Le modèle social européen est-il soluble dans la mondialisation ?
Extraits (introduction et conclusion d’une note de veille particulièrement intéressante de MM. Yves Chassard & Jean-Louis Dayan, Département Travail, Emploi, Formation, publiée en septembre 2008 par le Centre d’Analyse Stratégique (cliquer ici pour accéder au texte complet de la note du Centre d’Analyse Stratégique)
http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/NoteVeille109.pdf
http://www.strategie.gouv.fr/article.php3?id_article=900
Il existe bien un modèle social proprement européen, caractérisé par un haut niveau de protection des personnes contre les aléas de l’existence. La mondialisation n’a pas entamé les principales sécurités quil procure. Lidée selon laquelle celle-ci engendrerait une course vers le bas des normes sociales nest pas toujours vérifiée dans les faits. L’observation suggèe que des coupes dans la protection sociale ne réduiraient pas significativement les coûts salariaux dans les pays de l’UE. Pour autant, rien n’est garanti pour l’avenir. Les systèmes européens doivent relever d’autres défis, internes, dont le moindre n’est pas celui posé par le vieillissement démographique.
Le « modèle social européen » (MSE) est souvent regardé comme un handicap pour la compétitivité du vieux continent et sa « réforme structurelle » comme la condition nécessaire d’une reconquête de ses parts de marché1, voire tout simplement de sa survie économique dans la mondialisation. En témoigne la référence fréquente aux exemples nationaux jugés vertueux, comme ceux des pays scandinaves (Danemark, Suède) ou plus récemment de l’Allemagne, qui auraient retrouvé le chemin de la compétitivité et de la performance globale (croissance, productivité, taux et qualité de l’emploi) au prix de réformes courageuses de leur système de protection sociale et de leur marché du travail. Car le haut niveau du prélèvement socio-fiscal alourdirait à l’excès le coût du travail face à la concurrence croissante des pays émergents, menaçant les salaires et l’emploi dans les secteurs qui mobilisent la main-d’oeuvre la moins qualifiée, à travers restructurations et délocalisations.
Le modèle social européen, de quoi parle-t-on ?
On entend ici par « modèle social européen » l’ensemble des règles protectrices et des institutions redistributives qui inscrivent les relations individuelles de travail dans un statut collectif assurant un degré élevé – à l’échelle de l’ensemble des pays riches – de stabilité d’emploi et de continuité du revenu. Sa spécificité tient à quatre caractéristiques principales :
• la protection des salariés dans l’emploi, garantie par un droit du travail qui impose des règles en matière de rupture du contrat de travail, de temps de travail et de santé / sécurité sur le lieu de travail ;
• un haut niveau de protection contre les principaux risques sociaux (maladie, vieillesse, chômage, pauvreté), reposant sur le versement de revenus de remplacement, y compris pour les personnes en âge de travailler et aptes à le faire ;
• l’implication active des représentants syndicaux et patronaux dans la régulation des conditions de travail et d’emploi, à travers la négociation collective aux différents niveaux (national, branche, entreprise) et la participation à la gestion des régimes d’assurance sociale.
• la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes sur le marché du travail et, avec elle, des voies de conciliation entre vie professionnelle et vie hors travail.
Il s’agit bien entendu d’un idéal-type, qui supporte bien des variations entre pays européens ; néanmoins ces caractéristiques y sont largement partagées, aussi bien comme principes actifs des systèmes nationaux de protection sociale que comme normes inspirant les politiques et les réformes. Ce modèle n’est pas qu’affaire de redistribution monétaire. Il repose aussi sur une offre de services publics concourant aussi bien à la formation initiale et continue des actifs qu’à l’accompagnement des parcours professionnels et la conciliation entre travail et vie privée. Il n’est pas non plus immuable. Sous la pression de difficultés croissantes de financement, des transformations se sont amorcées dans les dernières décennies : logique croissante d’incitation en vue de modifier les comportements de soin, de recherche d’emploi ou de retrait d’activité, introduction de modalités quasi marchandes de gestion des régimes (contrats d’objectifs, partenariats public-privé). Ces évolutions ne sont toutefois pas suffisamment fortes pour remettre en cause les fondements du MSE.
La mondialisation menace-t-elle vraiment le modèle social de la vieille Europe ? La réponse diffère selon que l’on considère la protection sociale ou la protection de l’emploi, les deux volets du modèle qui paraissent a priori les plus susceptibles de faire les frais de la redistribution des productions et des flux de marchandises et de capitaux à travers le monde. L’analyse montre en effet que la protection sociale n’est pas directement menacée, si elle sait s’adapter, tout simplement parce qu’elle ne constitue pas un handicap compétitif pour les économies européennes. La protection de l’emploi paraît en revanche plus sérieusement exposée, moins par la confrontation directe des coûts de production sur les marchés mondiaux que par la transformation des systèmes productifs européens eux-mêmes, qui remet en cause la norme d’emploi stable. La présente note explore le premier volet.
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Conclusion
Au terme de cette analyse sur la protection sociale, il apparaît clairement que l’idée selon laquelle la mondialisation ébranlerait les bases du modèle social européen et engendrerait une course vers le bas des normes sociales reste trop superficielle. L’observation suggère que des coupes dans la protection sociale ne réduiraient pas significativement les coûts salariaux dans les pays de l’UE. C’est avant tout à des défis internes que les systèmes européens doivent faire face : vieillissement démographique, inégalités sociales, ségrégation spatiale, et surtout qualification de la main-d’oeuvre.
Il serait pourtant inexact de dire que la mondialisation n’a aucun impact sur cet aspect fondamental du MSE. Si le financement de la protection sociale n’a pas d’incidence directe sur le coût global de la main-d’oeuvre, la compétition avec les pays à bas salaires (directs et indirects) détruit des emplois peu qualifiés en Europe, dans les secteurs exposés à la compétition internationale. Comme il n’est pas possible d’élever rapidement le niveau de qualification de la main-d’oeuvre disponible, elle oblige à trouver des emplois de remplacement dans les secteurs abrités : commerce, hôtellerie-restauration, services à la personne, etc. Or ceux-ci sont, en majorité, des activités fortement consommatrices de main-d’oeuvre, dont la demande est très sensible à leur prix. Les réformes qui, comme en France avec la CSG et les allégements de cotisations sur les bas salaires, visent à déplacer le prélèvement social des salaires vers l’ensemble des revenus et à accentuer la progressivité des prélèvements sur les salaires se justifient alors par la volonté d’alléger le coût de ces activités protégées bien plus que comme réponse directe à la compétition avec les pays émergents.
Reste à savoir si la même conclusion s’impose pour l’autre pan du modèle social européen, la protection des salariés dans leur emploi. La prochaine note de veille poursuivra la réflexion sur ce point.