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Perturbateurs endocriniens : stratégie nationale (15 07 2024)

Nous vous proposons aujourd’hui cette présentation et ce résumé d’un rapport publiés le 8 juillet 2024 sur le site Vie-publique (cliquer ici pour accéder au site Vie-publique)

https://www.vie-publique.fr/rapport/294816-evaluation-2eme-strategie-nationale-sur-les-perturbateurs-endocriniens.html

Cliquer ici pour accéder au texte pdf du rapport

https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/294816.pdf

Évaluation de la deuxième stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens - Pour une future stratégie "zéro exposition aux perturbateurs endocriniens"

Remis le 8 juillet 2024

Auteur(s) : Frédéric Saudubray ; Nicolas Durand ; Olivier Laboux ; Sacha Reingewirtz ; Émile Rasooly

Auteur(s) moral(aux) : Inspection générale des affaires sociales ; Inspection générale de l'environnement et du développement durable

 

Compte tenu des risques que les PE font peser sur la santé humaine et celle des écosystèmes, la mission recommande de poursuivre les efforts engagés depuis dix ans et de lancer une 3e édition de la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (« SNPE3 »), à condition d'en revoir profondément la gouvernance, le format et le contenu. La SNPE3 doit fixer un objectif ambitieux pour les quinze prochaines années (« Zéro exposition aux PE »), avec une coordination interministérielle renforcée et un portage politique au plus haut niveau. Cette stratégie doit être assortie de plans d'actions quinquennaux, ciblés sur un nombre restreint d'objectifs et dotés d'un budget spécifique.

 

Résumé

 

Les perturbateurs endocriniens (PE) sont des substances chimiques qui, en dérèglant la fonction hormonale des organismes vivants 1 , peuvent affecter la santé humaine dans de multiples domaines : reproduction (qualité du sperme, puberté précoce, infertilité…), cancers (sein, prostate…), neurodéveloppement (baisse du QI, troubles du comportement…), métabolisme (diabète et obésité). Certains de ces effets sanitaires peuvent se manifester à long terme, voire sur plusieurs générations. Les PE ont également un impact sur la faune (féminisation, atteintes osseuses, diminution du taux de testostérone, cryptorchidie, etc.) et contribuent à l’érosion de la biodiversité.

On les retrouve dans de nombreux objets et produits de la vie courante et professionnelle (produits ménagers, détergents, produits phytosanitaires, cosmétiques, aliments, etc.) et, de ce fait, également dans les milieux aquatiques, l’air et les sols.

Adoptée en septembre 2019, la deuxième stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE2) a pour ambition de réduire l’exposition de la population et de l’environnement aux PE. Son plan d’action s’articule autour de 3 volets : « Former et informer » (13 actions), « Protéger la population et l’environnement » (28 actions) et « Améliorer les connaissances » (9 actions).

La SNPE2 s’inscrit dans le prolongement d’une première stratégie, lancée en 2014, qui faisait de la France un pays pionnier en la matière. Aujourd’hui encore notre pays fait partie – avec la Belgique, l’Allemagne et le Danemark – des pays européens les plus mobilisés autour du sujet des perturbateurs endocriniens. Les enquêtes d’opinion révèlent d’ailleurs que ce sujet est de mieux en mieux connu des Français, 88% en ayant entendu parler.

Depuis 2019, des progrès ont été enregistrés sur le plan réglementaire avec, au niveau national, l’adoption en 2020 de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) : définition d’une liste de 128 perturbateurs endocriniens, instauration d’un droit d’accès à l’information pour le consommateur... Au niveau européen, la réforme en décembre 2022 du règlement CLP (classification, labelling and packaging) instaure une classification et un étiquetage spécifiques pour les substances et les mélanges contenant des perturbateurs endocriniens, dispositions qui s’appliqueront à compter de 2025.

