dix mesures pour une croissance européenne : déclaration des Rencontres d'Aix du Cercle des économistes.
Introduction
I. Les risques pour l’Europe du nouvel ordre mondial
II. Inventer la croissance de demain
III. Dix mesures pour bâtir une croissance européenne
Conclusion
…/…
III. Dix mesures pour bâtir une croissance européenne
Nos pays ont‐ils encore un avenir ? Résolument oui. L’Europe n’a pas une vision objective ni de sa puissance ni de sa réalité. Première puissance commerciale du monde, elle a réussi à développer un marché unique de 500 millions de consommateurs, ce qui est une force incomparable. L’Europe est également une source d’innovation exceptionnelle, aujourd’hui insuffisamment utilisée, et possède des structures sociales exemplaires. …/… Nous souhaitons conserver une base productive extrêmement solide. Ceci ne signifie pas une réindustrialisation uniforme, mais concentrée sur certains pays, et notamment la France qui a connu un des rythmes de désindustrialisation les plus forts. Sept thèmes apparaissent centraux, qui chacun suppose une vraie stratégie de rupture :
‐ Innovation et politique industrielle
‐ Education et qualification
‐ Financement de la croissance et régulation financière
‐ Croissance verte
‐ Politique macroéconomique
‐ Pacte social
‐ Coopération multilatérale.
Bien entendu, il serait irréaliste et peu efficace de détailler un catalogue de mesures, mais il est cependant indispensable d’illustrer l’absolue nécessité de changement radical dans les politiques européennes. C’est la raison pour laquelle le Cercle des économistes formule dix mesures pour permettre à l’Europe d’être un acteur clé de la croissance de demain :
1. Pour une politique industrielle centrée sur les secteurs porteurs de la nouvelle croissance.
Le terme de politique industrielle a beaucoup changé de sens au cours des années, c’est pourquoi il est important d’identifier les trois principes qui permettent de le définir rigoureusement et dans une perspective adaptée à la période. Il s’agit tout d’abord de préciser les secteurs à privilégier : la santé, l’énergie, les technologies vertes, les transports, le numérique et les nanotechnologies. Ensuite les domaines d’actions sont évidemment très diversifiés. Dans certains cas, par exemple l’énergie, il s’agit de grands projets européens. Dans d’autres, de financement en capital. Ou encore, dans le cas des jeunes pousses et des entreprises en développement, d’aider à l’émergence de nouvelles technologies.
Enfin, la contrainte est de trouver les moyens de financer cette croissance à long terme, sachant que les Etats ne peuvent plus jouer leur rôle antérieur d’investisseur de long terme mais qu’heureusement l’épargne européenne est très abondante. Il s’agit donc de l’orienter massivement …/… vers des investissements productifs de long terme économiquement et socialement rentables. La difficulté réside dans l’existence d’un climat de forte aversion au risque, qui ne peut être surmonté que par des montages spécifiques de partage de risque entre les puissances publiques et les investisseurs privés, où l’Etat supporte le risque majeur de long terme tel un réassureur. Mais ceci est loin de suffire au financement. Une autre voie qu’il faut envisager naturellement est celle de la création d’une agence de la dette européenne, qui, plus que les Etats membres, pourrait piloter un grand emprunt européen dédié à cette politique industrielle diversifiée. Il faut noter que, pour que les Etats rééquilibrent leurs comptes et puissent ainsi assurer des financements plus traditionnels, il faudra renforcer le poids des prélèvements obligatoires…/… sans pénaliser ni le développement de l’innovation ni le travail.
2. Pour une écologisation de la politique industrielle.
On l’a vu, Copenhague a été un échec pour les politiques mondiales de l’environnement et Lisbonne un échec pour les politiques européennes de l’innovation. Il nous semble qu’il faut reprendre la démarche de Lisbonne, mais cette fois‐ci avec un réel engagement des Etats centré sur les technologies vertes. Cette stratégie pourrait déboucher assez naturellement sur une taxe carbone, consacrée exclusivement au financement de la recherche et de l’innovation vertes. Une
telle taxe permettrait en outre d’orienter le changement technique vers les technologies propres et pourrait être combinée efficacement à une politique de subvention à la Recherche et au Développement.
3. Pour un "Small Business Act" européen.
…/… Le SBA américain est un outil d’une efficacité redoutable, puisqu’il permet de financer tant l’innovation que l’investissement traditionnel et de garantir une partie des marchés publics aux PME. C’est dire l’urgence de le mettre en place en Europe en dépit d’éventuelles difficultés juridiques par rapport à l’OMC. Le sujet porte à la fois sur les jeunes pousses et sur les entreprises à croissance rapide. Le SBA européen …/… doit mettre en oeuvre une palette d’instruments, concernant aussi bien les marchés publics que le financement. Pour simplifier la démarche, cette politique doit être coordonnée au niveau européen mais peut être pilotée par les régions, sur le modèle d’intervention des Länder allemands.
