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oiseaux et réchauffement du climat (2) 2 juillet 2008

Le réchauffement climatique raconté par les oiseaux (2)

 

Article de M. Laurent Carpentier lu le 30 juin 2008 sur le site du Monde (cliquer ici pour accéder à l’article original)

 

http://www.lemonde.fr/le-monde-2/article/2008/06/27/le-rechauffement-climatique-raconte-par-les-oiseaux_1062830_1004868_1.html

 

 

 

Tchira tchira tchira… C'est lui. Le gobemouche noir. Celui à qui nous sommes venus rendre visite. Dans ce bosquet d'arbres à moitié mangés par le temps, trois petits passereaux volettent de branche en branche. Devant un trou à mi-hauteur de l'un des pins, l'un d'eux s'immobilise et, bougeant la queue dans un mouvement de parade, de haut en bas et de bas en haut, il se met à chanter. C'est un mâle et dans son langage, il invite la femelle à le rejoindre, lui promettant là, dans ce trou abandonné, le confort d'un nid d'amour et des tonnes de chenilles pour leur progéniture… Ce gobemouche noir, Yves Muller le connaît bien. Il l'a étudié pendant dix ans, lui fabriquant des nichoirs, le tenant dans ses mains, le photographiant. Au long de ces années, il en a bagué plus de 500. Or aujourd'hui, une étude venue des Pays-Bas montre que le dérèglement du climat est comme une épée de Damoclès pendue au-dessus de sa frêle carcasse.

 

 

 

 

 

Le gobemouche est un migrateur au long cours. Quand la bise arrive à l'automne, on peut voir sa silhouette fluette, quinze petits grammes tout habillé, prendre son envol pour franchir, courageusement, seul et de nuit, les milliers de kilomètres qui le séparent de son refuge hivernal en Afrique de l'Ouest, de l'autre côté du Sahara. Il y restera jusqu'à la mi-avril. A cette date, son horloge interne lui signale qu'il est temps de rentrer. Or depuis vingt ans, cette horloge s'est progressivement décalée. Et cette désynchronisation, explique l'équipe de chercheurs néerlandais, pourrait causer sa perte.

 

En effet, quand le sympathique passereau revient rompu et haletant de son odyssée, il débarque dans des forêts où le climat de plus en plus clément a depuis longtemps verdi les feuilles. Les chenilles se sont régalées et – elles qui composent une grande part de sa nourriture – sont prêtes à se métamorphoser en papillon quand elles ne l'ont pas déjà fait. Depuis vingt ans, les gobemouches ont donc essayé de pallier ce décalage en avançant leur date de ponte. Eux qui jusqu'ici s'octroyaient une quinzaine de jours de repos après leur voyage prénuptial pour se remettre, s'accouplent désormais prématurément. Mais du coup, fatigués, stressés, ils ont, à l'instar des cormorans, plus de mal à mener à bien leur reproduction, quand ils ne deviennent pas eux-mêmes de belles proies pour les éperviers.

 

"Pour l'instant, en ce qui concerne les Vosges, nos effectifs sont restés stables", constate sagement Yves Muller en lissant sa moustache. Mais qu'en sera-t-il demain s'ils n'arrivent pas à modifier leur horloge interne et que, sous nos latitudes, le printemps continue son éclosion précoce ? Evoluer ou mourir.

 

Lorsqu'il revint de son célèbre voyage aux îles Galápagos à bord du Beagle, Charles Darwin en rapporta différents oiseaux inconnus dans lesquels il voyait là des merles, là des gros-becs, là des pinsons. A Londres, les ornithologues en vinrent à la conclusion qu'ils formaient en réalité un groupe d'oiseaux à part entière composé de douze espèces distinctes. Chacune correspondait à une de ces îles de l'archipel très différentes et éloignées les unes des autres. Ces "pinsons de Darwin", comme on les appelle aujourd'hui, contribuèrent ainsi à asseoir la théorie de l'évolution selon laquelle, à partir d'ancêtres communs, chaque espèce va évoluer pour répondre à des besoins différents correspondant à son environnement… L'adaptabilité, comme maître-mot de tout futur.

