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Le Conseil national du numérique remet son rapport relatif à la transformation numérique du système de santé
Paris, le 11 juin 2020
Au pied du mur.
La transformation numérique du système de santé, promise depuis des années - d’aucuns diraient des décennies ? -, n’est plus un lointain horizon, un mirage insaisissable dont on se rapprocherait chaque année de quelques mètres paresseux, nous permettant de contempler, satisfaits, le chemin qu’il reste à parcourir.
La crise sanitaire que nous traversons nous a mis face aux réalités : nous avons trop tardé ! “Nous sommes en guerre” nous annonçait le 16 mars le Président de la République. Comment pouvait-on espérer, sans portage politique du numérique en santé, sans vision stratégique de l’Etat depuis des décennies, aborder cette épreuve suffisamment armés ? De la difficulté à fournir des outils interopérables et souverains à la trop légère formation au numérique en santé, en passant par la fragile confiance des usagers et des professionnels dans ce domaine, la situation de stress à laquelle fait face le numérique en santé français est apparue de façon indéniable.
Le tableau n’est naturellement pas si sombre, et ces temps troublés ont aussi permis de mettre en lumière les forces profondes de notre pays : un usage croissant de certains outils mis à la disposition des citoyens et des professionnels dont la télémédecine est la meilleure illustration : plafonnant à 10.000 consultations par semaine en février 2020, son utilisation a été multipliée par 100 en à peine 1 mois ! Ce sursaut numérique citoyen, nous le devons aussi à un écosystème innovant qui a su apporter des réponses en un temps record, débarrassé des lenteurs administratives ; autant de preuves que, même au pied du mur, nous ne sommes pas rentré dedans.
Nous ne sommes pas les seuls à avoir dressé ce constat et, depuis quelques temps, les efforts redoublent pour poursuivre la transformation engagée en 2017 par le Gouvernement. Cette crise nous a permis de prendre la mesure de notre retard et du regain d’engagement qu’il nous faut mobiliser pour le rattraper, de la généralisation de la télémédecine à la prévention, en passant par le suivi des épidémies.
Saisi en juin 2019 par la ministre des Solidarités et de la Santé et par le secrétaire d’État chargé du Numérique, le Conseil national du numérique remet aujourd’hui un rapport dans lequel il détaille dix-huit recommandations destinées à accompagner cette transformation. Loin d’être rendues caduques par l’irruption de la COVID-19, cette dernière a rendu d’autant plus urgente leur traduction en actes politiques.
Ces propositions se structurent en 4 axes : passage d’un système de soin à un système de santé, levée des freins à l’innovation, place centrale à accorder aux plateformes nationales de santé et intensification de la formation et de l’acculturation des professionnels et des usagers.
En premier lieu, à l’heure d’une concurrence internationale accrue en matière de santé numérique et de l’arrivée sur notre marché de services parfois en contradiction avec le modèle social français et la vision d’une santé accessible à tous, il nous paraît impératif de développer une vision française du numérique en santé, et de la porter sur la scène européenne. Cette dynamique doit s’appuyer sur quatre piliers :
- renforcer la gouvernance du numérique en santé en clarifiant les rôles des institutions et la répartition du pilotage stratégique et opérationnel et en affirmant la place centrale du patient au cœur du système de santé ;
- réussir la transition d’un modèle de soin vers un modèle de santé, ce qui nous impose de repenser à la fois notre système de financement et la place de la prévention ;
- garantir la confiance dans les systèmes afin d’assurer l’adhésion des citoyens et des professionnels en veillant à leur interopérabilité et à leur sécurité ;
- promouvoir un numérique en santé responsable, ce qui rend nécessaire d’intégrer aux politique du numérique en santé les problématiques relatives à l’éthique, à l’inclusion numérique et à la responsabilité environnementale.
En second lieu, le marché du numérique en santé français regorge de potentialités insuffisamment valorisées, en recherche d’un modèle économique viable. Nous souhaitons donc insister sur le besoin de lever les freins à l’innovation pour offrir un véritable modèle économique et un marché aux entreprises numériques en santé. À cet effet, nous recommandons de :
- repenser l’organisation du réseau de structures d’accompagnement de l’innovation de façon déconcentrée ;
- développer des mécanismes destinés à encourager l’intégration des citoyens et des professionnels de santé dans les processus d’innovation ;
- renforcer les ponts entre l’industrie et la recherche, tout en assurant le respect de l’indépendance de cette dernière ;
- attribuer statutairement à la Haute Autorité de Santé une mission de conseil afin d’accompagner au mieux les entrepreneurs dans leurs démarches, parfois complexes, auprès des administrations ;
- mettre en place des mécanismes de fluidification des échanges des entrepreneurs, professionnels et citoyens investis dans l’innovation avec les décideurs publics.
En troisième lieu, nous proposons de mettre l’Espace Numérique de Santé (ENS) et son miroir à destination des professionnels de santé, le Bouquet de Services aux professionnels de santé (BSP), au centre du système de santé. Le référencement des applications et des services qui seront intégrés à ces plateformes doit ainsi assurer un équilibre entre des garanties de qualité des services pour les utilisateurs et des procédures simplifiées pour l’industrie. Les auditions que nous avons menées font ressortir quatre objectifs principaux que l’ENS et le BSP doivent poursuivre :
- généraliser rapidement, mais de manière encadrée, ces outils à l’échelle nationale ;
- assurer l’adhésion à ces espaces des usagers et professionnels de santé, répondre à leurs attentes et renforcer leur confiance ;
- faire de l’ENS un tableau de bord numérique de la santé des citoyens, leur conférant tous les leviers pour y gérer leurs données de santé, tout en assurant leur sécurité ;
- permettre aux citoyens éclairés de contribuer librement à travers leurs ENS aux projets de recherche qu’il souhaitent soutenir par l’apport de leurs données de santé dûment anonymisées, et exploitées suivant les meilleures garanties de sécurité.
En quatrième et dernier lieu, assurer le succès du numérique en santé en France signifie aussi veiller à ce que ces outils répondent aux besoins de leurs utilisateurs et que ces derniers soient en capacité de se les approprier. Il faut donc acculturer, former et accompagner les utilisateurs des plateformes nationales de santé en :
- développant des certifications de compétences numériques en santé, sur le modèle proposé par la plateforme PIX ;
- complétant cette certification par des parcours spécifiques destinés aux professionnels de santé, obligatoires en formation initiale et accompagnés de mesures incitatives dans le cadre de la formation continue.
Alors que la pression de la crise redescend peu-à-peu, il redevient possible de penser à plus long terme : il faut saisir cette opportunité pour augmenter massivement l’effort dans le numérique afin de faire aboutir cette transformation. Nous avons pu en voir les limites, nous savons également quels en seraient les bénéfices. Nous sommes prêts pour engager une réforme en profondeur renforçant la prévention, la qualité des soins, la place centrale de l’usager.
Le Premier ministre a récemment annoncé la tenue d’un « Ségur de la Santé », qui compte le numérique comme l’un de ses piliers. Notre rapport a vocation à venir nourrir ces réflexions, et nous souhaitons ardemment qu’il en sera de même des propositions qui ont émané ces derniers mois de tous les acteurs mobilisés dans cette transformation.
De leur côté, les membres du Conseil national du numérique poursuivront leurs réflexions, répondront aux les sollicitations leur demandant de venir expliciter leurs recommandations et s'engageront dans un travail de diffusion et de vulgarisation des propositions énoncées dans ce rapport.