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Intérêts commerciaux de l'UE Intérêts commerciaux de l'Union Européenne (16 07 2024)

Nous vous proposons aujourd’hui cette note longue et ardue publiée le 2 juillet 2024 sur le site Vie-publique (cliquer ici pour accéder au site Vie-publique)

https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/294217-concurrence-mieux-proteger-les-interets-commerciaux-europeens.html

Défense des intérêts commerciaux de l'UE : le point en 6 questions

Publié le 2 juillet 2024

Dumping, subventions étrangères… Comment mieux protéger les producteurs européens des pratiques déloyales de certains pays tiers ? La majeure partie des mesures de défense commerciale de l'Union européenne (UE) concerne les importations venant de Chine, de Russie et des États-Unis. Le Point en 6 questions.

1 Quelle est la place de l'économie européenne dans le monde ?

En 2023, le marché unique européen regroupe 27 pays23 millions d'entreprises et près de 450 millions d'habitants. Les relations économiques et financières entre les États membres sont très étroites. En comparaison, les États-Unis rassemblent 32 millions d'entreprises et près de 340 millions d'habitants. L'UE, avec moins d'un dixième de la population mondiale, représente environ 15% du PIB mondial et réalise un tiers du commerce mondial.

Le 14 février 2024, la Commission européenne a publié le rapport annuel sur le marché unique et la compétitivité. L'UE tire sa force économique et politique de sa position de premier négociant et investisseur. Elle est également le premier exportateur mondial.

Après deux années de déficit, la balance commerciale de l’UE est de nouveau positive en 2023. L’UE conserve des avantages comparatifs importants dans un certain nombre de secteurs porteurs à haute valeur ajoutée et générateurs d’emplois (industrie pharmaceutique, aéronautique, industrie chimique...). 

Les évolutions du solde commercial permettent d’évaluer, sur un temps long les changements de rapports de force entre les différentes aires économiques.

2 Défis de la politique commerciale européenne

Si le commerce international est l'un des principaux facteurs de croissance pour l'économie européenne, ses contours sont en train de changer : la logique selon laquelle le niveau des coûts de production façonnait les chaînes de valeurs cède la place à une autre logique où la sécurité et la résilience des chaînes de valeurs sont prioritaires. Les bouleversements du monde sont parmi les principaux catalyseurs de ces changements.

Le rapport annuel sur le marché unique et la compétitivité constate que l’économie européenne est "confrontée à des défis — anciens ou plus récents — liés au changement climatique, aux mutations géopolitiques, à l’accélération technologique, aux prix élevés de l’énergie, aux déficits démographiques et aux pénuries de main-d’œuvre et de compétences" mais également "aux dépendances stratégiques et à la concurrence internationale déloyale".

La concurrence déloyale pèse sur l'UE alors que l’ouverture est la clé de sa puissance économique. L'UE, elle-même construite sur le droit, est porteuse d'une conception des relations internationales fondée sur les règles. 

Comme l'avait souligné un rapport de l'Assemblée nationale de février 2022, plusieurs signaux et événements avaient laissé présager une évolution de la position de l’Union européenne sur la question de la défense commerciale. Tout d’abord, l’absence de fermeté européenne dans le cas de l’industrie photovoltaïque en 2013 a conduit à un revirement de l’Allemagne, où l’industrie locale a été sévèrement affectée par le dumping des exportateurs chinois. De plus, les fortes tensions commerciales de l’année 2018 entre les États-Unis et l’UE ont alimenté une prise de conscience de la nécessité de constituer une "Europe-puissance". L'UE s'est alors engagée à réformer le marché unique et à réorienter sa politique commerciale commune, afin de l'adapter aux bouleversements du monde auxquels elle doit faire face :

  • L'Amérique d'abord

L'approche de l'administration Trump (janvier 2017- janvier 2021) a reposé sur la préférence donnée à l'action bilatérale qui favorise les pressions sur les partenaires. L'UE pour sa part, a réaffirmé son engagement pour une approche multilatérale. 

  • La pression chinoise et la place des pays émergents

Depuis l’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC)  en 2001, les pays émergents du G20 sont devenus d'importants importateurs de produits manufacturés et des exportateurs de biens intermédiaires, en particulier dans l’industrie manufacturière et l’exploitation minière.

Toutefois, les pays émergents ne partagent pas nécessairement l'approche de la politique commerciale européenne. Ils ont tendance à suivre des modèles industriels plus interventionnistes, avec un degré d'ouverture relativement faible. Ils considèrent le commerce et les investissements sous un angle plus politique.

  • La guerre de la Russie contre l'Ukraine

La guerre de la Russie contre l'Ukraine depuis février 2022, et avec elle l'incertitude des politiques économiques, pèse sur l'évolution des échanges mondiaux. Des signes de fragmentation du commerce mondial sont en train d'apparaître. Les tensions politiques mondiales croissantes, y compris au Moyen-Orient, et les inquiétudes concernant la sécurité économique pourraient mener à une division croissante entre les pays qui soutiennent la Russie et ceux qui soutiennent l'Ukraine.

