http://www.senat.fr/questions/base/2019/qSEQ19111001S.html
Question orale n° 1001S de Mme Jocelyne Guidez (sénatrice de l’Essonne)
Si, comme l'a dit Joseph Joubert, la justice est le droit du plus faible, alors elle doit devenir une réalité pour nos concitoyens qui sont mis contre leur gré dans des situations d'injustice. Il en est ainsi, dans certains cas, en matière d'héritage. En effet, il arrive que, à la suite du décès de l'un de leurs parents, des enfants réclament leur part au parent survivant. Dans une telle situation, celui-ci peut être conduit à vendre certains de ses biens, comme une voiture ou une maison.
Pour faire face à cette situation, différentes possibilités sont prévues par le droit. Les époux peuvent choisir le régime matrimonial de la communauté universelle en intégrant une clause d'attribution intégrale au survivant.
Ils peuvent également opter pour la donation au dernier vivant. Dans ce cas, le conjoint survivant récupère par exemple la quotité disponible. Toutefois, il est utile de préciser que la part de cette quotité dépend du nombre d'enfants, et peut donc être très réduite. Par ailleurs, cela entraîne des frais notariaux nécessairement pénalisants. En effet, si la somme à acquitter peut sembler dérisoire pour certaines familles, elle ne l'est pas pour d'autres qui ont parfois du mal à boucler leurs fins de mois.
Or, dès lors que le patrimoine a été constitué par les deux parents, il n'est pas juste que les successibles puissent demander leur part avant le décès du parent survivant.
C'est pourquoi, afin de protéger ce dernier, il conviendrait de modifier le droit actuel pour faire de la clause au dernier vivant le principe de droit commun. Cette mesure permettrait d'éviter aux parents de devoir se rendre chez le notaire, et les protégerait du comportement des enfants, comportement qui les contraint parfois à se séparer de leurs biens. Dans une telle hypothèse, il serait opportun de viser uniquement les couples mariés.
Il s'agit certes d'une modification importante du code civil, mais pour des raisons évidentes de justice et de bon sens, il n'est pas possible de continuer ainsi. Par conséquent, je souhaiterais connaître les pistes envisagées par le Gouvernement pour pallier cette difficulté soulevée par de nombreux Français.
Réponse du Secrétariat d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics publiée dans le JO Sénat du 27/05/2020 p. 4380
Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics. Madame la sénatrice Guidez, permettez-moi d'excuser Mme la garde des sceaux, qui est retenue, et qui m'a demandé de vous apporter les éléments de réponse suivants.
La situation du conjoint survivant est régie par les régimes matrimoniaux auxquels s'ajoutent des dispositions relatives au droit des successions. La loi du 3 décembre 2001 a déjà fait du conjoint survivant un héritier légal de premier ordre ; en l'absence de testament, il vient à la succession, aux côtés des enfants du défunt, et reçoit, soit le quart de la succession en pleine propriété, soit l'usufruit de l'intégralité de la succession, le reste revenant aux enfants.
Si le défunt souhaite l'avantager de façon plus importante, la loi du 23 juin 2006 lui a permis d'en faire un héritier privilégié. Ainsi, le conjoint défunt peut lui laisser jusqu'au quart en pleine propriété du patrimoine, et trois quarts en usufruit. Le conjoint survivant peut alors jouir de l'ensemble du patrimoine successoral, et s'il ne souhaite pas une propriété partagée avec les enfants, il peut demander que son usufruit soit converti en rente viagère.
Cette faveur faite au conjoint survivant peut-être mise en œuvre très simplement, et à un coût réduit, voire nul – ce qui me paraît répondre à l'une de vos interrogations –, soit par le biais d'une donation au dernier vivant passée devant notaire, donation dont les frais sont fixes et encadrés par l'État, soit par le biais d'un simple testament, qui est gratuit.
J'ajouterai que la loi fiscale est très avantageuse pour le conjoint survivant comme pour le partenaire pacsé, puisqu'ils sont complètement exonérés de droits de succession.
Aller plus loin dans la faveur faite au conjoint survivant comme vous le proposez ne nous semble justifié ni d'un point de vue juridique ni au regard des évolutions de la société : renforcer les droits du conjoint, c'est inévitablement porter atteinte aux enfants, notamment à ceux issus d'une précédente union.
Lorsque les enfants sont communs, l'atteinte à leur droit pourrait être considérée comme tolérable, puisqu'ils récupéreront le patrimoine successoral au décès du deuxième parent. En revanche, les enfants non communs n'hériteraient pas du conjoint survivant, et ils perdraient alors définitivement tout héritage si le conjoint hérite en premier.
Il n'est donc pas envisagé à ce stade d'accroître encore davantage les droits successoraux du conjoint survivant, déjà très favorisé par la législation actuelle. Cela serait source d'un déséquilibre trop important au détriment des enfants, actuellement protégés par la réserve héréditaire.
Le rapport sur la réserve héréditaire remis à la garde des sceaux le 13 décembre dernier par un groupe de travail constitué d'universitaires et de praticiens du droit étudie cette question et permet de nourrir la réflexion sur l'évolution du droit en la matière. Mme la garde des sceaux et ses services restent à votre disposition pour échanger sur ces préconisations.
Le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour la réplique.
Mme Jocelyne Guidez. J'entends votre réponse et je la respecte, monsieur le secrétaire d'État, mais je ne la partage pas totalement. Permettez-moi de vous donner un exemple. Quand mon père est décédé, alors que ma mère avait l'usufruit, on nous a demandé si nous souhaitions récupérer la voiture. Vous voyez bien que certaines choses ne vont pas.