Extraits (hors graphiques et tableaux) de la lettre n°2 (mars 2012) résumant le rapport 2011-2012 publié le 29 mars 2012 sur le site de l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (cliquer ci-dessous pour accéder au site de l’ONPES)
http://www.onpes.gouv.fr/Les-Rapports.html
http://www.onpes.gouv.fr/IMG/pdf/La_Lettre_no2_2012-2.pdf
NDLR : nous proposons la publication du 2e volet de la lettre de l’ONPES résumant le rapport 2011-2012
Crise économique, emploi et protection sociale en France et en Europe
Avec la crise économique, la plupart des pays européens ont connu une forte dégradation de leur marché du travail. L’Allemagne a cependant mieux résisté à la conjoncture. Entre 2008 et 2009, le taux de chômage allemand est demeuré stable autour de 7,5 %, contrairement à celui de la plupart des autres pays d’Europe où il a augmenté. En 2010, la reprise économique y a également été plus forte qu’ailleurs. À cette date, le taux de chômage allemand reflue à 7,1 % de la population active, soit un niveau plus bas que ses voisins européens et inférieur à celui de 2007.
Les réformes structurelles menées depuis le début des années 2000 en Allemagne expliquent en partie ces performances. Par contre, elles se sont traduites par une nette précarisation de l’emploi. Entre 1995 et 2010, la part du travail à temps partiel est passée de 14 % à 22 %, soit une hausse de 5 à 8 millions des salariés précaires. De même, la masse des heures travaillées a fortement chuté pour les personnes les plus pauvres (de l’ordre de 11 % entre 1985 et 2005), soit une proportion double de celle enregistrée dans l’ensemble des pays de l’OCDE. Enfin, la part des faibles rémunérations (inférieures à deux tiers de la médiane des salaires) a considérablement augmenté entre 1995 et 2006 passant de 15 % à 22 %, même si cette tendance s’est ensuite arrêtée. Ces évolutions expliquent en partie l’augmentation notable du taux de pauvreté des personnes en âge de travailler en Allemagne, qui est passé de 11,8 % en 2005 à 15,4 % en 2009, alors qu’il a moins progressé en France et en Europe.
En France, la crise a confirmé les tendances antérieures à la flexibilisation sur le marché du travail. Du fait d’un recours accru aux contrats à durée déterminée, aux missions d’intérim et au travail à temps partiel, les entreprises ont pu, dans un premier temps, limiter les licenciements. Mais c’est au prix de difficultés accrues pour les actifs les plus vulnérables. Si ce mode de gestion devait perdurer il faudrait prendre garde aux effets négatifs d’un tel ajustement pour les jeunes, spécialement ceux qui sortent du système éducatif sans qualifications professionnelles (13 % d’une classe d’âge) et pour les femmes, notamment celles ayant des enfants à charge, particulièrement nombreuses dans les emplois à temps partiel. L’accès à la formation professionnelle pour l’ensemble des actifs peu qualifiés, y compris ceux qui ont un emploi, reste de ce point de vue essentiel, sachant que pendant la récession cet accès n’a pas connu d’amélioration. La valorisation des compétences chez les travailleurs à temps partiel ou réduit, ainsi que la recherche d’un allongement de leur durée de travail apparaissent également comme un impératif de la lutte contre la pauvreté en emploi. À défaut, il faut s’attendre en 2012 à une augmentation sensible du nombre de personnes en situation de pauvreté, qui pourrait être plus importante qu’en 2009.
Cette évolution n’a pas eu d’incidences déterminantes sur la situation des personnes les plus pauvres déjà largement exclues de l’emploi. En revanche, la faible indexation des minima sociaux (RSA, ASS) par rapport aux évolutions salariales, ou de l’APL par rapport aux loyers, ont contribué à détériorer la situation relative de ces personnes.
L’objectif de réduction de la pauvreté et de l’exclusion sociale en France et en Europe
En juin 2010, le Conseil européen a adopté une nouvelle stratégie, Europe 2020, « pour l’emploi et une croissance intelligente, durable et inclusive ». L’indicateur agrégé servant à suivre l’objectif européen de réduction de la pauvreté et de l’exclusion sociale regroupe les personnes concernées par au moins une des trois dimensions suivantes : la pauvreté monétaire relative (au seuil de 60 % du niveau de vie médian) ; les privations matérielles sévères (4 privations parmi une liste de 9 items) ; la très faible intensité du travail au sein du ménage (20 % de travail annuel).