3 Quels sont les outils européens de défense commerciale ?

En plus de la politique de concurrence actualisée depuis 2020, l’UE dispose, comme tous les membres de l’OMC, d’une politique de défense commerciale ayant pour objectif de lutter contre des pratiques commerciales étrangères jugées déloyales. En comparaison avec ses partenaires commerciaux, elle avait jusqu'à récemment tendance à moins la mobiliser. Depuis 2018, l’UE a désormais l’ambition d’exiger plus de réciprocité dans ses échanges commerciaux avec le reste du monde. 

Le dispositif européen en matière de défense commerciale repose sur trois instruments principaux, qui s'inscrivent dans le cadre des accords de l'OMC  :

  • les mesures antidumping visent à lutter contre les pratiques consistant, pour une entreprise d'un pays tiers, à appliquer à un produit un prix à l'exportation inférieur à celui auquel il est vendu sur son marché domestique ;
  • les mesures antisubventions ont pour objectif de corriger les effets d'une contribution financière publique d'un pays tiers, conférant un avantage commercial spécifique à une entreprise ou un secteur de ce pays ; 
  •  les mesures de sauvegarde peuvent être appliquées lorsqu’une industrie est touchée par une augmentation imprévue, brutale et soudaine des importations en provenance d'un pays tiers.

Être membre de l'OMC n'empêche pas l'UE d'élaborer une législation propre. Les risques dus aux bouleversements politiques du monde, aux pratiques commerciales déloyales,  aux dépendances asymétriques l'ont conduite à prendre de nouvelles mesures

  • en encourageant la diversification de l’approvisionnement ;
  • en renforçant les liens commerciaux et d’investissement ainsi que les capacités de production dans des domaines critiques au sein même du marché unique ;
  • en utilisant ses outils de défense commerciale et en complétant son dispositif afin de défendre des conditions de concurrence équitables pour les entreprises européennes.

Les instruments de défense commerciale de l’UE ont fait l’objet de renforcements à partir de 2018.

Lutte contre le dumping

Les prix bas peuvent être causés par plusieurs facteurs. Certains pays subventionnent injustement des produits ou des entreprises, produisent en excès, et vendent leurs produits à prix réduit sur d’autres marchés. Depuis 2019, l’UE peut répondre en imposant des droits antidumping dans les cas de distorsions de marché. De nouvelles règles permettent de mener des enquêtes, telle que l'enquête antisubventions que la Commission européenne a ouvert en octobre 2023 sur les importations de véhicules électriques à batterie (VEB) en provenance de Chine.

Filtrage des investissements directs étrangers

Il n’existait pas, jusqu’en 2019, de règlement européen sur le filtrage des investissements directs étrangers : celui-ci relevait uniquement de dispositifs nationaux. L'UE s’est alors penchée sur la question du rachat d’entreprises européennes par des investisseurs non européens dans des secteurs jugés stratégiques. Cette attention nouvelle a fait suite à certaines opérations de prise de contrôle, à l’image de la vente du Pirée en 2016, le plus grand port grec, à l’entreprise publique chinoise Cosco. L'UE s’est dotée d’un mécanisme de coopération (règlement UE 2019/452) en matière de filtrage des investissements directs étrangers (IDE), qui renforce son autonomie stratégique. 

Lutte contre les subventions étrangères

En 2020, la Commission européenne a entrepris de renforcer ses règles en matière de subventions publiques étrangères, d'abord avec l'adoption d'un livre blanc, puis avec l'élaboration et l'adoption d'une législation spécifique. Le Conseil de l'UE a ainsi approuvé le règlement relatif aux subventions étrangères en novembre 2022. Ce cadre légal comble un vide juridique, débattu de longue date.

Concurrence internationale et protection des marchés publics européens

Le règlement instaurant un instrument européen relatif aux marchés publics internationaux du 23 juin 2022 constitue un outil de politique commerciale pour garantir aux entreprises européennes un accès et des conditions de concurrence équitables au sein des marchés publics de pays tiers. L’IMPI vise ainsi à favoriser une plus grande réciprocité dans l’ouverture des marchés publics.

Lutte contre les pressions économiques

Depuis 2023, un nouvel outil de l'UE appelé instrument anti-coercition peut être utilisé pour lutter contre les menaces économiques et les restrictions commerciales injustes imposées par les pays tiers.

Les actions de coercition de la Chine contre la Lituanie

L’instrument anti-coercition aide l’UE à faire face aux pays qui restreignent le commerce pour tenter d’imposer un changement dans les politiques européennes. Un exemple concerne les restrictions commerciales que la Chine a imposées à la Lituanie après que ce pays eut annoncé l’amélioration de ses relations commerciales avec Taïwan en juin 2021.

