Nous vous proposons aujourd’hui cette note publiée le 19 mai 2022 sur le site de l’INSEE (cliquer ici pour accéder au site de l’INSEE)
https://www.insee.fr/fr/statistiques/6445335.html
Impact de l’épidémie de Covid-19 : 95 000 décès de plus qu’attendus de mars 2020 à décembre 2021
Nathalie Blanpain (Insee)
De mars 2020 à décembre 2021, les décès observés ont été nettement supérieurs à ceux attendus en l’absence d’épidémie de Covid-19. Cet excédent de décès toutes causes confondues (+ 95 000) est inférieur au nombre de décès attribuables à la Covid-19, estimé entre 130 000 et 146 000. Le nombre de décès liés à la Covid-19 inclut en effet les décès de personnes fragiles qui seraient décédées même sans l’épidémie en 2020 ou 2021. Par ailleurs, l’impact de l’épidémie est réduit grâce à certains décès évités, par exemple les accidents de la route évités en période de confinement. D’août à décembre 2021, l’écart entre décès observés et attendus est devenu toutefois supérieur aux décès liés à la Covid-19. Cela pourrait s’expliquer par une baisse des décès évités et/ou par une hausse des décès indirectement liés à l’épidémie (du fait par exemple de reports d’opérations).
La surmortalité, soit l’excédent des décès observés par rapport à ceux attendus, reste élevée en 2021 (6,3 %, après 7,5 % en 2020). Comparativement à 2020, l’année 2021 se distingue par une hausse de la surmortalité avant 75 ans et par une baisse après 85 ans. L’écart entre femmes et hommes s’est accru, puisque la surmortalité s’est stabilisée pour les hommes (8,6 % en 2020 et 8,3 % en 2021), tandis que celle des femmes a diminué (de 6,4 % à 4,3 %).
Paru le : 19/05/2022
Sommaire
- De mars 2020 à décembre 2021, les décès observés ont dépassé de 95 000 ceux attendus
- L’écart entre les décès observés et attendus est généralement inférieur aux décès liés à la Covid-19
- La surmortalité reste élevée en 2021
- Avant 75 ans, une surmortalité plus forte en 2021 qu’en 2020
- Baisse de la surmortalité des femmes en 2021, mais maintien de celle des hommes
De mars 2020 à décembre 2021, les décès observés ont dépassé de 95 000 ceux attendus
Quel a été l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur le nombre de décès ? Pour répondre à cette question, les décès observés toutes causes confondues sont comparés à ceux attendus en l’absence d’épidémie, en prenant en compte l’augmentation et le vieillissement de la population, ainsi que la tendance à la baisse des risques de décès à chaque âge quasi continue depuis plusieurs décennies. L’écart entre les décès observés et attendus mesure à la fois les effets directs et indirects de l’épidémie de Covid-19, mais aussi les effets de moindre ampleur d’autres phénomènes propres à l’année 2020 et 2021 et indépendants de l'épidémie, comme une canicule plus ou moins forte, un virus de la grippe plus ou moins dangereux.
Si les quotients de mortalité par sexe et âge avaient baissé en 2020 au même rythme qu’au cours de la dernière décennie, 622 300 décès auraient eu lieu en 2020 en l’absence d’épidémie de Covid-19, soit 9 000 de plus qu’en 2019. Cette hausse aurait résulté de 3 facteurs : + 14 000 décès en raison de l’augmentation et du vieillissement de la population qui accroissent mécaniquement le nombre de décès, à probabilité de décéder à chaque âge identique en 2020 à celle de 2019 ; + 1 900 décès du fait que l’année 2020 est bissextile et compte donc un jour de plus que 2019 ; – 6 900 décès à la suite de la baisse tendancielle des quotients de mortalité.
Avec 668 900 décès survenus en 2020, il y a donc eu 46 700 décès de plus qu’attendus. En janvier et février 2020, il y a eu 8 900 décès de moins qu’attendus, (grippe peu meurtrière). De mars à décembre 2020, période où l’épidémie de Covid-19 a occasionné de nombreux morts en France, le nombre de décès a au contraire dépassé de 55 600 le nombre attendu.
Si les quotients de mortalité par sexe et âge avaient baissé en 2020 et en 2021 au même rythme qu’au cours de la dernière décennie, 622 500 décès auraient eu lieu en 2021 : + 23 100 décès par rapport à 2019 en raison de l’augmentation et du vieillissement de la population et – 13 800 décès à la suite de la baisse attendue des quotients de mortalité. Or, 661 600 décès ont eu lieu, soit 39 100 décès de plus qu’attendus. Au total, de mars 2020 à décembre 2021, l’écart entre le nombre de décès observés et attendus est donc de 95 000 décès.
