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Surveillance des accidents de la vie courante (AcVC) pendant la période de confinement de la pandémie de Covid-19
Rigou Annabel, Beltzer Nathalie, Réseau Enquête permanente sur les accidents de la vie courante (EPAC). Surveillance des accidents de la vie courante pendant la période de confinement de la pandémie de Covid-19. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(20):402-9. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/20/2020_20_1.html
Introduction
Le nouveau coronavirus nommé SARS-CoV-2, identifié en Chine en janvier 2020, provoque une maladie nommée Covid-19. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré en janvier 2020 que l’épidémie de Covid-19 était une urgence de santé publique internationale et l’a requalifiée en pandémie le 11 mars 2020. Dans ce contexte, un dispositif de confinement a été mis en place par le gouvernement sur l’ensemble du territoire français entre le 17 mars et le 11 mai 2020 impliquant une restriction des déplacements au strict nécessaire, des sorties près du domicile et de courte durée, la fermeture des écoles, crèches, lycées, etc. (Décret du 23 mars 2020).
Les accidents de la vie courante (AcVC), qui regroupent les accidents domestiques, les accidents de sports et de loisirs et les accidents survenant à l’école, sont à l’origine de 5 millions de recours aux urgences, plusieurs centaines de milliers d’hospitalisations, et plus de 20 000 décès en France chaque année. Depuis la mise en place des mesures de confinement, les services d’urgences, ont observé une diminution des recours aux urgences pour AcVC des cas peu graves et une augmentation des cas graves, notamment chez les jeunes enfants et les personnes âgées. Santé publique France a développé une surveillance épidémiologique des AcVC pendant la période de confinement, afin d’objectiver les évolutions observées sur le terrain.
L’objectif de cette étude était de décrire les effets du confinement sur les recours aux urgences pour AcVC, selon l’âge et le type d’AcVC, en France métropolitaine.
Méthode
Les données proviennent de l’enquête permanente sur les accidents de la vie courante (EPAC) dont l’objectif est de disposer de résultats descriptifs détaillés, fiables et à jour sur le nombre et les caractéristiques des AcVC survenant en France et donnant lieu à un recours aux soins d’urgence en milieu hospitalier. L’enquête repose sur un recueil exhaustif et continu de données épidémiologiques sur des personnes de tous âges victimes d’AcVC, dans une dizaine de services d’urgence en France. Les données portent sur la personne accidentée (âge, sexe, résidence), les caractéristiques de l’accident (date, mécanisme, lieu, activité, produits ou objets impliqués), les lésions, les parties lésées et la prise en charge de l’accidenté. Les données sont saisies tout au long de l’année par une personne dédiée dans chaque hôpital, à partir des informations disponibles dans le résumé de passages aux urgences. Ces données sont transmises de manière sécurisée à Santé publique France.
Les données d’urgences générales proviennent de 6 services d’urgences répartis sur 5 régions : centre hospitalier CH Blaye, CH Fontainebleau, CH Fougères, CHU Limoges, CH Tourcoing, CH Verdun. Les données pédiatriques proviennent de 9 services d’urgences répartis sur 8 régions : CH Blaye, CH Fontainebleau, CH Fougères, groupement hospitalier (GH) Le Havre (urgences pédiatriques), CHU Limoges, CHU Marseille (urgences pédiatriques), CHU Toulouse (urgences pédiatriques), CH Tourcoing, CH Verdun.
Les effectifs de passages aux urgences pour AcVC et leurs pourcentages ont été décrits, pour l’ensemble des recours aux urgences et pour ceux nécessitant une hospitalisation, considérés comme cas sévères. Les taux d’hospitalisation ont été calculés, en rapportant les effectifs de passages aux urgences pour AcVC nécessitant une hospitalisation aux effectifs totaux de recours aux urgences pour AcVC. Ces indicateurs ont été décrits pendant la période de confinement (16 mars au 10 mai 2020) et comparés à ceux produits pour la même période en 2019. Ils sont présentés par âge pour l’ensemble de la population, puis par âge, sexe, lieu de l’accident, activité au moment de l’accident et mécanismes accidentels (chute, brûlure, ingestion corps étranger, etc.) chez les moins de 15 ans et les plus de 45 ans.
