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Synthèse des débats
Face aux défis du changement climatique, de la préservation des ressources naturelles et de la protection de la biodiversité, produire plus « vert » ne représente que « la moitié du chemin ». Ces dernières années, de nombreuses illustrations de l’effet rebond ont montré qu’avoir accès à une offre moins chère à l’achat ou à l’usage encourage à consommer plus. Les secteurs de l’automobile ou de l’électroménager en témoignent. Le progrès technique doit donc aller de pair avec des changements de comportement aussi bien individuellement que collectivement.
Les pouvoirs publics peuvent impulser de différentes manières l’évolution des habitudes de vie, et notamment des modes de consommation, dont l’impact environnemental commence à être mieux mesuré. Les taxes, les dispositifs bonus/malus, les normes, les campagnes d’information et d’éducation sont les outils traditionnels qui ont jusqu’ici été mobilisés. Mais d’autres instruments émergent : ce sont les « nudges » selon le terme popularisé par deux auteurs américains. Ces incitations tablent sur les comportements et les réflexes, conscients ou non, des citoyens, pour systématiser et populariser des pratiques vertueuses. Alors que ces politiques innovantes prennent de l’importance, la question se pose de savoir comment et jusqu’où l’État peut mobiliser ces différents types d’instruments dans un policy mix le plus efficace possible.
Le Centre d’analyse stratégique a souhaité apporter sa contribution à cette réflexion en invitant le 9 mars 2011 des experts à débattre des atouts et des limites des différentes mesures destinées à encourager les comportements écologiques.
Les principaux enseignements du séminaire «Incitations comportementales et environnement»
1. Les postures ou attitudes écologiques ne se traduisent pas nécessairement en comportements appropriés, surtout lorsqu’elles entraînent d'importants changements dans les habitudes quotidiennes. Par exemple, près de 80 % des Français se déclarent prêts à consommer de manière responsable mais moins d’un quart allie le geste à la parole, en triant quotidiennement ses déchets, en privilégiant les produits issus de filières locales ou du commerce équitable. Afin d’expliquer cet écart entre intentions et pratiques, des éléments multifactoriels sont avancés : les limites budgétaires, l’insuffisance de l’offre durable accessible, un sentiment d’impuissance, une mauvaise perception des risques et parallèlement une difficulté à estimer le « retour sur investissement », ou encore une inertie comportementale.
2. Or, l’État a trois options pour encourager une évolution de la société : contraindre, informer/sensibiliser et inciter. Les deux dernières sont de plus en plus utilisées, à mesure que les pouvoirs publiques perçoivent la complexité des comportements écologiques de l’ensemble des individus sensibles à des représentations sociales, à des dynamiques de groupe … Les considérations environnementales, plus importantes chez les « éco-citoyens », font partie de ces systèmes de valeurs qui déterminent nos pratiques.
L’évolution de l’action publique a été impulsée par les résultats mitigés ou inattendus de certaines politiques, qui ont révélé que les décideurs sous-estimaient la multiplicité des motifs d’évolution des comportements. On pensera ainsi aux économies de consommation d’eau, moins motivées par des préoccupations écologiques que par l’effet conjugué de l’amélioration de l’efficacité énergétique des équipements consommateurs d’eau et du souci des syndicats de copropriété de diminuer leur facture. La notion de confort, qui dépend des normes sociales en vigueur dans l’entourage dans lequel on évolue, est également centrale dans notre utilisation de l’énergie, car elle détermine les pratiques de chauffage et d’éclairage.
3. Parmi les incitations traditionnellement employées, le « signal-prix » vient spontanément à l’esprit : il s’agit de mesures fiscales ou financières qui communiquent aux agents économiques le coût global d’un produit ou d’un service, en répercutant sur le prix non seulement les coûts d’achat et d’usage, mais aussi celui des externalités, notamment celui de l’impact environnemental. Plusieurs types de signaux peuvent être mobilisés, de la taxe carbone telle qu’elle existe dans des pays scandinaves depuis une vingtaine d’années, aux marchés de quota comme celui que l’Union européenne (UE) a mis en place pour limiter les émissions de gaz à effet de serre qui contribuent au changement climatique.
