Les fausses leçons de 1929
Note de M. Jean-Marc Vittori publiée le 26 février 2009 sur le site des Echos (cliquer ici pour accéder au site des Echos)
http://www.lesechos.fr/info/analyses/4835273-les-fausses-lecons-de-1929.htm?xtor=EPR-1001
C'est fou, ce qu'on apprend à l'école. C'est fou, parce que cela n'a parfois qu'un rapport très lointain avec la réalité. Exemple frappant : la Grande Dépression des années 1930. A y regarder de près, les leçons qui en ont été tirées sont fausses. Et ces erreurs pourraient bien expliquer nos difficultés à comprendre la crise actuelle, et à en sortir. Petit tour d'horizon.
· La politique monétaire a asphyxié les entreprises
Après le krach de Wall Street le 24 octobre 1929, la banque centrale des Etats-Unis aurait fermé le robinet à liquidités, plongeant ainsi les banques et les entreprises dans le chaos. C'est faux. Dans la semaine qui a suivi le krach, la Fed a au contraire baissé son principal taux d'intérêt. Elle a aussi injecté massivement des liquidités. Elle a ensuite continué, ramenant son taux de référence à 0,5 % début 1931. L'économie américaine n'a donc pas été précipitée dans la crise par la politique monétaire. Elle y est allée toute seule, avec un système financier cassé par le krach. La première leçon financière de 1929, c'est qu'il faut réparer les banques.
Bien sûr, la Réserve fédérale a ensuite commis des erreurs dramatiques. Elle a relevé son taux d'intérêt pour garder son or, stoppé les injections de liquidités, replongé l'économie dans une profonde récession en 1937 en resserrant sa politique monétaire pour éviter l'inflation. Mais ce n'est pas elle qui a tué l'économie américaine au début des années 1930.
· La crise a entraîné le protectionnisme
L'effondrement de l'économie aurait provoqué l'adoption par le Congrès américain de la loi Smoot-Hawley relevant les tarifs douaniers sur plus de 20.000 produits, promulguée par le président Herbert Hoover le 17 juin 1930. La réalité est tout autre. La loi Smoot-Hawley vient d'abord de la guerre de 1914-1918. Les hommes partent alors pour les champs de bataille. Ils brûlent les terres où ils s'affrontent et ne cultivent plus les autres. La production agricole s'effondre. Mais comme il faut tout de même manger, l'Amérique augmente ses cultures pour nourrir l'Europe. A la fin de la guerre, les paysans européens délaissent le fusil pour la charrue. Avec une production qui remonte, les prix agricoles dégringolent et les paysans américains demandent des mesures de protection. Une seconde raison alimente les pressions protectionnistes : les progrès de l'industrie. Henri Ford ouvre la première chaîne d'assemblage automobile en 1913. Les colossaux gains de productivité pèsent sur les prix.
La première loi protectionniste est votée à Washington dès 1922. En 1928, Herbert Hoover remporte l'élection présidentielle en promettant de serrer la vis. Dans son discours inaugural début 1929, il affirme que cette promesse, « pour rendre justice à nos fermiers, nos salariés et nos industriels, ne peut pas être repoussée ». Bien sûr, la crise a amplifié les mesures protectionnistes. Mais le coup était parti bien avant.
· Puis le protectionnisme a entraîné la crise
La fermeture des frontières aurait provoqué l'implosion du commerce mondial, la dépression et in fine la guerre. L'économiste Alan Metzler affirme que le choc de la loi Smoot-Hawley a « contribué à convertir une ample récession en une profonde dépression ». Certes, chacun des deux événements de départ est indéniable. A partir de la loi, il y a bien eu une impressionnante vague de protectionnisme, puisque plus de soixante pays ont relevé leurs tarifs douaniers ou instauré des quotas. Et le commerce mondial a vraiment implosé, puisque le volume des échanges internationaux s'est effondré d'un tiers de 1931 à 1934.