Résultats
Pendant la période de confinement, 7 115 passages aux urgences pour AcVC tous âges ont été enregistrés dans l’enquête EPAC. Sur la même période en 2019, on en comptabilisait 15 881, (baisse du recours aux urgences pour AcVC de 55% durant la période de confinement). Cette baisse était de 57% chez les moins de 15 ans et de 40% chez les personnes âgées de 45 ans et plus. La baisse la plus importante (-65%) était observée chez les 15-45 ans. Le nombre de cas sévères d’AcVC pris en charge aux urgences tous âges, s’élevait à 1 164 pendant la période de confinement, soit une baisse de 13% par rapport à la même période en 2019 (1 344). Cette baisse était plus marquée chez les 15-44 ans (-34%). Elle était de -26% chez les enfants de moins de 15 ans. Chez les plus de 45 ans, le nombre de cas sévères était stable entre 2019 et 2020.
AcVC chez les enfants âgés de moins de 15 ans
La baisse des passages aux urgences pour AcVC observée chez les moins de 15 ans concernait essentiellement les 5-14 ans. La moyenne d’âge des recours aux urgences pendant cette période et dans cette classe d’âge était de 5,2 ans, elle était de 7,3 en 2019. La baisse a concerné aussi bien les garçons que les filles, quel que soit l’âge. Le nombre d’AcVC a diminué pour tous les lieux de survenue de l’accident par rapport à 2019, mais la baisse a été moins importante (-15%) pour les accidents au domicile. La baisse concernait tous les mécanismes accidentels et de façon plus importante les chocs/contacts, chutes et autres mécanismes, quel que soit l’âge, à l’exception des enfants de moins de 2 ans, pour lesquels on observait une augmentation des passages aux urgences pour ingestion de corps étrangers (+54%, 28 en 2019 vs 43 en 2020), écrasement/coupure (+14%, 21 en 2019 vs 24 en 2020), ingestion ou intoxication de produits chimiques (+16%, 12 en 2019 vs 14 en 2020), brûlures (+6%, 31 en 2019 vs 33 en 2020), et chez les 2-4 ans, une stabilité pour ingestion de corps étrangers (+2%, 107 en 2020 vs 105 en 2019).
Le nombre de cas sévères d’AcVC pris en charge aux urgences a diminué de -26% entre 2019 et 2020. Cette baisse était la plus importante chez les 10-14 ans (-47%) et chez les 5-9 ans (-26%). Elle était plus faible chez les 2-4 ans (-10%) et stable chez les moins de 2 ans. La moyenne d’âge était de 5,8 ans, elle était de 6,7 ans sur la même période en 2019 (p=0,3). La baisse a concerné aussi bien les garçons que les filles et ce quel que soit l’âge. Les cas sévères ont augmenté au domicile (+20%). Cette augmentation était la plus importante chez les 10-14 ans (+70%, 27 en 2019 vs 46 en 2020), les 5-9 ans (+28%, 68 en 2019 vs 87 en 2020) et les 2-4 ans (+13%, 83 en 2019 vs 94 en 2020). Les cas sévères d’AcVC ont diminué pour tous les mécanismes accidentels et tous les âges, à l’exception des chutes chez les 2-6 ans (+12%, 78 en 2019 vs 86 en 2020).
Le taux d’hospitalisation chez les enfants de moins de 1 an est resté stable entre 2019 et 2020 : 10% des passages aux urgences pour AcVC ont conduit à une hospitalisation pour les deux années. Au-delà de 1 an et pour chaque âge, le taux d’hospitalisation était plus élevé en 2020 comparé à 2019 (entre 6% et 14% selon l’âge en 2020, vs entre 4% et 6% en 2019).
AcVC chez les plus de 45 ans
Pendant la période de confinement, 1 782 passages aux urgences pour AcVC chez les plus de 45 ans ont été enregistrés, soit une baisse du nombre de passages aux urgences pour AcVC de 40% par rapport à la même période en 2019. Dans cette classe d’âge, la baisse la plus importante était observée chez les 45-64 ans (-49%). Elle était de -39% chez les 65-74 ans, de -28% chez les 75-84 ans et de -29% chez les plus de 85 ans. La moyenne d’âge des recours aux urgences pendant cette période et dans cette classe d’âge, était de 71,5 ans, elle était de 69,3 en 2019 (p=0,88). Cette baisse a concerné aussi bien les hommes que les femmes, et ce quel que soit l’âge. Le nombre d’AcVC a diminué pour tous les lieux de survenue et pour tous les mécanismes accidentels pour toutes les tranches d’âges.
