Nous vous proposons aujourd’hui des extraits (début et conclusion) d’un rapport de M. Mohamed Harfi publié dans la note d’analyse n° 157 de juillet 2025 sur le site du Haut-Commissariat à la Stratégie et au Plan (cliquer ici pour accéder au site du Haut-Commissariat à la Stratégie et au Plan)
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Les aides aux entreprises en France : de quoi parle-t-on ?
On parle beaucoup des aides aux entreprises mais il n’y a de consensus ni sur leur périmètre ni sur leur montant total. Si on retient la définition juridique européenne, les ”aides d’État” en France s’élevaient à 45 milliards € en 2022 (ou 25 milliards sans les mesures Covid). Mais ce périmètre exclut des soutiens qui s’appliquent à toutes les entreprises − soit l’essentiel des exonérations de cotisations sociales − sans viser un secteur ou une entreprise en particulier.
Une seconde approche retient un périmètre plus large, englobant quatre catégories de mécanismes : les subventions, les dépenses fiscales et les aides financières et certaines exonérations de cotisations sociales. Le total des aides aux entreprises en France s’élève alors à près de 112 milliards €. Les subventions recensées en 2023 comptent pour 39,4 milliards, avec trois dispositifs totalisant 9 milliards (aides à l’apprentissage, soutien au photovoltaïque et rénovations du réseau ferroviaire). Les dépenses fiscales représentent 52 milliards €, dont 23 milliards pour l’impôt sur les sociétés et 23 milliards pour les réductions de TVA. Les aides financières, sous forme de prêts, de garanties ou de participations, sont estimées à 17,3 milliards €.
Ce périmètre peut être encore élargi. D’autres sources de financement public font l’objet de débat sur leur qualification même d’aides aux entreprises. Sur les 74 milliards d’euros de dépenses sociales recensées en 2023, plus de 70 milliards correspondent aux réductions générales de cotisations sociales, qui s’appliquent à toutes les entreprises. Il y a aussi les aides des collectivités locales (7 milliards) et les subventions européennes (10 milliards). Enfin, certains dispositifs plus controversés ne sont pas inclus, notamment des dépenses « déclassées » par l’administration fiscale (tel le « régime mères-filles », 29 milliards) ou des exemptions d’assiette de cotisations sociales pour des dispositifs comme l’épargne salariale (entre 5 et 14 milliards selon le périmètre retenu).
Au-delà de l’estimation du coût total, l’enjeu est la multiplicité des dispositifs, pour la plupart non évalués, avec à la clé un problème d’information et de clarté, pour les entreprises comme pour les citoyens, ce qui constitue également un enjeu démocratique. Ce sont cette stabilité et cette transparence que nous proposons d’améliorer en priorité.
CONCLUSION
En mobilisant les aides aux entreprises, l’État et les autres acteurs publics visent des objectifs de politique publique. Il s’agit notamment d’inciter des entreprises à investir davantage dans la R & D (crédit d’impôt recherche, crédit d’impôt innovation), la production d’énergies renouvelables et les activités de rénovation énergétique, à recruter davantage les jeunes et à contribuer à les former (aides à l’apprentissage, exonérations de charges sociales), à améliorer la situation pour les emplois non qualifiés (aides au recrutement des chômeurs éloignés de l’emploi, exonérations de cotisations sociales), etc. Certains dispositifs sont ciblés sur des activités économiques bien spécifiques, comme des réductions de TVA sur la restauration ou des exonérations ciblées sur différentes sources d’énergie. D’autres aides visent la continuité territoriale des services publics ou le développement des infrastructures publiques (par exemple les compensations pour charges de service public de La Poste et de la SNCF).
Disposer d’une estimation de l’ensemble de ces aides et d’une analyse de leurs caractéristiques est essentiel pour améliorer l’efficacité de l’action publique. Il apparaît donc nécessaire de fixer une définition des aides aux entreprises et d’en donner le montant à périmètre constant chaque année. Ces éléments stables devraient être présentés en annexe conjointe du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Au niveau européen, une réflexion sur le périmètre des aides aux entreprises serait aussi à engager. En effet, la publication annuelle par la Commission des seules aides en conformité avec les règles juridiques européennes présente des limites. Elle ne permet pas notamment de mener des comparaisons pertinentes entre les pays membres sur un périmètre large.
L’enjeu est aussi celui de la multiplicité des dispositifs, dont beaucoup ne sont pas évalués. Il en résulte un problème d’information et de clarté, pour les acteurs privés comme pour les acteurs publics. Du point de vue des acteurs privés, cette multiplicité des dispositifs risque d’avantager les entreprises − souvent les plus grandes − qui investissent dans la maîtrise de la complexité administrative, des techniques d’optimisation fiscale et des évolutions liées à l’instabilité des politiques publiques. En outre, les gains ne sont pas toujours lisibles pour les entreprises du fait notamment de la divergence entre les taux nominaux des prélèvements, comme l’impôt sur les sociétés et les cotisations sociales, et les taux qui leur sont effectivement appliqués.
Pour les acteurs publics, disposer d’autant d’instruments que l’on poursuit d’objectifs est une règle usuelle de politique économique. Or, la multiplication des moyens visant les mêmes objectifs ne permet pas toujours d’avoir une vue panoramique. Seules quelques annexes budgétaires se livrent à un tel exercice, comme les documents « jaunes » budgétaires ou les documents de politique transversale. L’enjeu est donc celui de l’efficacité de la dépense publique car le foisonnement des dispositifs implique aussi leur redondance, voire un risque de cumul d’aides par les entreprises.
Rendre lisible et évaluer régulièrement les aides aux entreprises constitue enfin un enjeu de débat démocratique, qu’il conviendrait d’éclairer sur l’intérêt de ces aides et sur leur efficacité au regard des objectifs politiques et des moyens publics mobilisés.
Recensement complet sur un périmètre figé, définition claire, dispositifs stables et évalués systématiquement (tous les trois à cinq ans) : là résiderait une amélioration, démocratique et efficace, des aides aux entreprises.