Sur cette base, 114 M de citoyens européens sont confrontés à la pauvreté et à l’exclusion sociale (au moins un des 3 indicateurs) à la fin de la précédente décennie. Dans le cadre de la stratégie Europe 2020, le Conseil européen a défini une cible de réduction de la pauvreté et de l’exclusion de 20 M de personnes (moins 16 %). Parmi les Européens touchés par l’une de ces formes d’exclusion ou de pauvreté, près de 7 M cumulent les 3 formes d’exclusion et de pauvreté.
En France, la population confrontée à la pauvreté et à l’exclusion représente 11,2 millions de personnes (répondant à au moins un des trois critères), et celle au sens restreint (cumul des trois critères) s’élève à 700 000. La contribution de la France à l’objectif européen est de réduire de 1,6 million le nombre des personnes concernées par l’un ou l’autre des trois critères entre 2007 et 2012.
Dans sa contribution à l’examen du rapport du gouvernement sur l’objectif de réduction de la pauvreté, l’ONPES avait indiqué que cette ambition avait peu de chances de se réaliser. En effet, sur la base des évolutions observées entre 2007 et 2009, la population augmenterait pour ce qui est des deux derniers indicateurs. En toute hypothèse, l’engagement français dans le cadre européen était annoncé comme devant faire l’objet d’une réévaluation après 2012.
Prévention, vigilance, lutte contre les inégalités
La récession actuelle ne doit pas être un motif pour réduire l’ambition que nourrit depuis plus d’une décennie notre pays dans la lutte contre l’exclusion et la pauvreté. Au contraire, cette lutte fait partie des issues durables à une crise multiforme. Les tendances actuelles suggèrent des pistes telles que la prévention, la vigilance et la lutte contre les inégalités.
Prévention
Prévenir le basculement ou la persistance dans la grande pauvreté est possible. L’histoire montre le peu d’impact des faibles réévaluations des minima sociaux et de l’aide personnalisée au logement (APL) sur la pauvreté. Les budgets nécessaires pour que le RSA (socle ou activité) évolue comme la moyenne des rémunérations, ou ceux qu’impliquerait une réelle indexation de l’APL sur le prix des loyers sont modestes au regard des masses financières correspondant au système de protection sociale dans son ensemble. Plus généralement, à l’instar de ce qui se fait au plan européen pour évaluer les conséquences sociales des ajustements fiscaux et budgétaires, les mesures engagées devraient faire l’objet de simulations, débattues publiquement, destinées à évaluer leur impact sur les inégalités de revenus et sur la pauvreté.
Vigilance
Le système d’observation de la pauvreté et de l’exclusion devrait se faire plus attentif aux risques de décrochage, en conjuguant les informations sur l’emploi et le chômage avec celles qui touchent à la pauvreté. Il importe d’observer plus systématiquement la situation des personnes les plus pauvres qui vivent avec un niveau de vie inférieur à 40 % du revenu médian. Selon la recommandation du Comité européen de Protection sociale, le suivi de la pauvreté et de l’exclusion ne devrait plus reposer uniquement sur l’indicateur de pauvreté ancré dans le temps ou sur celui de la pauvreté monétaire relative. Une combinaison d’indicateurs de pauvreté monétaire, en conditions de vie et en intensité de travail devrait retenir l’attention. Enfin, dès lors que des mesures de consolidation budgétaire sont annoncées, il convient d’accorder la plus grande attention à leur impact sur les différentes formes de pauvreté et d’exclusion.
Lutte contre les inégalités
Lutter contre les inégalités dans la répartition des soutiens publics, comme dans l’accès aux biens collectifs, devrait être une des leçons majeures de la crise : inégalités territoriales du point de vue de la disponibilité de logements sociaux accessibles, inégalités d’accès à la formation professionnelle, inégalités des charges de logement qui augmentent proportionnellement davantage pour les ménages les plus modestes, inégalités dans le reste à charge en matière de santé.