Le nombre de cas sévères d’AcVC pris en charge aux urgences est resté stable entre 2019 et 2020 (701 en 2020 vs 705 en 2019) chez les 45 ans et plus. Les cas sévères ont augmenté au domicile (+5%), notamment chez les 65-84 ans (+22%, 169 en 2019 vs 206 en 2020). On observe une stabilité des cas sévères pris en charge aux urgences pour les activités de bricolage chez les 45-64 ans mais une augmentation des cas sévères liés aux travaux domestiques chez les plus de 45 ans (+25%, 40 vs 50), notamment lors d’activité de jardinage. Les cas sévères en lien avec une chute étaient plus nombreux en 2020 qu’en 2019 chez les 65-84 ans (+15%, 215 en 2019 vs 248 en 2020).
Le taux d’hospitalisation était plus élevé en 2020 comparé à 2019 pour toutes les tranches d’âges : 18% chez les 45-64 ans (11% en 2019), 41% chez les 65-74 ans (20% en 2019), 49% chez les 75-84 ans (31% en 2019) et 60% chez les 85 ans et plus (46% en 2019).
Discussion
Cette étude a mis en évidence une baisse importante, de près de 50%, du nombre de passages aux urgences pour AcVC pendant la période de confinement, par rapport à la même période en 2019. Cette baisse concerne tous les âges, et les hommes aussi bien que les femmes. Le nombre de passages aux urgences des accidents graves au domicile a augmenté chez les enfants et chez les personnes âgées. La part des accidents graves parmi l’ensemble des AcVC enregistrés aux urgences pendant la période de confinement était ainsi plus importante qu’en 2019.
La baisse des recours aux urgences pour des pathologies autres que le Covid-19 a également été observée en Chine, en Nouvelle-Zélande et en Espagne. Le moindre recours aux urgences pourrait être lié à la peur des patients d’être contaminé par le virus, comme cela a pu être mis en évidence pour d’autres pathologies, notamment les urgences vitales cardio- et neuro-vasculaires. Les personnes accidentées ont pu également limiter le recours aux urgences à la suite de leur accident, par souci de ne pas engorger les urgences et n’ont par conséquent pas consulté aux urgences ou se sont tournés vers un autre professionnel de santé ou SOS médecins. Enfin, les mesures gouvernementales de confinement, mises en place à partir du 16 mars 2020, impliquant notamment la fermeture des écoles et des déplacements brefs liés à l’activité physique individuelle des personnes (sans limitation de durée et de distance, puis à partir du 23 mars, limités à 1 heure par jour et dans un rayon de 1 km autour du domicile) ont de fait réduit la survenue d’accidents en lien avec ces activités pendant la période de confinement.
Chez les enfants, le nombre de passages aux urgences pour AcVC a baissé de manière importante chez les 5-14 ans et plus légèrement chez les moins de 5 ans, d’où une part de l’activité aux urgences des moins de 5 ans plus importante pendant cette période de confinement. Les restrictions d’activités imposées par le confinement ont réduit fortement l’exposition des enfants à ces activités, et ainsi la survenue d’AcVC. En effet, chez les 5-14 ans, plus de la moitié des AcVC surviennent hors du domicile, alors que chez les moins de 5 ans, entre 60% et 93% des AcVC surviennent au domicile. Ainsi, pour cette tranche d’âge, les accidents au domicile ont continué à se produire pendant la période de confinement et ont même pu augmenter pour certains mécanismes accidentels, tels que l’ingestion de corps étrangers, les brûlures, les intoxications/ingestions de produits chimiques. La baisse a aussi concerné les passages aux urgences pour cas graves d’AcVC chez les moins de 15 ans (-26%). Néanmoins, le nombre de passages aux urgences pour cas graves a légèrement diminué chez les 2-4 ans et est resté stable chez les moins de 2 ans, d’où une part de l’activité aux urgences des cas graves plus importante pour cette tranche d’âge par rapport aux 5-14 ans. Pour les accidents domestiques, les passages aux urgences des cas graves ont augmenté pour toutes les classes d’âges, ce qui confirme l’impression remontée des urgentistes du terrain d’une augmentation du nombre de cas graves d’accidents domestiques chez les enfants. Cette augmentation des cas graves a été observée en lien avec une chute. La modification des modes de vie familiaux du fait du confinement (télétravail, surveillance en continu de plusieurs enfants au domicile, école à la maison, préoccupation en lien avec la maladie, etc.) a pu modifier les comportements des parents vis-à-vis de la surveillance de leurs enfants. L’enquête CoviPrev de Santé publique France en population générale pourra apporter des enseignements sur l’évolution des comportements des français pendant l’épidémie (confinement, activité physique, etc.).