4. Pour une politique de la formation et de la recherche.
…/… Nous pensons qu’il faut d’abord revisiter l’ensemble des formations élémentaires et secondaires, et cela dans l’ensemble des pays européens. La force européenne c’est sa formation, et celle‐ci a été quelque peu mise à mal. De la même manière, l’enseignement supérieur est un enseignement de masse pour lequel il faut décider l’allocation de 2% du PIB, supérieurs aux dotations actuelles et inférieures aux dotations américaines. …/… il faut créer un titre de docteur européen et donc également une académie européenne d’évaluation. Enfin, les pôles de compétitivité ont été une initiative très positive dans un certain nombre de pays européens. Afin de leur donner plus d’ampleur, plus de moyens, plus de missions, la création d’un réseau européen est vraisemblablement la meilleure voie pour améliorer le rapport entre recherche et innovation.
5. Pour une régulation des marchés financiers en Europe.
Dans ce domaine la démarche ne peut être que mondiale. En revanche l’Europe peut imposer, et cela dès le prochain G20, des priorités à débattre puis à mettre en oeuvre pour rendre le système financier mondial moins risqué. Nous pensons aux trois points suivants : la convergence des normes comptables et prudentielles, notamment entre les Etats‐Unis et l’Europe ; le contrôle progressif des marchés de gré à gré, et l’instauration de chambres de compensation pour une large partie des produits dérivés ; et la mise en place, en suivant les Etats Unis, de politiques de pénalisation très forte des activités de trading pour compte propre des banques de dépôts.
6. Pour une politique macroéconomique active.
En réalité il s’agit d’inverser la logique du Pacte de Stabilité et de Croissance et de lui donner un caractère spécifiquement contracyclique Dans la perspective d’un redressement des fonds publics, il faut être extrêmement rigoureux sur les déficits en période de croissance favorable, et plus laxiste en période de récession. D’une manière plus générale, il faut gérer les taux d’intérêt, le taux de change et le déficit en considérant que l’Europe a une vraie stratégie de priorité à la croissance. Quant à la politique du change mise en oeuvre par la Banque centrale européenne, on ne peut la laisser être soumise, surtout dans les périodes difficiles comme celles que nous allons connaître, à la volatilité imposée par les marchés. La stratégie définie se devrait d’être coopérative, donc débattue avec les autres grandes zones monétaires dans le cadre des réunions sur la stabilité des taux de change. Mais il faut également pouvoir la gérer en tenant compte des intérêts de la croissance européenne.
7. Pour une surveillance macroéconomique intelligente et différenciée.
Elle ne peut se limiter au Pacte de Stabilité et doit respecter la diversité des modèles de pays, tout en évitant les divergences et les déséquilibres financiers qui mettent en danger la zone euro. Dans cette perspective, les politiques de rigueur, qui s’étaleront selon toute vraisemblance sur un minimum de cinq années, doivent s’imposer qu’aucune coupe budgétaire ne touche les investissements fondamentaux pour la base productive, et qu’aucun impôt complémentaire ne
vienne frapper le travail ou ne soit désincitatif pour l’innovation.
8. Pour une immigration choisie.
Pour soutenir le dynamisme du marché de l’emploi européen, nous sommes favorables à une immigration choisie sur la base de la qualification et directement liée à une intégration sur le marché du travail. En particulier, comme cela est le cas dans les autres grandes zones, les politiques d’attraction de jeunes étudiants constituent un facteur puissant de coopération avec le pays d’origine.
9. Pour un marché du travail unifié.
Tous les pays européens sont touchés par les conflits intergénérationnels. Les difficultés sont multiples, mais la première des décisions doit porter sur les échanges dans les domaines de la formation et de l’emploi. Si l’on veut un marché du travail unifié, il faut naturellement un marché du travail intégrateur, c’est‐à‐dire des passerelles multiples dans la formation, des Erasmus multipliés par dix. Le même souci de rapprochement formation‐emploi s’applique aux flux migrants. De nombreuses mesures peuvent être envisagées, mais l’une des toutes premières est celle de la portabilité des systèmes de pensions.
10. Pour définir une politique européenne commune de transferts de technologie.
L’enjeu des dix années qui viennent sera celui des transferts de technologies. Dans ce domaine là, seule la coopération permet de protéger l’Europe d’un pillage de sa technologie. Le rapport avec l’Afrique est exactement l’inverse. C’est un continent qui surprend par la vivacité de sa croissance et qui aura tendance à se tourner vers des pays émergents soucieux d’obtenir contre la technologie des matières premières. Il représente toujours pour nous une opportunité. Il faut donc renforcer notre politique d’aide au développement, d’investissement, de délocalisation et de formation vers ce continent.
En conclusion, après avoir rappelé la gravité de la situation dans la continuité des Rencontres précédentes, le Cercle se veut cette année résolument porteur d’espoir. Nos pays peuvent rebondir s’ils mettent en oeuvre sans plus attendre la transition vers la nouvelle croissance. L’enjeu est de rester en course vis‐à‐vis des Etats‐Unis et des grands pays émergents. A défaut de coopération, il faut apprendre à faire cohabiter une croissance équilibrée, décentralisée des pays européens avec la croissance de rattrapage des pays émergents.