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La sécurité des ponts en six questions
Publié le 15 mars 2024
Depuis un état des lieux réalisé par le Sénat en 2019, la sécurité des ponts ne semble pas acquise. 10 000 ouvrages nécessitent des "mesures de sécurité immédiates" selon les dernières auditions menées par le Sénat. Qu'est-ce qu'un pont ? Qui est responsable de leur entretien ?
Sommaire
1 Les ponts sont-ils en bon état en France ?
2 Quelles ont été les mesures prises depuis 2019 ?
3 Quelle est la réglementation pour construire un pont ?
4 Qui sont les propriétaires des ponts ?
5 Qui est chargé de la gestion et de l'entretien des ponts ?
6 Comment sont organisés la surveillance et l'entretien des ponts ?
1 Les ponts sont-ils en bon état en France ?
Après l'effondrement du pont Morandi à Gênes en 2018, le Sénat publie en 2019 un rapport d'évaluation des ponts et des ouvrages d'art en France. Le document juge la situation "alarmante" avec 25 000 ponts en mauvais état et posant des problèmes de sécurité et de disponibilité pour les usagers. Les ponts gérés par les communes et les intercommunalités sont "dans un état encore plus préoccupant" que les autres. Le rapport explique la dégradation de l'état par plusieurs facteurs :
- le vieillissement des ouvrages construits après-guerre : nombreux arrivent en fin de vie, certains en béton de première génération sont plus à risques, par exemple ;
- un sous-investissement chronique dans l'entretien des ponts : dépenses de l'État inférieures aux valeurs de référence, baisse des dotations aux collectivités qui ont diminué leurs dépenses de voierie ;
- des lacunes dans la surveillance et l'entretien des ouvrages (limites de l'évaluation de l'État, manque d'effectifs pour l'entretien, déficit de compétences, notamment).
En 2021, un rapport de l'Observatoire national de la route (ONR) souligne que "l'état du patrimoine de ponts est globalement moins bon en 2020 que les années précédentes, pour l'État et les départements."
La poursuite de la dégradation des ponts en France est ensuite constatée dans un nouveau rapport sénatorial en 2022. 30 à 35 000 ouvrages seraient en mauvais état, dont :
- 7% des ponts du réseau routier national non concédé (854 ouvrages) et 12% en surface ;
- 2,1% des ponts du réseau routier national concédé (253) ;
- au moins 10% des ouvrages départementaux (10 000) contre 8,5% en 2019 ;
- et 23% des ponts communaux (23 000) contre 18 à 20% en 2019.
En 2019, le rapport d'information du Sénat appelle à un véritable "plan Marshall ", notamment :
- allouer 120 millions € par an à l’entretien des ouvrages d’art de l’État dès 2020 ;
- créer un fonds d’aide aux collectivités territoriales de 130 millions d’euros par an pendant 10 ans et 1,3 milliard € à l'horizon 2030 pour réparer les ponts des communes ;
- mettre en place un système d’information géographique (SIG) national pour référencer tous les ouvrages d’art en France ;
- instituer un "carnet de santé" pour chaque pont (suivi de l'évolution de son état, actions de surveillance et d’entretien nécessaires) ;
- apporter une offre d’ingénierie aux collectivités via l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT).
Cinq ans après ce rapport, le Sénat organise une table ronde sur l'état des ponts le 13 mars 2024. Au cours des auditions, le Cerema (centre d’expertise pour les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement), précise que 55 000 à 60 000 ouvrages, sur près de 15 000 communes, auront fait à terme l’objet d’un diagnostic. Environ 25% sont en bon état, 25% sont très dégradés et nécessitent des travaux, voire des mesures d’urgence (pour 10% d’entre eux), 50% sont dans un état "moyen".
Qu'est-ce qu'un pont ?
Un pont est un ouvrage d'art utilisé pour passer un obstacle (rivière, autoroute, par exemple). La construction peut supporter une route, une voie ferrée, un canal ou une canalisation (aqueduc, par exemple). Il existe différents façons de classer les ponts, en se basant notamment sur le matériau utilisé (béton, acier...) ou leur mode de fonctionnement (pont fixe ou tournant, par exemple). Il existe trois types de pont en fonction de leur structure :
- ponts à voûtes : type d'ouvrage le plus ancien et le plus classique. La plupart des ponts à Paris, comme le pont Neuf, par exemple ou le pont du Gard, aqueduc romain construit au Ier siècle après J.-C. ;
- ponts à poutres : une poutre (tablier) posée sur deux appuis. Ce sont les ponts types. Présents sur les autoroutes, en particulier. Le pont de l’île de Ré est l'un des plus grands, par exemple ;
- ponts à câbles : pièces en acier dont la résistance est quatre à cinq fois supérieure à celle d’une tôle de charpente. Les ponts suspendus ont une structure porteuse, le grand câble. "Le tablier, sur lequel passent les voitures, est suspendu à ce câble porteur par des petits câbles verticaux qu’on appelle les suspentes".
