Alicaments : à boire et à manger…, par le professeur Daniel Rigaud
Article lu le 9 novembre 2008 sur le site Senior Actu (cliquer ici pour accéder au site Senior Actu)
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Jus de fruits multivitaminé, lait enrichi au calcium, yaourt au bifidus actif… Depuis quelques années, une nouvelle génération de produits est apparue dans les gondoles de supermarchés : les alicaments. Petit tour du rayon en compagnie du professeur Daniel Rigaud. Un article publié par l’Association française des diabétiques (AFD) dans son journal Angles de Vie (n° 32, octobre 2008).
Au départ, quand on entend parler de « saucisson aux acides gras oméga 3 », on croit qu’il s’agit d’un gag. Mais, non. Pas du tout. Prenez un porc, nourrissez-le de beaucoup de lin. Sa graisse se chargera d’oméga 3 qu’elle ne contient pas naturellement. Égorgez-le. Et transformez-le en autant de cochonnailles riches en Oméga 3 que vous voulez. Après, il suffit d’une habile campagne publicitaire soulignant les bienfaits pour la santé des cochonnailles riches en oméga 3, et celles-ci finissent par se vendre comme des petits pains… riches en fibre.
Contraction d’aliment et de médicament, les alicaments sont des substances alimentaires modifiées pour apporter un bénéfice à la santé. Nés dans les éprouvettes de l’industrie alimentaire, probables fruits d’intenses cogitations marketing, leur nombre croit régulièrement, d’années en années ; de mois en mois. Leur succès démontre le flair des industriels. À leur manière, ils répondent au besoin d’une société qui s’inquiète pour sa santé, d’une population qui grossit, qui vieillit et qui, par ailleurs, n’ignore plus les liens entre alimentation et santé.
« Nous savons qu’un cancer sur cinq est en rapport avec la manière de s’alimenter. Nous savons que dans les maladies cardio-vasculaires, l’alimentation entre clairement en jeu. Les scientifiques ont identifié un grand nombre de bénéfices pour la santé, liés à des modifications de l’alimentation précise Daniel Rigaud, professeur de nutrition et endocrinologue au CHU de Dijon. Par exemple, nous avons des études de suivi qui démontrent que l’introduction en quantité suffisante de fruits et de légumes dans le régime des personnes risquant le diabète de type 2, diminuait ce risque, cinq à dix ans plus tard. D’autres études ont suggéré que les acides gras oméga 3 pouvaient avoir le même effet. On sait aussi que les fruits, légumes et oméga 3 contribuent à diminuer les risques de complications, notamment cardio-vasculaires, une fois le diabète installé »
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Alors que l’Union européenne a contraint les industriels de ne plus affirmer que leurs yaourts et leurs saucisses prévenaient, soignaient ou guérissaient une quelconque maladie ; alors que les bienfaits de tels ou tels produits sur la constipation ou la solidité des os… n’ont, à quelques exceptions près, jamais été avérés, le Dr Rigaud pointe trois observations.
« Tout d’abord, une question d’ordre médical : Est-il nécessaire de mettre l’ensemble de la population aux Oméga 3 ? Un homme de 45 ans peut en avoir besoin. Une femme de 20 ans, en bonne santé et d’un poids normal, non. Ensuite, un problème touchant à l’alimentation. Celle-ci ne doit pas s’inscrire uniquement dans un registre de santé ou de nutriments. La nutrition c’est à la fois nourrir son corps et partager. Le partage apporte une valeur sociale ajoutée. Il est plus important de manger ensemble que de s’obstiner à fractionner les aliments en portions de nutriments, en pourcentage de besoins couverts. Ce découpage n’a aucun sens dans notre cerveau, ni, à fortiori, dans notre inconscient. Enfin, une remarque d’ordre financière. Si les alicaments ne coûtent pas plus chers que les aliments normaux et qu’ils procurent un bénéfice pour la santé… Pourquoi pas ? Mais si ces alicaments coûtent plus cher, leurs éventuels bénéfices seront réservés aux plus riches ».
« Je ne suis pas dans une position tranchée, affirme encore le professeur Rigaud. Je ne suis ni pour, ni contre les alicaments. Ce sont des produits qui posent un problème de fond entre le philosophique et le social. J’estime, quant à moi, que tout le monde n’a pas besoin d’alicament. Je pense aussi que manger seul, son alicament à soi, en fonction de sa santé à soi, pose le même problème que de regarder tout seul dans son coin, son programme télé à soi, tandis que toute la famille fait pareil, chacun dans son coin. On peut faire ça, avoir chacun sa télé, sa boisson, son pain, son plat. Ou alors, on peut manger vraiment, construire une vie de famille et causer. C’est un choix ». C’est donc décidé. Ce soir, on dîne tous ensemble. On éteint la télé. Et à table, on discute des alicaments.