Mais la fermeture a-t-elle vraiment causé la chute ? Il est permis d'en douter en éclairant 1929 à la lumière de 2009. Aucune mesure protectionniste d'ampleur n'a été prise jusqu'à présent, même si des coups de canif ont été donnés ici et là. Et pourtant, le commerce international s'effondre, comme au début des années 1930. Tous les industriels emploient la même expression : ils n'ont jamais vu une chute physique d'une telle ampleur. Les navires se raréfient sur les routes maritimes. La Chine a diminué ses importations de 43 % en un an, le Japon a subi une baisse de ses exportations de 35 %, l'Allemagne de 12 %. Si le commerce dégringole, ce n'est pas à cause des barrières, mais à cause de l'étouffement financier qui pousse chacun à se replier sur ses bases. Il s'est sans doute produit la même chose dans les années 1930. Avec ensuite une amplification du phénomène par la construction de barrières. Si la menace du protectionnisme ne doit pas être ignorée, elle ne doit pas non plus être amplifiée. Le vrai problème, une fois encore, est l'implosion financière.
· La dépense publique a sauvé l'Amérique
Avec son New Deal, Franklin Roosevelt aurait remis sur les rails l'économie des Etats-Unis. Cette leçon est essentielle... mais elle est loin d'être certaine. D'abord, son prédécesseur Hoover avait déjà laissé filer la dépense publique. Ensuite, si l'activité repart en 1934, elle rechute ensuite. En 1938, l'Amérique produit moins qu'en 1929 ! C'est en réalité l'effort de guerre qui relance vraiment la machine (comme un peu plus tôt en Allemagne), avec une explosion de la dette publique. Passée de 16 % du PIB en 1929 à 40 % en 1933, elle ne varie guère jusqu'en 1941 avant de tripler en cinq ans.
Aujourd'hui, les historiens débattent encore de la relance des années 1930. A la fin du XXIe siècle, leurs successeurs débattront peut-être de l'utilité des relances mises aujourd'hui en oeuvre. Les 150 milliards de dollars injectés l'an dernier par George Bush aux Etats-Unis n'ont provoqué qu'un hoquet d'achats. Les 3.000 milliards dépensés par les Etats des pays riches en cette année 2009 pour soutenir la consommation et l'investissement pourraient bien relever aussi du gâchis (le sauvetage d'entreprises asphyxiées est en revanche précieux, comme l'avait montré l'exemple Alstom en 2004). L'utilité économique de la relance budgétaire reste à prouver. Son utilité politique est à l'inverse évidente : elle montre que les gouvernants agissent ou plutôt réagissent. Par les temps qui courent, c'est peut-être nécessaire pour éviter la montée de populismes ravageurs.
· La dévaluation n'est pas la solution
Cette leçon-là est vraie ! Le 21 septembre 1931, le Royaume-Uni décide que la livre sterling n'est plus convertible en or après avoir subi de violentes attaques spéculatives sur les marchés financiers. La devise britannique dévisse aussitôt de 30 % face au franc. Plus de quarante monnaies suivent, y compris le dollar en 1933. Le chaos monétaire gagne le monde. Dès 1936, les pays des trois grandes monnaies mondiales - le dollar, la livre et le franc - signent une déclaration de coopération. Huit ans plus tard, les accords de Bretton Woods créent un système stable.
Le problème, ici, est que cette leçon risque d'être oubliée. Face à la crise, la tentation de la dévaluation revient d'autant plus fort que c'est le premier qui tire qui gagne. Le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, grand spécialiste de la crise de 1929, l'avait dit clairement en 2002 : « Il y a des cas où une politique de change a été une arme efficace contre la déflation. Un exemple frappant de l'histoire américaine est la dévaluation par Roosevelt du dollar contre l'or en 1933-1934 » qui « a permis de mettre fin à la déflation américaine remarquablement vite. » Le monstre de la dévaluation unilatérale pourrait bien refaire surface.
Ce petit tour montre que le monde n'est pas sorti de la crise de 1929 comme on le raconte. Nous devrons nous tourner vers des hérésies - mais, après tout, l'idée de nationaliser les banques en était une il y a à peine un an. Il faudra peut-être de l'inflation pour effacer un endettement devenu écrasant et donc une « euthanasie des rentiers », pour reprendre l'expression de Keynes. Il faudra peut-être accepter les préceptes de la vieille école autrichienne pour qui, comme l'explique Gérard Dréan, « la cause des crises n'est pas ailleurs que dans les booms qui les ont précédées » et donc « la seule réponse est la purge et le sevrage, nécessairement douloureux » (1). Seule certitude : pour sortir de la crise, il faudra penser autrement.