Malgré cette avancée très importante, pour laquelle la France a joué un rôle moteur, le cadre réglementaire européen demeure fragmenté, entre textes transversaux et sectoriels. L’ajournement de la réforme du règlement REACH (registration, evaluation, authorisation and restriction of chemicals) constitue un coup d’arrêt pour les ambitions de la stratégie européenne sur les produits chimiques dans laquelle les perturbateurs endocriniens occupent une place importante.

Au total, la mission a identifié 53 mesures prises au titre des différents règlements européens pour interdire ou restreindre l’usage de substances en raison de leurs propriétés de perturbation endocrinienne. Bien que beaucoup de ces mesures aient été prises au cours des trois dernières années, ce chiffre est faible au regard du nombre de substances potentiellement PE.

L’évaluation des substances s’est accélérée (43 évaluations engagées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail sur la période 2019-2023 contre 18 de 2014 à 2018) mais le rythme reste extrêmement modeste au regard du nombre de produits chimiques mis sur le marché. Une liste de 906 perturbateurs endocriniens potentiels a été établie en 2021 sans toutefois se traduire par une priorisation des évaluations à conduire, tant au niveau national que communautaire. D’autres listes ont été élaborées (aux niveaux national et européen), engendrant une certaine confusion.

Sur le plan de l’information du public, le site des 1000 premiers jours (où les perturbateurs endocriniens occupent une place importante) a connu un réel succès. L’information des consommateurs reste en revanche parcellaire en raison, notamment, des limites de l’application Scan4Chem.

Quelques progrès ont été faits en matière de formation continue des professionnels de santé, même si le nombre de personnes formées reste très modeste. Il en va de même pour la formation initiale des professionnels de santé et de la petite enfance, et plus encore celle des futurs cadres des secteurs productifs, dans laquelle les perturbateurs endocriniens – et plus généralement la santé environnementale – occupent une place très réduite. Quant aux autres métiers, même dans les secteurs les plus exposés (industrie chimique, agriculture, nettoyage, soins esthétiques…), la formation initiale et continue aux perturbateurs endocriniens est presque inexistante.

La recherche sur les perturbateurs endocriniens a progressé grâce au soutien financier de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et du Programme national de recherche environnement-santé-travail (PNR EST), avec près d’une centaine de projets lancés sur la période 2019-2023. Dans le domaine des tests (évaluation du caractère perturbateur endocrinien des substances chimiques), la plateforme PEPPER a apporté une contribution appréciable à la normalisation des méthodes d’analyse (11 méthodes en cours de pré-validation dont 6 inscrites au programme de validation de l’Organisation de coopération et de développement économique). Au niveau européen, les perturbateurs endocriniens bénéficient également de plusieurs programmes de recherche, en particulier le projet PARC (Partenariat européen pour l'évaluation des risques liés aux substances chimiques) dont plusieurs volets (notamment la coordination générale) ont été confiés à des équipes françaises. Malgré ces avancées dont certaines constituent d’incontestables réussites de la SNPE2, plusieurs domaines restent largement inexplorés (recherche clinique, recherche environnementale, sciences humaines et sociales…).

La surveillance sanitaire a permis de révéler une imprégnation générale de la population à plusieurs perturbateurs endocriniens, sans qu’il soit possible d’en apprécier l’évolution, faute de données antérieures. Un nouveau volet du programme national de biosurveillance (ALBANE) sera lancé en 2024, dans lequel les perturbateurs endocriniens occupent une place importante.

La surveillance des pathologies a également progressé dans le champ de la santé reproductive dont plusieurs indicateurs affichent une dégradation préoccupante, notamment la fertilité masculine. Un élargissement de cette surveillance à d’autres pathologies (trouble du développement, maladies métaboliques, cancers…) est actuellement à l’étude, dans le cadre d’une surveillance intégrée associant surveillances sanitaire et environnementale.

