Article de M. Pascal Aubert lu le 17 janvier sur le site de La Tribune
Juré, craché, il n'y aurait plus de polémique sur la fixation du taux du livret A, avait décidé en 2003 le gouvernement dirigé par Jean-Pierre Raffarin. Une formule mathématique avait été mise au point dont l'application devait mettre fin aux soupçons de manipulation auxquels donnaient lieu les modifications du taux de rémunération du produit d'épargne fétiche des Français, surtout à l'approche d'échéances électorales. Tout le monde s'était alors réjoui de la transparence du procédé qui, on l'espérait, allait " dépolitiser " la méthode de fixation des taux de l'épargne administrée, et au premier chef du livret A.
Dans l'euphorie du moment, personne ne s'était formalisé de la possibilité que se gardait le gouvernement - sur la suggestion du gouverneur de la Banque de France - d'invoquer des " circonstances exceptionnelles " pour fixer autoritairement le taux du livret A. À tort visiblement.
Hier, le gouvernement a utilisé cette disposition dérogatoire pour priver les 45 millions de détenteurs de livret A d'un demi-point de taux d'intérêt auquel ils auraient pu prétendre en vertu de la stricte application de la formule mathématique. À ceux qui seraient tentés de regretter ce manque à gagner, François Fillon répondait préventivement hier que le nouveau taux de 3,5 % était supérieur à l'inflation et que le pouvoir d'achat des Français était préservé. À ceux qui pourraient lui reprocher la propension des pouvoirs publics à s'ingérer dans toutes les décisions jusques et y compris dans celles dont il dit vouloir s'affranchir, le chef du gouvernement pourrait objecter que personne, ou presque, ne s'indigne lorsque Bercy limite arbitrairement l'augmentation des tarifs du gaz.
Pourtant, cet épisode du livret A montre une fois encore que le politique entretient des rapports difficiles avec les chiffres et les lois de l'économie. Et qu'il a même du mal à respecter les règles qu'il choisit de s'imposer. La preuve ? La fameuse formule mathématique qui devait couper court aux querelles et aux contestations n'ayant pas les vertus magiques qu'on lui attribuait, la décision est d'ores et déjà prise de la modifier. Un nouveau mode de calcul va donc voir le jour. Jusqu'à ce qu'on y décèle une faille... Et que les pouvoirs publics décident de changer à nouveau la règle du jeu ! Vous avez dit " dépolitiser " ?