Il faut 500.000 logements : comment faire ?
Chronique de MM. De Boissieu, Lorenzi et Pastré lu le 21 février 2008 sur le site de La Tribune
Spontanément, le marché conduit à la pénurie dans le secteur du logement social. Christian de Boissieu, Jean-Hervé Lorenzi et Olivier Pastré, respectivement professeurs à l'Université Paris I, Paris-Dauphine et Paris VIII, rappellent les formidables enjeux de cette problématique.
Le rapport Attali et le président de la république l'affirment: il faut construire 500.000 logements par an si l'on veut faire face à la croissance des besoins et si l'on veut rattraper le retard accumulé au fil des années, estimé à 600.000 logements. La Fondation Abbé Pierre, qui vient de sortir son rapport, va dans le même sens : 2 millions de personnes ne sont pas satisfaites de leurs conditions de logement et, sur ce nombre, 600.000 sont mal logées.
Le besoin s'exprime d'abord en nombre de logements mis en chantier chaque année. Mais il y a aussi un problème de fluidité du marché. Il est nécessaire de construire à la fois plus de logements en accession à la propriété, plus de logements locatifs et plus de HLM. C'est à cette condition que les Français pourront passer d'une catégorie de logement à une autre, avec une mobilité plus élevée qu'aujourd'hui.
C'est en particulier grâce à des taux de rotations accrus dans le parc HLM que l'on dégagera des possibilités pour les plus mal logés. C'est aussi grâce à la mise en location chaque année d'un nombre important de logements neufs qu'il y aura concurrence sur les loyers et que leur niveau demeurera raisonnable.
Les experts et les politiques convergent sur ce constat. Et pourtant le chiffre, déjà élevé, de mises en chantier en 2007 risque de chuter sensiblement et de repasser en dessous des 400.000 logements en 2008. Souvenons-nous qu'au début des années 2000, la France ne construisait que 300.000 logements par an.
Tout se conjugue pour cette baisse de la production, en particulier les problèmes de solvabilité des ménages face à une augmentation de 143%, en dix ans, des prix de l'accession à la propriété, la hausse des coûts de construction, suite à la hausse du prix des matières premières et à l'empilement des normes...
Le Grenelle de l'environnement, si justifiées que soient toutes les mesures individuelles, risque de renchérir certains coûts, sans oublier la hausse continue du prix du foncier. Il faut y ajouter la frilosité des maires pour construire des logements sociaux. Enfin, les HLM n'arrivent pas, malgré leurs efforts, à construire 12.000 logements par an et devraient, en 2008 comme en 2007, être assez loin du compte. Spontanément le marché conduit donc à la pénurie dans ce secteur du logement.
La commission Attali, étiquetée libérale dans ses préconisations, a, au contraire, indiqué que dans le logement, il fallait que l'Etat reprenne la main. Il est nécessaire de stimuler la construction, toutes catégories de logements confondus. Cela ne se fera pas sans une volonté politique forte sur toutes les composantes de l'offre de logements. Le secteur HLM comporte encore trop d'entreprises de taille et de capacité insuffisantes, qu'il s'agisse d'offices, d'OPAC ou de sociétés anonymes.
Le mouvement de consolidation en cours avec l'aide du 1% a pour but de faire émerger des entreprises solides capables de construire. Mais ce mouvement est trop lent. Pour l'investissement locatif, nous avons dans notre pays des gens inquiets pour leurs retraites. Faisons en sorte qu'ils investissent dans la pierre, comme ils investissent dans l'assurance-vie.
A cet égard, les dispositifs Robien et Borloo, malgré certains excès aujourd'hui corrigés, doivent plutôt être améliorés que supprimés, d'autant que les rentrées de TVA générées par ces investissements sont supérieures, pour le budget, au manque à gagner dû à l'amortissement fiscal des particuliers. Depuis 2000 ce système a pu permettre de construire 300.000 logements avec une réelle concurrence des loyers.
Puisque les besoins se trouvent surtout dans le domaine social, il faut favoriser la mise au point d'un nouveau régime où des logements sociaux seraient produits par le secteur privé, gérés par des associations ou des organismes HLM et détenus par des investisseurs privés. Si les avantages fiscaux sont à la hauteur, ce nouveau dispositif devrait produire des logements en nombre suffisant. Le logement serait alors vraiment social, non pas à cause de son statut, mais en raison des loyers pratiqués et des ressources des occupants.
Interrogeons-nous également sur les conditions qui feraient que les investisseurs institutionnels réinvestiraient dans la pierre alors qu'ils ont souvent préféré vendre à la découpe. Pour l'accession à la propriété, la seule question est comment retrouver des prix plus raisonnables. Les propositions de la commission Attali, qui permettraient de densifier et d'éviter le mitage du territoire, sont essentielles. Certains coefficients d'occupation des sols sont manifestement malthusiens, comme certains tabous sur la hauteur autorisée des immeubles.
Une mobilisation nationale est indispensable sur ce sujet. N'oublions pas que l'immobilier au sens large contribue de façon significative à la croissance économique, et que la construction d'un logement conduit à la création d'un à deux emplois. Avec la question du pouvoir d'achat, il n'y a pas beaucoup d'autres dossiers présentant un tel enjeu.