Chez les personnes âgées de 45 ans et plus, le nombre de passages aux urgences des cas graves est resté stable par rapport à l’année précédente et le nombre d’accidents graves survenant au domicile a augmenté chez les 65-84 ans. Ces accidents étaient en lien avec une chute. La limitation de la mobilité et des liens sociaux (famille, aidants, professionnels de santé, etc.), les effets psychologiques potentiels en lien avec la pandémie de la covid-19 et les comorbidités prévalentes ont pu augmenter les risques d’accidents et principalement de chute chez les personnes âgées. Une étude chinoise a mis en évidence une part élevée des fractures de la hanche chez des personnes âgées de plus de 65 ans pendant la période de confinement, résultats 2 à 3 fois plus élevé que la part habituellement rapportée dans la littérature. De plus, le nombre d’accidents graves en lien avec des activités de jardinage a augmenté chez les 45-74 ans. La population confinée a passé plus de temps au domicile, consacrant ainsi plus de temps aux travaux domestiques, avec l’utilisation d’outils ou de matériels difficiles d’utilisation ou inconnus pour certains, entraînant plus d’accidents.
Le système de surveillance EPAC est le seul système en France qui fournit en continu des informations précises sur les circonstances des AcVC en population générale. Les 10 hôpitaux participant à ce réseau sont constants depuis de nombreuses années ce qui favorise une remontée des données homogènes et la comparaison des données d’années en années. Des analyses de qualité des données sont réalisées chaque année, dans chaque hôpital du réseau, afin de s’assurer de l’exhaustivité et de la fiabilité du recueil des données et ainsi de contribuer à l’homogénéité du codage entre les hôpitaux. Le réseau EPAC est très réactif et en capacité, dans des circonstances sanitaires exceptionnelles, de remonter des données à Santé publique France quasi en temps réel. La limite principale de ce système est liée au faible nombre de services d’urgences participant, rendant difficiles les extrapolations des résultats à l’ensemble de la population, ces services d’urgences étant non représentatifs de l’ensemble des 600 services d’urgences en France. Néanmoins, l’objectif de cette étude était de comparer les données d’AcVC pendant la période de confinement avec les données de l’année précédente des mêmes services d’urgences pour les deux années : le volume important des données (7 115 passages sur la période d’analyse en 2020 vs 15 881 en 2019), ainsi que l’homogénéité des hôpitaux participant au système permet de répondre à cet objectif, en limitant les biais d’inclusion et de codage.
Ces premiers résultats doivent être complétés avec l’analyse de l’évolution des recours aux urgences pour AcVC durant la période de confinement et en ciblant spécifiquement les accidents domestiques auprès des enfants et des personnes âgées, personnes les plus vulnérables face au risque d’accidents domestiques. Le système de Surveillance sanitaire des urgences et des décès (SurSaUD®) à travers les données du réseau Oscour® (organisation de la surveillance coordonnée des urgences) et de SOS médecins pourra venir compléter les données de l’enquête EPAC, afin de décrire les tendances, sur l’ensemble du territoire, de certains types d’accidents (brûlures, ingestion corps étrangers, etc.). Cependant, bien que disponibles pour la majorité des services d’urgences en France, ces données ne permettent pas d’avoir des informations détaillées sur la personne accidentée et les caractéristiques de l’accident, comme celles de l’enquête EPAC.
La production de ces connaissances est utile pour adapter la prévention des AcVC, et plus particulièrement celle des accidents domestiques durant une période de confinement, à destination des jeunes enfants, en rappelant les précautions à prendre telles que celles rapportées par l’Académie nationale de médecine, et des personnes âgées. De plus, malgré la présence de la Covid-19, il est indispensable de rester attentif à sa santé et de se faire soigner sans attendre, en contactant son médecin, qui jugera de la nécessité d’aller aux urgences et/ou en appelant le 15 en cas d’urgence.