 

"On dit toujours que l'évolution prend un temps infini, mais ce n'est pas vrai, des processus évolutifs peuvent avoir lieu en des temps très courts, s'enthousiasme Philippe J. Dubois, le charismatique directeur de Delachaux et Niestlé, auguste et incontournable maison d'édition sur la nature. Prenez les fauvettes à tête noire : il n'a fallu que quelques générations pour que celles-ci changent dans leurs gênes leurs infos migratoires !" Sylvia atricapilla : la fauvette à tête noire. Un passereau comme le gobemouche, mais l'un des plus répandus dans nos forêts tempérées. Traditionnellement, la fauvette migre vers le sud pour prendre ses quartiers d'hiver en Espagne. Or voici qu'un jour de décembre 1961, un chat irlandais attrape dans ses griffes une fauvette baguée un peu plus tôt cette année-là à Linz en Autriche.

 

La sélection naturelle en marche Que vient-elle faire là ? Echappée solitaire d'une pauvre bête déboussolée ? On comprendra bien plus tard qu'elle n'était que le signe avant-coureur d'un phénomène émergent : les fauvettes à tête noire des plaines d'Europe centrale se sont mises à hiberner, pour une grande partie d'entre elles, dans les terres désormais hospitalières de la façade Atlantique. Dès lors, le mouvement ne cesse de s'amplifier : quand l'heure vient en effet pour elles de retrouver leurs terres de nidation, les fauvettes qui ont choisi de migrer vers l'ouest reviennent plus rapidement que leurs sœurs qui ont fait le grand voyage vers le sud. Premières arrivées, premières servies, les Anglaises raflent les meilleurs emplacements, sont moins éprouvées par le voyage, se reproduisent mieux. La sélection naturelle est en route…

 

Comment ces migrateurs nocturnes qui volent à 2 000 mètres de haut et se guident aux étoiles ont-ils ainsi pu changer leur route en si peu de temps ? L'équipe de Peter Berthold, au Max Planck Institute de Radolfzell, près du lac de Constance en Allemagne, a élevé en cage des oisillons dont les parents avaient hiberné en Angleterre. A l'heure de la migration, ceux-ci ont été placés au milieu des champs dans une boîte dont le couvercle en verre découvrait la nuit étoilée. Le sol était jonché de poudre noire. Au matin, toutes les empreintes sur le sol étaient orientées vers l'Ouest : preuve que les fauvettes à tête noire avaient muté. L'information s'était inscrite dans leur patrimoine génétique.

 

Quand il n'est pas chez Delachaux et Niestlé ; à la revue Ornithos qu'il anime ; à la LPO, la Ligue de protection des oiseaux pour laquelle il travaille à temps partiel ; ou en train de faire des recherches avec une équipe de l'université de Lille sur l'impact du courant transatlantique sur le vivant, Philippe J. Dubois arpente les sous-bois du parc naturel du Vexin, près de Pontoise, où il habite. Une curiosité jamais étanchée depuis qu'à 13 ans une grand-tante lui offrit la bible de l'ornithologie, "e" Peterson. ("J'ai bien trouvé ça chiant au début tous ces oiseaux alignés sur des planches, mais j'ai emprunté les jumelles de théâtre de ma grand-mère, et là…") "Tout ceci, ces menaces, ces guerres, ces mouvements, nous parle évidemment aussi de nous, explique-t-il, et on est forcément amenés à se demander si ce qui se passe avec les oiseaux ne préfigure pas ce qui pourrait bien nous arriver demain…".

 

Sur son bureau traînent les premières sorties du rapport sur l'impact du climat sur les oiseaux que lui a commandé l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique. Outarde canepetière, râle des genêts, pipit farlouse, choucas des tours, capucin bec-de-plomb… les 379 espèces d'oiseaux visibles en France y sont passées en revue, mettant en valeur "des bouleversements qui vont à la fois très vite et pour lesquels la visibilité à terme reste assez floue". Ce défenseur de la biodiversité y plaide pour l'établissement d'un observatoire spécifique "oiseaux et climat" et prône la mise en place d'un panel de dix espèces qui serviraient d'indicateurs par rapport aux conséquences du réchauffement.

 

(A suivre)

 

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