Ne pas oublier les réfugiés climatiques
Editorial de Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, Secrétaire d’État chargée de la Prospective et du Développement de l’Économie Numérique, publié le 18 décembre 2009 sur le site du Conseil d’Analyse Stratégique (cliquer ici pour accéder au site du CAS)
http://www.strategie.gouv.fr/article.php3?id_article=19.html
"Les effets ravageurs des excès de CO2 dans l’atmosphère sont déjà là : pas moins de 250 millions de femmes, d’hommes et d’enfants sont frappés chaque année par des tsunamis, des cyclones ou d’autres formes moins soudaines de catastrophes climatiques, notamment la montée des eaux ou la désertification de certaines régions. Sous l’effet de telles catastrophes, les populations les plus démunies n’ont souvent pas d’autre choix que de fuir, au moins provisoirement. Mais comment permettre à ces populations de vivre ailleurs dans des conditions décentes ? Depuis la convention de Genève de 1951, il existe un statut de réfugié politique, mais qu’en est-il du sort des migrants environnementaux ? C’est pour répondre à cette question que j’ai demandé au Centre d’analyse stratégique de mener une étude prospective sur ce que pourrait être le statut des réfugiés climatiques.
Le grand rendez-vous de Copenhague mentionne ces enjeux mais sans véritable perspective pour y remédier. Faute de véritable statut juridique, ces réfugiés climatiques risquent fort d’être des laissés-pour-compte de la communauté internationale. Selon le rapport Stern, 200 millions de personnes -soit une personne sur 45 -pourraient être qualifiées de migrants environnementaux d’ici 2050.
Les régions les plus touchées sont l’Afrique (Sahel, Corne de l’Afrique, Afrique centrale), l’Asie centrale, du Sud et du Sud-Est, l’Amérique centrale et la partie ouest de l’Amérique du Sud. Mais ce sont les petits Etats insulaires dont l’existence est aujourd’hui la plus menacée. L’évacuation des îles Carteret de Papouasie-Nouvelle-Guinée a déjà commencé. Les villes côtières de tous les pays du monde, comme celles de la très peuplée baie du Bengale, seront très fortement touchées par la montée des eaux. Certaines populations sont aujourd’hui capables d’adopter des stratégies pour prévenir les changements climatiques, s’y adapter et organiser l’assistance aux populations. Mais d’autres, en revanche, bien plus vulnérables, ne peuvent se prémunir contre ces fléaux, à moins de partir. Une étude du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), a montré ainsi qu’aux Etats-Unis il y a 93 fois plus de catastrophes climatiques qu’au Bangladesh, mais 34 fois moins de morts. Si les conséquences alimentaires et sanitaires de ces phénomènes sont bien connues, on évoque moins souvent les effets du changement climatique sur la cohésion sociale et la sécurité des pays les plus touchés. Les crises actuelles au Darfour ou dans l’Ouest sahélien démontrent la validité de ce lien : en raison de la sécheresse croissante, les éleveurs du nord du Sahel ont en effet migré vers la région sud déjà occupée par des fermiers, provoquant conflits et destruction de bétail et de fermes. Par ailleurs, le manque d’eau, l’insécurité alimentaire, la dégradation de la terre tendent à envenimer les relations entre les populations et leurs autorités dans des pays déjà éprouvés par la pauvreté et les faiblesses de la gouvernance."
"Malgré ces constats, les migrants environnementaux ne peuvent revendiquer ni le droit d’asile ni le statut de réfugiés. Seul le plan d’action pour le XXIe siècle (Agenda 21), adopté lors du sommet de la Terre à Rio de 1992, y fait référence à propos de la lutte contre la désertification. Afin de pousser les gouvernements à reconnaître ce phénomène, de nombreuses ONG, comme Christian Aid ou Alofa Tuvalu, très actives, ont publié des rapports d’alerte. Des propositions ambitieuses sont faites pour bâtir un statut juridique complet en faveur des migrants environnementaux, c’est le cas par exemple du projet de convention relative au statut des déplacés environnementaux de l’université de Limoges.
Certains soutiennent que les migrants environnementaux remplissent en réalité les critères de la convention de Genève de 1951 sur les réfugiés. D’autres plaident en faveur de sa révision afin d’y faire figurer la notion de « persécution écologique ». Le développement des principes directeurs sur les déplacés internes, la création d’un statut de réfugié écologique dans une nouvelle convention internationale sur mesure, la mise à disposition d’un nouveau visa de migration ou la mise en place d’accords bilatéraux sont quelques-unes des autres solutions envisagées.
Mais, au-delà de ces perspectives générales, puisque la migration environnementale restera majoritairement un phénomène interne aux grands continents, j’ai la conviction que le rôle des organisations régionales et des banques régionales de développement pourrait être décisif. Un pays comme le Bénin, par exemple, tire parti de son appartenance à diverses organisations régionales, comme l’Union économique et monétaire ouest-africaine, pour multiplier ses sources de financement et ses coopérations en matière de développement. Cette approche, étendue aux questions environnementales, pourrait favoriser une différenciation des obligations et des devoirs entre Etats en fonction de leurs capacités et de leur vulnérabilité.
Le futur traité de l’après-Kyoto prendra-t-il en compte la question du statut juridique des migrants environnementaux ? Ou bien devra-t-on trouver des solutions au cas par cas, selon les régions ? Cette question essentielle n’est aujourd’hui envisagée que dans le seul volet « adaptation au changement climatique » des négociations dites « post-2012 ». Une évidence s’impose : ce cadre est trop étroit pour un problème de cette taille."