L’écart entre les décès observés et attendus est généralement inférieur aux décès liés à la Covid-19
De mars 2020 à décembre 2021, l’excédent de décès toutes causes confondues (+ 95 000) est inférieur au nombre de décès attribuables à la Covid-19, estimé entre 130 000 et 146 000. Santé publique France (SpF) comptabilise 124 000 décès attribués à la Covid-19 survenus à l’hôpital ou en établissement pour personnes âgées. Parmi les décès liés à la Covid-19, l’Ined estime à 5 % les décès survenus à domicile, soit 6 000. En ajoutant cette estimation aux décès comptabilisés par SpF, le nombre de décès liés à la Covid-19 peut être évalué à 130 000. Le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) estime, quant à lui, à 146 000 le nombre de certificats de décès avec une mention de Covid-19, tous lieux de décès confondus.
Au total, sur l’ensemble de la période, l’excédent de décès toutes causes confondues est inférieur au nombre de décès liés à la Covid-19, car il ne mesure pas exactement la même chose. Les décès attribués à la Covid-19 incluent ceux de personnes fragiles qui auraient été la conséquence d’une autre cause en l’absence d’épidémie (diabète, maladie cardiovasculaire, etc.). Ces décès ne sont pas comptés dans l’écart entre le nombre de décès attendus et observés, car ils sont comptabilisés dans les observés, mais aussi dans les attendus. Par ailleurs, l’impact de l’épidémie est réduit grâce à certains décès évités : baisse des accidents de la route, des tentatives de suicides en 2020 [Santé publique France, 2022], de certaines maladies contagieuses (réduction des déplacements et des contacts, gestes de protection, etc).
Période par période, l’excédent de décès toutes causes confondues et les décès liés à la Covid-19 sont plus ou moins proches. De mars à novembre 2020, l’excédent a été inférieur ou bien très proche des décès liés à la Covid-19.
De décembre 2020 à mars 2021, l’excédent de décès a été nettement inférieur aux décès liés à la Covid-19. En effet, la quasi‑absence de grippe a réduit le nombre de décès observés. De plus, ces mois sont habituellement les plus meurtriers de l’année, en raison notamment de la grippe et des autres maladies saisonnières, ce qui accroît le nombre de décès attendus : les décès qui auraient été la conséquence d’une autre cause en l’absence d’épidémie de Covid-19 augmentent donc pendant l’hiver.
En revanche, d’août à décembre 2021, l’excédent de décès est devenu supérieur aux décès liés à la Covid-19. Ceci pourrait s’expliquer par une baisse des décès évités et/ou par une hausse des décès indirectement liés à l’épidémie (par exemple du fait de reports d’opérations ou de la baisse des dépistages. Les décès évités ont probablement diminué : les tentatives de suicide au second semestre 2021 sont revenues à un niveau comparable à celui de 2019 [Santé publique France, 2022b], de même pour la fréquentation des urgences liée à un traumatisme [Santé publique France, 2022a]. Par ailleurs, l’épidémie a entrainé une baisse de certaines actions de prévention comme les dépistages de cancer début 2020 [Le Bihan-Benjamin et al., 2022], qui a pu accroître les décès en 2021.
De janvier à mars 2022, l’excédent de décès est redevenu inférieur aux décès liés à la Covid-19, comme de janvier à mars 2021, en raison d’un nombre élevé de décès attendus lors des mois d’hiver et de la quasi‑absence de grippe en début d'année (elle n’est de retour après deux ans d’absence qu’en mars 2022). Toutefois, au 1er trimestre 2022, l’écart entre le nombre de décès par Covid-19 et l’excédent de décès est moindre qu’au 1er trimestre 2021, ce qui peut suggérer là aussi une baisse des décès évités et/ou une hausse des décès indirectement liés à l’épidémie.
La surmortalité reste élevée en 2021
En 2021, il y a eu 6,3 % de décès de plus qu’attendus, contre 7,5 % en 2020. Cet écart, que l’on peut qualifier de « surmortalité », n’est donc en 2021 que légèrement inférieur à celui de 2020. Pourtant, les pics des 3 vagues de 2021, en avril (+ 14 % de décès par rapport à ceux attendus), août (+ 8 %) et décembre (+ 14 %) n’ont pas atteint les sommets des deux vagues de 2020, en avril (+ 33 %) et en novembre (+ 30 %). En revanche, en dehors des 2 mois de montée de chacune des vagues de 2020, en janvier et février, de mai à septembre et en décembre, la surmortalité de 2021 a été supérieure ou équivalente à celle des mêmes mois en 2020.
