Entretien avec Mme Roselyne Bachelot, ministre chargé de la Santé par Mme Véronique Chocron et M. Ivan Best, lu le 11 février 2009 sur le site de La Tribune (cliquer ici pour accéder au site de La Tribune)
http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20090210trib000342046/trop-delephants-blancs-a-lhopital.html
Alors que les députés s'apprêtent à examiner le projet de loi réformant l'hôpital, la ministre de la Santé dénonce des investissements non adaptés
La Tribune : Après les accidents survenus récemment, le ministère a parlé de problèmes d’organisation à l’hôpital. En quoi le projet de loi y répond-il ?
Roselyne Bachelot : L’hôpital a besoin de moyens et d’organisation. Il ne faut pas opposer l’un et l’autre. Les crédits hospitaliers augmenteront de 3,1% cette année, soit plus que la croissance de l’économie. Mais nous connaissons aussi des problèmes d’organisation. Un exemple très concret est celui de l’engorgement des urgences : nous comptons 16 millions d’entrées aux urgences par an ; à titre de comparaison, si nous avions le taux d’admission constaté en Allemagne, nous en enregistrerions 6 millions… 70% des admissions ne relèvent pas de l’urgence.
En quoi la loi va-t-elle modifier cela ?
Elle décloisonne l’organisation de la santé entre la médecine de ville et la médecine hospitalière, en créant des agences régionales de santé qui vont organiser la permanence des soins et renforcer le dialogue et la fluidité entre les deux systèmes. Ces ARS réfléchiront à la mise en cohérence de l’ensemble du dispositif de soins (hôpital-médecine de ville-médico social). Ce schéma a été établi à partir des réalités du terrain et en concertation avec les professionnels de santé. Les ARS seront aussi en charge de prévenir l’apparition de déserts médicaux, qui, lorsqu’ils existent, peuvent susciter un engorgement des urgences.
On dit beaucoup que l’hôpital souffre de ses corporatismes. Le projet de loi fait-il quelque chose à ce propos ?
Il veut remédier à certains dysfonctionnements. L’hôpital a besoin d’un patron, quelqu’un ayant le pouvoir de dire oui, de prendre des décisions. C’est ce que nous prévoyons avec la nouvelle gouvernance. Mais ce patron ne met en œuvre qu’un projet médical. Je le dis et je le répète : l’hôpital n’est pas une entreprise ! Que les médecins soient rassurés sur ce sujet
Vous prévoyez la création communautés hospitalières (regroupements d’hôpitaux) sur la base du volontariat. Certains voudraient les rendre obligatoires…
Je souhaite que les communautés hospitalières de territoire relèvent d’une démarche volontaire émanant du terrain. Toutefois, je me suis réservé la possibilité, en cas de problème grave, de provoquer des décisions. Par exemple, si cette communauté s’imposait face à une situation financière extrêmement dégradée.
Les élus locaux s’opposent souvent à des fermetures d’hôpitaux pour des questions d’emploi…
Je ne suis pas un ministre qui balaie d’un revers de main les revendications des élus locaux sur l’aménagement du territoire. Mais que les acteurs locaux n’aient pas peur de ces transformations…. Si on garde, dans un hôpital, un service de mauvaise qualité, cela provoque une fuite importante des patients qui menace l’hôpital dans son ensemble. J’ajoute que les évolutions de services sont souvent créatrices d’emplois, en gériatrie et soins de suite par exemple.
Beaucoup d’hôpitaux sont dans le rouge, surtout les CHU, avec un déficit global évalué à 800 millions d’euros. Allez-vous laisser les aider ?
D’abord, 54% des établissements hospitaliers sont en excédent. Donc le déficit hospitalier n’est pas une fatalité. Quant aux CHU, 60% des déficits sont concentrés sur cinq établissements….
Y aura-t-il une rallonge ou pas ?
La rallonge, ils l’ont déjà, avec leur budget en hausse de 3,1%. Par le passé, certains négociaient des enveloppes au ministère. Ce n’est pas ma pratique. En revanche j’augmente les crédits de contractualisation pour aider les établissements.
D’après la Fédération hospitalière de France, vous demandez aux directeurs d’hôpitaux de jouer sur la masse salariale…
Si cette masse salariale ne correspond pas véritablement à des besoins, oui.
Il existe des exemples très concrets de mauvaise organisation de l’hôpital. Des équipements sont sous utilisés car, par exemple, certains chefs de services n’opèrent que le matin…
On voit bien que l’optimisation des investissements n’a pas toujours été faite. On a parfois des "éléphants blancs", des investissements ne correspondant pas à un projet médical ou surdimensionnés. L’absence de mutualisation des moyens entraîne une sous-utilisation chronique d’un certain nombre d’équipements de très haut niveau, blocs chirurgicaux par exemple.
Certains mandarins ne supportent pas qu’on opère dans leur salle… La loi va-t-elle changer cela ?
Oui, dans la mesure où le directeur va remettre le projet médical de l’établissement au centre et donc être gestionnaire de tout cela. Ce n’est pas interférer dans la nécessaire liberté de soigner des médecins que de demander un peu d’organisation.
Soutiendrez-vous des amendements restreignant la liberté d’installation des médecins, comme cela a été fait pour les infirmières ?
Je m’y opposerai. Je veux réaffirmer les principes de la médecine libérale et la liberté d’installation.
Si la négociation entre les médecins et l’assurance maladie n’aboutit pas rapidement, imposerez-vous via la loi une contribution financière pour les médecins refusant de prêter main forte dans les déserts médicaux ?
Les sujets de la démographie médicale font partie de la négociation conventionnelle en cours. Par ailleurs, la loi HPST contient déjà des propositions fortes dans ce domaine, comme le schéma régional d’organisation ambulatoire ou les modulations du numerus clausus, et surtout la création des Agences régionales de santé.
Comment préserver notre système de sécu solidaire qui pourrait connaître un déficit de 20 milliards en 2009 ?
Les déficits s’aggravent à cause d'un ralentissement des recettes, dans un contexte de difficultés économiques. Ce serait une erreur d’y répondre par une réduction des prestations, alors que nous avons plus que jamais besoin de leur rôle "d'amortisseur".
La justice a imposé le démontage d’une antenne relais de téléphonie mobile. N’est-ce pas au ministère d’agir au nom du principe de précaution ?
Les textes réglementaires fixent les valeurs limites d’exposition aux champs électromagnétiques auxquelles peuvent être soumis les riverains des antennes. Ces valeurs sont définies sur la base des connaissances scientifiques actuelles de l’impact sanitaire des ondes électromagnétiques et incluent, de plus, un facteur de sécurité. Ces valeurs limites sont régulièrement réévaluées en fonction des nouvelles études scientifiques sur le sujet. Un abaissement strictement arbitraire de ces valeurs ne paraît donc pas justifié aujourd’hui. Pour autant j’entends le questionnement de certains de nos concitoyens et je ne doute pas que ce sujet sera débattu lors de l’examen au parlement de la loi "Hôpital, patients, santé et territoires".