S’agissant de la surveillance environnementale, le progrès le plus notable concerne l’air intérieur (la seconde campagne nationale logement a recherché spécifiquement des perturbateurs endocriniens). Pour la surveillance des autres compartiments (air ambiant, milieux aquatiques et sols), des croisements avec les données existantes ont permis d’obtenir des premières informations partielles sur l’exposition mais sans harmonisation d’ensemble, et avec la difficulté d’une multiplicité des listes des perturbateurs endocriniens.

En matière de contrôle, les résultats sont encore plus mitigés. Les contrôles réglementaires pratiqués par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) – sur les matériaux en contact avec les denrées alimentaires, les jouets, les produits chimiques et les cosmétiques - sont en légère baisse sur les deux dernières années. Le taux de non-conformité est resté stable (15%). Le nombre de contrôles exploratoires s’est, quant à lui, maintenu mais les substances testées sont limitées par les moyens techniques dont dispose le laboratoire national de contrôle6. Le champ des contrôles s’est par ailleurs restreint à celui de la campagne nationale sur la sécurité des jouets. Quant aux contrôles réalisés aux frontières par les douanes, leur efficacité est compromise par plusieurs éléments : impossibilité de recontrôler les produits déjà dédouanés par d’autres Etat membres, manque de documentation et inadaptation au commerce en ligne.

En matière de substitution, les objectifs de la SNPE2 n’ont clairement pas été atteints. Hormis la production d’outils informatifs, dont le site internet créé par l’Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), les appels à projets à destination des industriels n’ont pas trouvé leur public et les budgets fléchés n’ont pas été consommés.

Enfin, de nombreuses initiatives ont été prises par les acteurs locaux (associations, collectivités territoriales, services de l’Etat, assurance maladie, crèches, maternités…) pour lutter contre les risques environnementaux, dont les PE. Ces projets se sont déployés en grande partie « hors SNPE2 » qui n’apporte ni financements ni cadre d’action à ces acteurs. Si les données manquent pour en apprécier l’impact, ces actions de prévention suscitent indiscutablement des dynamiques territoriales positives en matière de santé environnementale, au bénéfice des publics les plus à risque au premier rang desquels figurent les femmes enceintes et les jeunes enfants.

En matière d’efficacité, le bilan de la SNPE2 est donc modeste : des avancées ont été faites mais elles restent bien en deçà des objectifs fixés en 2019. Surtout, les lacunes du dispositif de surveillance et le manque de suivi des indicateurs de la SNPE2 ne permettent pas d’apprécier l’atteinte – ou non – de son objectif premier : réduire l’exposition de la population et de l’environnement aux perturbateurs endocriniens.

La mission considère néanmoins que cette stratégie est globalement pertinente, en adéquation avec les enjeux liés aux perturbateurs endocriniens, même si elle est insuffisamment tournée vers une réduction effective de l’exposition aux PE. La production de connaissances y occupe une place très importante (ce qui est justifié au regard de la complexité du sujet) mais avec une traduction opérationnelle insuffisante des alertes et enseignements qui en résultent. La dimension européenne est – à juste titre – très présente. En revanche, l’approche « Une seule santé » est peu marquée, de même que les inégalités économiques et sociales.

La mission a également évalué la cohérence (interne et externe) de la SNPE2. Sur le plan externe, cette stratégie s’inscrit dans un vaste ensemble de stratégies et plans nationaux consacrés à la santé environnementale, en premier lieu le PNSE 4 avec lequel la SNPE2 partage plusieurs objectifs. Avec les plans sectoriels (PFAS, chlordécone, Ecophyto…), la cohérence est plus difficile à établir, à l’exception du plan micropolluants avec lequel des correspondances sont clairement faites. Sur le plan interne, la SNPE2 est globalement cohérente même si le plan d’action comporte un certain nombre de faiblesses : indicateurs trop nombreux et parfois non pertinents, planification et séquençage des actions défaillants…

En matière de gouvernance, les comités de suivi (instaurés en 2021) constituent, pour les différentes parties prenantes, des temps utiles d’information et d’échange. En revanche, ce n’est pas une réelle instance de suivi de la mise en œuvre de la SNPE2, tâche qui a été davantage assurée par le comité de pilotage (où siègent uniquement les administrations centrales et les opérateurs), au détriment d’une approche plus prospective et stratégique. La SNPE2 a également souffert d’un manque de portage politique. Sur le plan interministériel, le copilotage Santé/Environnement a été étroit et constant. En revanche, l’engagement des autres ministères a été inégal et parfois très insuffisant.