En 2021, la mortalité a été influencée à la fois à la baisse et à la hausse. La vaccination est l’un des facteurs qui a réduit le taux de mortalité lié à la Covid-19 : par exemple, en octobre 2021, parmi les 20 ans ou plus, ce taux est neuf fois moins élevé pour les personnes complètement vaccinées que pour celles non vaccinées [Drees, 2021]. De plus, après une forte hausse des décès en 2020, la mortalité a baissé par contrecoup en 2021, puisque de nombreuses personnes fragiles étaient déjà décédées. Cet effet « moisson » a donc contribué à réduire la mortalité toutes causes confondues.
Mais en 2021, de nouveaux variants plus transmissibles (comme delta, majoritaire en juillet, et omicron en décembre) sont apparus. Les déplacements en transports en commun, fortement réduits en 2020, sont revenus à partir de juin 2021 à un niveau à peine inférieur à la période pré-pandémie (par exemple, – 4 % le 15 juin 2021 par rapport au même jour de la semaine en janvier 2020, contre – 32 % le 15 juin 2020 par rapport au même jour de la semaine en janvier 2020 [Google, 2022]), ce qui suggère des interactions sociales plus fréquentes. Il n’y a eu qu’un seul confinement en 2021, dont la durée a été inférieure aux deux confinements de 2020. En outre, l’épidémie de Covid-19 a occasionné de nombreux décès toute l’année en 2021, contre seulement durant 10 mois en 2020, de mars à décembre. Au total, l’excédent des décès par rapport à l’attendu reste élevé en 2021.
En janvier 2022, la surmortalité (7,8 %) reste supérieure à son niveau moyen de 2021 (6,3 %). Elle diminue nettement en février 2022 (2,4 %) et devient quasi nulle en mars 2022 (– 0,9 %).
Avant 75 ans, une surmortalité plus forte en 2021 qu’en 2020
En 2021, la surmortalité augmente avant 75 ans. Alors que les décès étaient moins nombreux qu’attendus pour les moins de 35 ans en 2020, ils redeviennent quasi conformes à ceux attendus en 2021. S’agissant des 35-74 ans, la surmortalité était déjà visible en 2020 mais elle s’accroît en 2021 : elle est par exemple de 7 % pour les 35-54 ans, contre 3 % en 2020. Selon SpF, les décès à l’hôpital des moins de 75 ans liés à la Covid-19 sont plus nombreux en 2021 qu’en 2020 [Ined, 2022]. De plus, une baisse des décès évités et/ou une hausse des décès liés indirectement à l’épidémie (par exemple du fait du report d’opérations chirurgicales ou de la baisse des dépistages) pourraient également expliquer cette surmortalité plus élevée en 2021.
La surmortalité est stable pour les 75-84 ans : en 2021, comme en 2020, ils sont les plus fortement touchés par l’épidémie (11 % de décès de plus qu’attendus). Les effets à la baisse comme la vaccination ou l’effet « moisson » ont donc été compensés par les effets à la hausse (12 mois d’épidémie de Covid-19 en 2021, contre 10 mois en 2020 ; moindre baisse des déplacements par rapport à la période pré-pandémie ; confinement moins long, etc.).
La surmortalité diminue en revanche nettement pour les 85 ans ou plus, le nombre des décès devenant même conforme à celui attendu pour les 95 ans ou plus. L’effet « moisson » est plus fort à court terme pour les personnes très âgées, car leur probabilité de décéder quelques mois plus tard en l’absence d’épidémie est plus grande.
Baisse de la surmortalité des femmes en 2021, mais maintien de celle des hommes
Comme en 2020, la surmortalité a été plus forte en 2021 pour les hommes que pour les femmes.
L’écart entre femmes et hommes s’est même accru en 2021, puisque la surmortalité s’est stabilisée pour les hommes (8,6 % en 2020 et 8,3 % en 2021), tandis qu’elle a diminué pour les femmes (de 6,4 % à 4,3 %).
Deux effets expliquent le creusement de l’écart. D’abord, la surmortalité s’est réduite fortement après 85 ans de façon similaire pour les femmes et les hommes, du fait de l’effet « moisson ». Comme les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans cette tranche d’âge, l’impact de cette baisse est plus fort pour l’ensemble des femmes. Second effet, la hausse de la surmortalité avant 65 ans en 2021 est principalement le fait des hommes. Par exemple entre 35 et 54 ans, la surmortalité est faible pour les femmes en 2020 comme en 2021 (0,6 % et 1,4 %), tandis qu’elle passe de 4,8 % à 9,6 % pour les hommes. L’impact du second effet est toutefois plus faible que le premier puisque seuls 15 % des décès surviennent avant 65 ans.