l’action publique et ses moyens afin de mobiliser des ressources affectables à la mise en place des réformes. Celles-ci concernent l’enseignement supérieur en redéployant des ressources vers les universités, la recherche mais en visant la mise en place de coopérations - enseignement supérieur – recherche - entreprises.
Le fonctionnement de l’économie est encadré par un grand nombre de règles, de rigidités sur les marchés des biens ou celui du travail qui répondent à de nombreux objectifs, mais pas à celui de la croissance économique et de la création d’emploi.
L’avenir des entreprises françaises résulte de leur aptitude à éviter de rester dans des marchés objectivement destinés à être investis par les nouveaux pays industriels. Mais ces nouveaux concurrents ne pourront pas tout faire et il y a de forts potentiels dans des secteurs nouveaux à condition d’être à l’affût puis d’y mettre les moyens d’innovation et de prospection. L’exemple allemand montre que cet effort doit également reposer sur les PME françaises qui ont la souplesse et l’agilité nécessaires pour cibler de nouveaux besoins et les satisfaire. Encore faut-il les encourager à investir dans la recherche, leur donner les moyens financiers de leur développement et améliorer leur environnement institutionnel.
Des scénarios visant à rejoindre plusieurs modèles européens montrent les gains économiques possibles pour la France. Le rapport du CAE « les leviers de la croissance française » illustre ainsi un scénario favorable à la croissance économique. Les scénarios alternatifs privilégiant une moindre rupture avec les acquis du passé mettent en avant la qualité du mode de vie français en termes de gestion des inégalités et de maintien de droits qui avaient été obtenus dans le passé, mais dans un contexte économique différent. Beaucoup d’économistes mettent néanmoins en garde sur la soutenabilité à terme de tels scénarios du fait de la croissance des transferts qu’ils supposent et du risque d’appauvrissement collectif si la compétitivité de l’économie est détériorée.
L’État est aujourd’hui dans une situation de forte contrainte financière conjuguée à une perte de certaines de ses prérogatives avec le développement de l’Europe et de ses marges de manoeuvres avec la mondialisation. Il doit retrouver de nouvelles ambitions, de nouvelles forces et repartir. Autrement, il risque le discrédit et l’impuissance. Un État resserré peut être aussi un État plus efficace. La volonté de réduire le « périmètre » de l’État et de réduire sa « voilure » ne doit pas faire oublier qu’il participe néanmoins à nos avantages comparatifs. Ainsi, la réforme de l’État doit aussi comporter une réforme de sa gouvernance. La réduction des effectifs est une bonne chose, si et seulement si elle s’accompagne de réformes du management public.
Il existe par ailleurs pléthore de niveaux de gouvernement allant de la commune à l’Europe et un mélange des niveaux d’intervention d’où il résulte de nombreuses redondances. Ceci aboutit à une complexité décisionnelle et administrative. Des évolutions sur la spécialisation et la réduction des niveaux de gouvernement pourraient être souhaitables à quinze ans. L’économie repose sur l’échange mais aussi sur les comportements et les normes sociales.
Un des effets de la mondialisation, mais aussi du progrès technique est de menacer l’emploi non qualifié dans les pays développés. Dans un pays inquiet comme la France, ceci engendre une crispation sur des évolutions qui seraient dictées par la convergence vers des normes européennes ou mondiales. La tentation est alors plutôt d’adopter une attitude conservatrice avec un appel à plus d’État. Pour cette raison, des scénarios plus attentistes ont une plausibilité non négligeable. Entre développement de l’individualisme encouragé par la société de consommation et de différentiation des talents, maintien du contrat social ancien mais contesté et construction d’un nouveau contrat social, trois scénarios sont concevables. Le premier scénario valorise la prise de risque, l’entrepreneuriat, mais suppose un État plus modeste notamment dans les transferts qui visent à corriger des inégalités de richesse. Le deuxième est encore prégnant aujourd’hui mais les économistes s’interrogent sur sa soutenabilité. Le troisième reconsidère la vocation des acteurs privés dans la définition des règles notamment dans le domaine économique, valorise la flexisécurité et consent à des inégalités s’il existe des mécanismes de promotion sociale ouverts à ceux qui le veulent.
Les inégalités sont-elles évitables dans le contexte actuel et même à quinze ans ? Elles résultent principalement des difficultés d’accès à l’emploi pour les moins qualifiés. Un coût du travail élevé peut décourager certaines activités, notamment de services. Maîtriser le coût du travail peut passer par une évolution moins favorable des salaires ou une subvention aux salaires les plus bas. Mais à horizon de 15 ans, ces programmes de subventionnement des bas salaires ne risquent-ils pas de devenir trop coûteux pour être maintenus en l’état ?
Le problème est alors de savoir si les inégalités sont structurelles, divisant la société en groupes distincts, comme semble l’annoncer d’ailleurs le désir de créer des indices de prix par catégories, ou s’il serait possible d’inventer des instruments permettant la mobilité sociale ascendante et rendant de ce fait « plus acceptable » l’existence d’inégalités.
Les inégalités venant de rentes méritent d’être réduites. Que doit-on dire de celles liées aux rémunérations associées à la prise de risque ou à l’acquisition de qualifications ? Elles compteront plus dans les prochaines années. Dans un monde où la mobilité des hommes devient plus facile, les plus talentueux iront là où les conditions d’existence seront les meilleures. Les logiques d’immigration et d’émigration des actifs les plus qualifiés se poseront en ces termes. Certes la France semble disposer d’atouts la rendant assez attractive pour ses jeunes cadres, mais les limites existent néanmoins.
Parmi les défis sur les inégalités, il en est un de taille et d’actualité : l’offre de logement. Les difficultés à moyen-long terme ne sont pas tant quantitatives que qualitatives, en tenant compte des besoins changeants de la population (choc sociologique), de ses moyens (accès à la propriété, logement du plus grand nombre, solvabilisation sur le long terme) et de ses contraintes notamment environnementales. Cela suppose une rénovation du parc existant, la construction d’un parc aux nouvelles normes. Cela doit être l’occasion de redensifier les villes et de lutter contre l’étalement et la pollution.
Pour un exercice de moyen-long terme, il faut revenir à des considérations démographiques et faire valoir qu’à des horizons de quinze ans, de nouvelles générations rejoindront la sphère productive et celle des décideurs, différentes de leurs parents, car plus ouvertes au monde notamment par le développement des échanges linguistiques et par l’ouverture permise par les technologies de l’information. Elles devront toutefois faire évoluer une France où parmi les adultes de plus de 20 ans, un tiers en aura plus de 60.