Compte tenu des risques que les perturbateurs endocriniens font peser sur la santé humaine et celle des écosystèmes, la mission recommande de poursuivre et d’amplifier la dynamique impulsée par les deux premières stratégies. Cette action gagnerait à s’inscrire dans une stratégie « Une seule santé » (ou une « Stratégie nationale santé environnement ») bénéficiant d’un pilotage interministériel au plus haut niveau. A défaut d’une telle stratégie globale, la mission recommande d’élaborer une 3ème version de la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE3).

Cette SNPE3 doit fixer un cap (pour les 10 ou 15 prochaines années), avec des objectifs généraux et des priorités. Un tel document est en effet utile, au niveau européen, pour afficher et défendre les positions françaises (et contribuer ainsi au renforcement de la réglementation) et, aux niveaux national et territorial, pour mobiliser les différentes parties prenantes et légitimer leur action. Ce document stratégique doit être assorti d’un plan d’action ciblé, sur lequel administrations et opérateurs concentreront leur action au cours des 5 prochaines années.

La SNPE3 doit assurer un meilleur équilibre entre l’action et la connaissance. Outre la formation et l’information, la réglementation et le contrôle de sa mise en œuvre doivent y occuper une place importante, de même que la substitution, la limitation des émissions des substances et le soutien aux initiatives locales.

Plus généralement, il ne s’agit plus seulement de « Protéger l’environnement et la population » (objectif de la SNPE2) mais de tendre vers le « Zéro exposition aux PE », à l’instar de la stratégie UE sur les produits chimiques qui vise « un environnement exempt de substances toxiques ».

La mission propose de structurer la SNPE3 autour de 3 grands objectifs :

  • « Produire des connaissances » : développer la recherche en mettant en œuvre un programme national de recherche sur l’exposome ; accélérer le rythme d’évaluation des substances et élaborer une stratégie européenne de tests ; mettre en œuvre une surveillance intégrée en couplant surveillances sanitaire et environnementale.
  • « Former et informer » : garantir une information effective du consommateur ; sensibiliser les populations en allant vers les plus vulnérables ; généraliser la formation des professionnels les plus exposés.
  • « Réduire les émissions » : élargir les restrictions de substances ayant des effets perturbateurs endocriniens ; renforcer le contrôle des produits aux frontières et sur le territoire national ; relancer les démarches de substitution et l’accompagnement des professionnels des secteurs émetteurs ; traduire sur le plan opérationnel les alertes résultant de la surveillance intégrée ; engager une réflexion prospective vers des changements de paradigme.

En matière de gouvernance, le succès de la SNPE3 nécessite un engagement de tous les ministères, y compris au niveau politique. Au-delà de la coordination assurée par les ministères chargés de la santé et de l’environnement, la mission considère qu’il est indispensable d’impliquer plus fortement les ministères les plus concernés (agriculture, industrie, recherche…) dès la conception de la stratégie et du plan d’action.

Enfin, le plan d’action adossé à la SNPE3 doit être doté d’un budget pluriannuel, incluant des financements consacrés à la mise en œuvre d’actions nouvelles et spécifiques aux PE, en complément des moyens déjà prévus ou engagés. Une présentation de ce budget (mesures nouvelles et mesures déjà prévues ou engagées) et de son exécution pourra être faite chaque année devant les parties prenantes.

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