D'un côté, bien sûr, il y a cette fascination pour la liberté que paraissent procurer les technologies de l'information et de la communication (TIC). Cette sensation de maîtriser le temps, de se l'approprier et de le tordre à sa façon. Cette toute puissance apparente à s'affranchir de ses contingences, comme de celles de l'espace, qui lui sont liées. Mobiles, mobiles... joignables (ou joignant) à toute heure. Maîtres de l'ubiquité existentielle. Qui donne, dans sa version tératologique, les drogués du BlackBerry, de Messenger ou de la norme 3G.
De l'autre, il y a la tyrannie qui en découle, comme de tous les excès : c'est-à-dire l'urgence, cette violence faite au temps. Il n'y a plus de liberté, mais un impératif, cette fois, de maîtriser le temps. Et urgemment. Le temps, depuis l'aube du capitalisme, c'est de l'argent. Qui pousse donc au temps réel : dictature pour les uns, ou assise, pour d'autres, d'une économie contemporaine bien ordonnée.
Certains, cependant, en reviennent.
Du haut de l'Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE), François Fatoux, son délégué général, fait par exemple le constat (in la Revue civique, printemps 2008) que "les e-mails pourraient générer des impacts négatifs sur les processus de décisions à cause de la rapidité de la prise de décision qu'elle engendre par son immédiateté". Et d'expliquer, pour cause : que lorsqu'on répond instantanément, on réfléchit moins. Le bon sens l'avait déjà traduit : mieux vaut tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler. Ou tremper sa plume sept fois dans l'encrier. "On commence à constater, explique M. Fatoux, que les professionnels passent davantage de temps à réparer les erreurs d'un e-mail écrit précipitamment." Ce qui, évidemment, a un coût.
C'est que, dans la communication par courriels, les effets indirects s'avèrent assez contre-productifs. La montée en puissance des messageries électroniques a provoqué une surcharge d'informations qui, faute d'organisation pour les trier, occasionne des pertes de temps. La possibilité de remettre instantanément un message à son destinataire a augmenté les interruptions inopinées, qui hachent le travail et la réflexion.
Des chercheurs britanniques, auscultant en 2003 un groupe de fournitures en bureautique, ont même calculé qu'un salarié interrompu dans sa tâche par l'arrivée d'un nouveau message avait besoin de 64 secondes, en moyenne, pour retrouver son niveau de concentration sur le travail délaissé. Et qu'il répondait à 85 % des messages dans les deux minutes suivant leur arrivée.
Sur cette veine des réponses du tac au tac, on pourrait greffer d'autres effets négatifs plus "qualitatifs", comme... l'escalade des conflits. Gare aux réponses spontanées à des messages perçus comme conflictuels (mais qui ne le sont pas) et qui finissent par enflammer toute une liste de distribution grâce à la "copie conforme" et au "répondre à tous" ! Les conflits naissent souvent de mauvaises interprétations de messages trop vite rédigés ou trop vite lus, de consignes mal appréhendées, dont le sens aurait été plus sûrement validé par un échange au téléphone.
Pour beaucoup, la messagerie électronique, de symbole de rapidité, est devenue synonyme de stress. De quoi nourrir le baromètre stress de la Confédération française de l'encadrement, la CGC, aujourd'hui à son plus haut niveau depuis 2004. 44 % des cadres interrogés se plaignent d'être "souvent" interrompus dans leur travail. Et deux tiers d'entre eux jugent insuffisant le temps disponible pour accomplir leurs missions. Ah ! Vouloir donner du temps au temps…