Article de M. Laurent Carpentier lu le 30 juin 2008 sur le site du Monde (cliquer ici pour accéder à l’article original)
http://www.lemonde.fr/le-monde-2/article/2008/06/27/le-rechauffement-climatique-raconte-par-les-oiseaux_1062830_1004868_2.html
« La recherche a beaucoup souffert d'une dérive moléculariste qui s'est faite au détriment de l'entomologie de terrain, moins confortable et moins gratifiante », écrit le climatologue Jean-Pierre Besancenot dans Notre santé à l'épreuve du changement climatique (Delachaux et Niestlé, 2007, 220 p., 19 €). Ce qui est vrai pour les insectes l'est aussi pour les oiseaux. "Il n'y a plus personne pour observer le vivant", regrette Philippe J. Dubois. La biologie moléculaire a raflé tous les crédits de la recherche. Et quand il s'agit aujourd'hui de surveiller et de connaître le comportement et les mouvements des insectes – ces importants vecteurs de maladies pour l'homme –, la phénologie des plantes – ces formidables indicateurs de l'état de santé de la planète –, ou l'évolution d'oiseaux qui prennent de plein fouet les bouleversements environnementaux, on en appelle à la bonne volonté publique. L'Observatoire des saisons, l'Observatoire des papillons des jardins, Phénoclim… grâce à Internet, chacun est aujourd'hui invité à faire la vigie de cette nature en danger.
Le programme de Suivi temporel des oiseaux communs mis en place il y a vingt ans met ainsi à contribution plus de 1 000 ornithologues amateurs, chacun étant chargé d'une parcelle de territoire à observer, noter, étudier au fil des ans selon des protocoles établis par une équipe de chercheurs. "Outre le déplacement significatif des populations d'oiseaux vers le nord, les résultats de ce suivi sont riches d'informations, constate Romain Julliard, le cheveu bouclé, 37 ans, biologiste de la conservation, qui est au Muséum national d'histoire naturelle un des responsables du programme.
On voit ainsi deux tendances se dégager : la première, c'est que d'une part les effectifs des espèces spécialistes – qu'elles soient agricoles, comme les perdrix, les linottes, ou les alouettes ; ou forestières comme les mésanges boréales et les pouillots – baissent au profit d'espèces généralistes comme le pigeon ramier… La seconde, c'est que les espèces habituellement situées au Nord dégringolent alors que celles ordinairement situées au Sud sont en hausse."
Sous un porche lépreux de l'honorable Muséum, rue Buffon à Paris, une plaque en cuivre qu'on a oublié de lustrer depuis longtemps indique : "Direction et service des bagues" et, au dessus, "Centre de recherches sur la biologie des populations d'oiseaux". C'est là que Romain Julliard et ses collègues officient au chevet de ces espèces en mutation. Bousculées par le climat, certes, mais pas uniquement.
L'urbanisation galopante, la disparition progressive des bois, des prés, des marais leur est une menace bien plus immédiate. Comme l'est l'empoisonnement des sols par les "intrants" – engrais et pesticides en tout genre. "L'équilibre naturel est une image d'Epinal, sourit avec indulgence Romain Julliard. En réalité, nous sommes dans des systèmes très dynamiques, et facilement déséquilibrés… Mais ce qui est rassurant, voyez-vous, quand on étudie les oiseaux, c'est de voir que les choses sont réversibles. Au Danemark, où l'on a largement diminué le recours aux engrais, les alouettes sont revenues…"
Alors que le soir envahit le Jardin des plantes, et que les pas des visiteurs s'allongent pour rejoindre les grilles du parc, les moineaux prennent possession des lieux. Romain Julliard ajuste ses lunettes avec l'index : "Nous avons été formés à une écologie de la restauration. Image d'un idéal perdu qu'on essaye de conserver, de maintenir. Ce n'est plus pertinent. Il est bien plus judicieux de penser à préserver la biodiversité du futur que de s'accrocher à celle du passé. Aujourd'hui l'enjeu est de trouver les outils qui nous permettront de vivre demain, quand il fera plus chaud ! Et certaines espèces d'oiseaux y jouent un rôle essentiel. Ne serait-ce que dans la pollinisation des plantes… Face aux mouvements extrêmes de la nature, les êtres vivants résistent en s'adaptant : à nous de nous assurer que nous leur avons bien laissé les moyens et l'espace de le faire."