2 Quelles ont été les mesures prises depuis 2019 ?
En réponse au rapport sénatorial, un Programme national ponts (PNP) est mis en place (40 millions d'euros dans le cadre de France Relance). Piloté par le Cerema, il a pour but d'accompagner les collectivités dans l’entretien et la modernisation de leurs infrastructures.
Première phase du PNP : le recensement et l'évaluation des ouvrages débutés en janvier 2021. 11 500 communes s’engagent dans ce dispositif et disposent d'un carnet de santé des murs et ponts. En octobre 2022, plus de 40 000 ouvrages avaient fait l'objet d'une visite et plus de 19 000 carnets de santé ont été remis aux communes.
Trois ans après, le nouveau rapport de la Commission de l'aménagement du territoire du Sénat fait un bilan d'étape : 8 recommandations sur 10 formulées en 2019 ont fait l'objet de mesures gouvernementales, mais ce taux satisfaisant masque "une mise en œuvre largement insuffisante". Le document est particulièrement critique sur le montant insuffisant des financements.
En 2023, l'État a :
- étendu le programme de recensement et d’évaluation d’ouvrages à près de 20 000 communes (Programme national Ponts 2) ;
- mobilisé 35 millions d'euros pour la réparation des ouvrages les plus dégradés et présentant un enjeu majeur de sécurité.
Par ailleurs, les communes propriétaires de ponts peuvent bénéficier de :
- dotations de soutien à l'investissement local : une instruction du 8 février 2023 qui invite à "mobiliser ces crédits pour les travaux d'aménagement urbains et la sécurisation des ouvrages d'art relevant de la compétence des communes" ;
- financements de la Banque des territoires : le Mobi Prêt pour rénovation d'ouvrages d'art, par exemple ;
- un service gratuit d'accompagnement "SOS Ponts" pour guider les communes dans les étapes d'entretien et de rénovation des ponts ;
- un guide de surveillance et d'entretien des ouvrages d'art routiers.
La table ronde du Sénat du 13 mars 2024 a montré que le budget, "loin des 130 millions par an chiffrés en 2019 pour aider les communes", est jugé insuffisant mais les subventions ne sont pas totalement utilisées. "La complexité des dossiers" pourrait décourager les collectivités.
3 Quelle est la réglementation pour construire un pont ?
Un pont est un ouvrage d'art. L'ouvrage doit respectée des normes d'exécution complexes portant sur la fiabilité, la durabilité, l'environnement et la sécurité des usagers ainsi que sur l'esthétique.
La procédure préalable à la construction d'un pont prévoit, notamment :
- une évaluation environnementale obligatoire lorsque des travaux qui "par leur nature, leur dimension ou leur localisation" peuvent avoir "des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine" (article L122-1 code de l'environnement) ;
- une autorisation ou une déclaration : demande d'autorisation obligatoire, par exemple, quand un pont modifie le lit d'un cours d'eau (article L214-1 du code de l’environnement).
Les règles techniques de conception sont différentes selon le type de structure. Pour construire un pont en béton, par exemple, il existe des normes obligatoires, dont :
- les eurocodes : normes européennes de conception, de dimensionnement et de justification des structures de génie civil, élaborées par le Comité européen de normalisation (CEN) ;
- la prévention des risques sismiques : les ponts font l’objet d’une réglementation parasismique particulière (article R563-6 du code de l’environnement).
4 Qui sont les propriétaires des ponts ?
Le pont appartient au propriétaire de la voie portée, selon une jurisprudence constante depuis une décision du Conseil d'État en 1906. Par exemple, l'État est propriétaire des ponts qui portent une autoroute ou une route nationale. Un ouvrage supportant une route départementale appartient au département (domanialité des ouvrages d'art - Cerema). Le pont est considéré comme "un élément constitutif des voies dont il assure la continuité".
