Article de M. Jean-Yves Nau lu le 16 janvier 2008 sur le site du Monde
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3244,36-999946@51-628865,0.html
Les phénomènes de multirésistance des bactéries aux antibiotiques utilisés en médecine peuvent-ils aujourd'hui être observés à l'échelon planétaire ? On peut le craindre, au vu d'une étude de chercheurs suédois publiée dans le dernier numéro d'Emerging Infectious Diseases Journal, une revue des Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies. Dirigés par le docteur Björn Olsen (université d'Uppsala), ces scientifiques ont voulu savoir si les bactéries Escherichia coli présentes chez les oiseaux vivant dans l'Arctique étaient résistantes aux antibiotiques, comme elles peuvent fréquemment l'être dans les pays industrialisés.
Organisée dans le cadre de l'Année polaire internationale, leur enquête a été menée dans trois régions reculées : le nord-est de la Sibérie, l'Alaska et le nord du Groenland. Des échantillons biologiques ont été prélevés dans les excréments ou le tube digestif de 97 oiseaux. Les souches bactériennes ont ensuite été testées vis-à-vis de 17 types de médicaments antibiotiques couvrant tout le spectre de ceux habituellement utilisés en médecine. Les chercheurs suédois expliquent, au total, avoir pu mettre en évidence des phénomènes de résistance bactérienne pour 14 des 17 antibiotiques.
Cette étude suit différents travaux qui avaient déjà mis en évidence un phénomène similaire chez des oiseaux migrateurs présents en Amérique du Nord et en Europe.
Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer l'apparition d'une antibiorésistance chez des oiseaux sauvages dans des régions où l'homme est quasiment absent. On peut imaginer que ce phénomène est la conséquence de mutations spontanées au sein du génome de la bactérie Escherichia coli, ou du transfert de gènes de résistance à partir du génome d'autres bactéries naturellement présentes dans l'environnement (transmission dite "horizontale").
Les bactéries multirésistantes aux antibiotiques peuvent aussi être importées en Arctique, soit par des oiseaux migrateurs, soit du fait de la - rare - présence humaine via des aliments ou des excrétions, expliquent les chercheurs suédois.
La région du détroit de Béring est une zone où s'alimentent un grand nombre d'oiseaux. C'est aussi une zone de passage de nombreux migrateurs venus des six continents. On peut en conclure que la multirésistance bactérienne aux antibiotiques observée chez les oiseaux en Arctique a été acquise sous d'autres latitudes avant d'être transmise localement entre oiseaux.
"Ce travail montre clairement qu'il existe une dissémination passive de bactéries par les oiseaux migrateurs, l'hypothèse de mutations spontanées pouvant être exclue, estime Patrice Courvalin, directeur de l'unité des agents antibactériens de l'Institut Pasteur de Paris. Les résistances observées sont aussi celles qui sont le plus fréquemment observées chez des bactéries pathogènes pour l'homme. On peut dire aujourd'hui que la mondialisation des échanges, associée à la multiplicité et à l'efficacité des voies de dissémination de souches bactériennes multirésistantes, fait que personne, quels que soient sa localisation géographique, son mode de vie, et son environnement, n'est protégé vis-à-vis de ce phénomène."