Le réchauffement climatique raconté par les oiseaux (3)
Article de M. Laurent Carpentier lu le 30 juin 2008 sur le site du Monde (cliquer ici pour accéder à l’article original)
http://www.lemonde.fr/le-monde-2/article/2008/06/27/le-rechauffement-climatique-raconte-par-les-oiseaux_1062830_1004868_2.html
« La recherche a beaucoup souffert d'une dérive moléculariste qui s'est faite au détriment de l'entomologie de terrain, moins confortable et moins gratifiante », écrit le climatologue Jean-Pierre Besancenot dans Notre santé à l'épreuve du changement climatique (Delachaux et Niestlé, 2007, 220 p., 19 €). Ce qui est vrai pour les insectes l'est aussi pour les oiseaux. "Il n'y a plus personne pour observer le vivant", regrette Philippe J. Dubois. La biologie moléculaire a raflé tous les crédits de la recherche. Et quand il s'agit aujourd'hui de surveiller et de connaître le comportement et les mouvements des insectes – ces importants vecteurs de maladies pour l'homme –, la phénologie des plantes – ces formidables indicateurs de l'état de santé de la planète –, ou l'évolution d'oiseaux qui prennent de plein fouet les bouleversements environnementaux, on en appelle à la bonne volonté publique. L'Observatoire des saisons, l'Observatoire des papillons des jardins, Phénoclim… grâce à Internet, chacun est aujourd'hui invité à faire la vigie de cette nature en danger.
Le programme de Suivi temporel des oiseaux communs mis en place il y a vingt ans met ainsi à contribution plus de 1 000 ornithologues amateurs, chacun étant chargé d'une parcelle de territoire à observer, noter, étudier au fil des ans selon des protocoles établis par une équipe de chercheurs. "Outre le déplacement significatif des populations d'oiseaux vers le nord, les résultats de ce suivi sont riches d'informations, constate Romain Julliard, le cheveu bouclé, 37 ans, biologiste de la conservation, qui est au Muséum national d'histoire naturelle un des responsables du programme.
On voit ainsi deux tendances se dégager : la première, c'est que d'une part les effectifs des espèces spécialistes – qu'elles soient agricoles, comme les perdrix, les linottes, ou les alouettes ; ou forestières comme les mésanges boréales et les pouillots – baissent au profit d'espèces généralistes comme le pigeon ramier… La seconde, c'est que les espèces habituellement situées au Nord dégringolent alors que celles ordinairement situées au Sud sont en hausse."
Sous un porche lépreux de l'honorable Muséum, rue Buffon à Paris, une plaque en cuivre qu'on a oublié de lustrer depuis longtemps indique : "Direction et service des bagues" et, au dessus, "Centre de recherches sur la biologie des populations d'oiseaux". C'est là que Romain Julliard et ses collègues officient au chevet de ces espèces en mutation. Bousculées par le climat, certes, mais pas uniquement.
L'urbanisation galopante, la disparition progressive des bois, des prés, des marais leur est une menace bien plus immédiate. Comme l'est l'empoisonnement des sols par les "intrants" – engrais et pesticides en tout genre. "L'équilibre naturel est une image d'Epinal, sourit avec indulgence Romain Julliard. En réalité, nous sommes dans des systèmes très dynamiques, et facilement déséquilibrés… Mais ce qui est rassurant, voyez-vous, quand on étudie les oiseaux, c'est de voir que les choses sont réversibles. Au Danemark, où l'on a largement diminué le recours aux engrais, les alouettes sont revenues…"
Alors que le soir envahit le Jardin des plantes, et que les pas des visiteurs s'allongent pour rejoindre les grilles du parc, les moineaux prennent possession des lieux. Romain Julliard ajuste ses lunettes avec l'index : "Nous avons été formés à une écologie de la restauration. Image d'un idéal perdu qu'on essaye de conserver, de maintenir. Ce n'est plus pertinent. Il est bien plus judicieux de penser à préserver la biodiversité du futur que de s'accrocher à celle du passé. Aujourd'hui l'enjeu est de trouver les outils qui nous permettront de vivre demain, quand il fera plus chaud ! Et certaines espèces d'oiseaux y jouent un rôle essentiel. Ne serait-ce que dans la pollinisation des plantes… Face aux mouvements extrêmes de la nature, les êtres vivants résistent en s'adaptant : à nous de nous assurer que nous leur avons bien laissé les moyens et l'espace de le faire."