Il existe toutefois un nombre incertain de "ponts orphelins", dont la domanialité n'est pas connue. Il s'agit d'ouvrages anciens construits par des maîtres d'ouvrages qui ont disparu sans que le transfert à un gestionnaire de voirie n'ait été acté. Certains sont en très mauvais état mais leur entretien n'est pas pris en charge.
On doit distinguer propriété et gestion de l'ouvrage. Le propriétaire de l'ouvrage n'est pas toujours le gestionnaire, il peut déléguer la surveillance et l'entretien du pont. Il conserve toutefois ses responsabilités en tant que maître d'ouvrage (il doit prouver en cas d'accident dû à une défectuosité qu’il a tout mis en œuvre pour l’éviter).
5 Qui est chargé de la gestion et de l'entretien des ponts ?
En règle générale, le propriétaire du pont doit en assurer la surveillance, l'entretien, la réparation et son renouvellement éventuel. L'entretien des routes départementales et communales est à la charge des collectivités.
Toutefois, le propriétaire n'est pas toujours le gestionnaire de l'ouvrage. Il peut signer une convention avec un gestionnaire de la voie portée par le pont. Le contrat fixe les modalités de répartition entre gestionnaire et propriétaire des dépenses de surveillance, d'entretien, de réparation et de renouvellement du pont. Par exemple, les sociétés concessionnaires d'autoroutes sont chargées, par l'État, de l'entretien de leur passages supérieurs. Dans le cas du réseau routier national non concédé, l’État délègue la gestion à la direction interdépartementale des routes (DIR) pour les ouvrages imposants.
Depuis la "loi Didier" de 2014 (article L2123-9 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques), les ponts construits pour rétablir une voie de communication appartenant à une collectivité territoriale (route départementale, par exemple) interrompue par une infrastructure de transport de l’État ou de ses établissements publics (réseau routier, ferroviaire et fluvial de l’État, de SNCF Réseau ou de Voies navigables de France) font l’objet de conventions entre les propriétaires ou gestionnaires des voies portées. Elles fixent la répartition de la gestion des ouvrages et de la charge financière de la surveillance, l’entretien, la réparation et le renouvellement des ponts.
La gestion et l'entretien des ponts suppose de connaître l'étendue du patrimoine. Le nombre de ponts n'est pas connu précisément en France. Sur les 200 000 à 250 000 ponts routiers estimés par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (2019 et 2022) :
- 90% sont gérés par les collectivités territoriales : communes et EPCI (80 à 100 000 ponts) et départements (100 à 120 000 ouvrages) ;
- 10% par l'État, c'est-à-dire le réseau routier national non concédé (RRNNC) qui gère 12 000 ponts et le réseau routier national concédé (RRNC) en charge de 12 000 ponts.
6 Comment sont organisés la surveillance et l'entretien des ponts ?
La surveillance et l’entretien des ouvrages d'art du réseau routier national, encadrés par l’Instruction technique pour la surveillance et l’entretien des ouvrages d’art (ITSEOA) prévoit:
- un contrôle des ponts tous les ans ;
- une évaluation de l'état des ouvrages tous les trois ans ;
- des inspections détaillées tous les six ans sur les ouvrages non courants ou pathologiques, ou lorsque c'est nécessaire.
L'évaluation des ponts suit la démarche IQOA (Image de la Qualité des Ouvrages d'art) qui permet de classer les ouvrages en cinq classes : du bon état apparent à une construction "gravement altérée et nécessitant des travaux de réparation urgents" (classe 3U).
L'ITSEOA prévoit également trois types d'entretien :
- entretien courant chaque année (par exemple : enlèvement de la végétation ou évacuation des eaux pluviales) ;
- entretien spécialisé sur les équipements et les éléments de protection et défauts mineurs ne remettant pas en cause la capacité portante de l'ouvrage (par exemple : changement d'un joint de chaussée). Nécessite le recours à des entreprises spécialisées dans l'entretien des ouvrages d'art ;
- réparation : remise partielle ou totale d'un ouvrage dans son état de service initial par des entreprises spécialisées.
Sur le réseau routier concédé, les concessionnaires évaluent la performance de gestion chaque année à partir d'indicateurs de performance. L'État contrôle :
- les notes IQOA du patrimoine et les budgets prévisionnels consacrés aux ouvrages d'art dans les trois années à venir ;
- l'état d'entretien des ouvrages d'art du réseau concédé lors de différents audits.