D’autres mesures ciblent l’action individuelle : c’est le cas des quotas personnels étudiés par le Parlement britannique en 2004 et des dispositifs de comptabilité des émissions type ‘coach carbone’ de l’ADEME, des certificats d’économie d’énergie français, surtout efficaces pour sensibiliser les acteurs ou des mécanismes de compensation volontaire, qui pour le moment ont essentiellement du succès auprès des populations favorisées.
Ces outils présentent chacun leur part d’avantages et d’inconvénients : ainsi, la taxe est plus facile à mettre en œuvre une fois décidée, mais elle peut engendrer un effet rebond que les quotas évitent si le régulateur n’autorise pas leur dépassement. Mais une constante demeure : l’efficacité du signal-prix est avant tout fonction de sa crédibilité à long terme, condition sine qua non pour décider les producteurs à réaliser les investissements nécessaires et les consommateurs à adopter de nouveaux comportements au-delà des actions sporadiques.
4. Autre type d’incitation traditionnelle, les campagnes de sensibilisation et d’information contribuent à combler le fossé entre les bonnes intentions et l’inertie des comportements, en complément de normes ou de mesures fiscales. L’expérience de l’ADEME révèle qu’il est plus que jamais nécessaire d’informer les publics pour deux raisons principales. D’une part, parce que les individus, méfiants à l’égard des stratégies de greenwashing et démunis devant l’ampleur des défis écologiques à relever, sont en demande d’information fiable. D’autre part, parce que l’apparente adhésion consensuelle autour du développement durable cache souvent une incompréhension de ce que le terme recouvre en théorie et en pratique.
L’Agence utilise donc 2 types de campagnes pour faire le lien entre grands enjeux et actions à entreprendre : des campagnes généralistes, à l’image de celle qui encourage les Français à participer à la stratégie Grenelle pour « entrer dans le monde d’après » et des campagnes, thématiques ou sectorielles (déchets, énergie…). Ces dernières, plus pragmatiques, sont également plus efficaces en termes d’impact : elles bénéficient d’une notoriété auprès de 50% de la population, et suscitent une adhésion autour de 90%, soit des chiffres supérieurs à ceux obtenus par les campagnes généralistes (qui affichent une notoriété autour de 30% et une adhésion autour de 80%). Le ciblage des objectifs visés et des publics est un enjeu clef, comme l’utilisation de techniques marketing d’influence inspirées des théories comportementales qui mettent les Français dans des situations d’action. L’engagement volontaire du «Défi pour la terre» autour de dix gestes emblématiques à la portée de chacun était une initiative de l’Agence en ce sens. Enfin, le discours doit être clair, fiable et réaliste pour ne pas induire de déception vis-à-vis des progrès promis (phénomène de « dissonance cognitive »), mais aussi engageant sans être autoritaire ni culpabilisant. En particulier, l’État doit veiller à ne pas s’attribuer le bénéfice des progrès réalises grâce aux citoyens.
5. Les études comparatives sur les mesures lancées par les quelques États européens ‘pionniers’ dans les politiques qui visent à réorienter les comportements vers des réflexes plus écologiques, comme les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Finlande ou la Suède, sont porteurs d’enseignements pour les pouvoirs publics français, qui se sont jusqu’à présent essentiellement concentrés sur le verdissement de l’offre. Ces études montrent que, pour l’heure, les gouvernements commencent tout juste à innover pour réorienter les comportements : ils tentent d’utiliser les dynamiques de groupe pour diffuser de bonnes pratiques (notamment les « ecoteams » britanniques). Collecter de l’information sur les habitudes de vie et les profils socio-économiques des publics cibles devient donc primordiale pour mettre en œuvre ces stratégies.
.../... (suite et fin sur ce blog, demain)