L’objectif de cet outil anti-coercition est d’agir avant tout comme un moyen de dissuasion, en permettant à l’UE de résoudre les conflits commerciaux par la négociation.

4 Mise en œuvre des instruments européens de défense commerciale

La mise en œuvre des instruments de défense commerciale repose sur une répartition des rôles entre 3 acteurs : Entreprises, Commission européenne et États membres.

  • Les entreprises européennes qui estiment subir un préjudice peuvent déposer une plainte auprès de la Commission européenne.
  • La Commission examine les preuves et prend la décision d’engager une enquête ou de réexaminer des mesures existantes. La Commission conduit les enquêtes et décide à l’issue de ces dernières d’imposer des mesures de défense commerciale temporaires ou définitives ; elle accepte ou refuse les engagements des parties ; elle abroge, modifie ou prolonge les mesures en vigueur.
  • Les décisions de la Commission sont prises après consultation du Comité des instruments de défense commerciale, composé de représentants des États membres (dont, pour la France, un représentant de la Direction générale du Trésor) et présidé par un représentant de la Commission.

5 Bilan des actions de défense des intérêts commerciaux de l'UE

Dans son bilan des activités de défense commerciale pour l’année 2022, validé par le Conseil le 6 septembre 2023, la Commission européenne indique que 177 mesures de défense commerciale étaient en vigueur fin 2022 pour protéger les producteurs européens de pratiques déloyales.

Parmi les 177 mesures, près d’un cinquième concernaient des pratiques de contournement, autrement dit des actions d’exportateurs tiers pour éviter les règlementations européennes.

La Commission estime avoir protégé "près d’un demi-million d’emplois manufacturiers dans des secteurs tels que l’acier, l’aluminium, les produits chimiques et la céramique". Dans le détail, 151 mesures relevaient de l’antidumping25 du dispositif antisubvention et 1 concernait la procédure de sauvegarde. Par ailleurs, 38 des mesures résultaient d’enquêtes anticontournement.

  • Chine

La Commission a annoncé en septembre 2023 une enquête antisubventions sur les véhicules électriques à bas prix en provenance de Chine. Après 9 mois d’enquête, elle a, le 12 juin 2024, recommandé que des droits de douane supplémentaires sur les importations de voitures électriques venant de Chine doivent être appliqués. La Commission a lancé des enquêtes similaires sur des producteurs chinois d'éoliennes et de panneaux solaires soupçonnés de bénéficier de larges subventions de l'État.

L'UE a entamé fin avril 2024 une enquête sur les marchés publics des dispositifs médicaux en Chine. Une première. La Chine favorise systématiquement ses entreprises nationales lors des appels d'offres pour des dispositifs médicaux et l'UE évalue d'éventuelles mesures de rétorsions. 

  • États-Unis

La vérification du bon usage des mesures de défense commerciale par les pays partenaires fait partie du travail de la Commission en matière de commerce international. En l’occurrence, le nombre de ces mesures à l’encontre des exportateurs européens a connu un léger recul en 2022, le premier depuis 2012 : 170 étaient en vigueur en 2022, huit de moins qu’en 2021, dont une majorité de mesures au titre de l’antidumping (129), et une moindre quantité au titre de la sauvegarde (37).

Avec 38 mesures en vigueur, les États-Unis sont le partenaire commercial qui utilise le plus fréquemment les instruments de défense commerciale contre les exportations de l’UE, selon le rapport de la Commission. Suivent la Chine et la Turquie, avec 18 mesures chacun, puis le Brésil (11), le Canada et l’Indonésie (9 mesures en vigueur chacun) et enfin l’Australie, l’Inde et l’Afrique du Sud (7 mesures chacun).

6 Comment mieux assurer la sécurité économique de l’UE ?

La Commission européenne et le Haut représentant pour les affaires étrangères ont publié, en juin 2023, une communication conjointe nommée "stratégie européenne en matière de sécurité économique". Celle-ci pose les enjeux mondiaux de la sécurité économique et les conséquences pour l'économie européenne. Elle présente aussi aux États membres les axes d’une adaptation de l’UE pour répondre dans la durée aux défis. 

Mentionnant à de multiples reprises le concept de sécurité économique, le document prend acte de l’insuffisante préparation des Européens aux bouleversements mondiaux et des liens qui existent entre économie et sécurité nationale. 

"Si l’Union européenne n’a pas ménagé ses efforts ces dernières années pour relever des défis bien spécifiques, elle a désormais besoin d’une approche stratégique globale de la sécurité économique, de manière à réduire les risques et à promouvoir son avance technologique dans les secteurs critiques. L’objectif est de fournir un cadre pour une évaluation et une gestion solides des risques pour la sécurité économique au niveau de l’Union, au niveau national et au niveau des entreprises, tout en préservant et en renforçant notre dynamisme économique. Cela est d’autant plus important à mettre en place à un moment où ces risques évoluent rapidement et se fondent avec les préoccupations en matière de sécurité nationale. Un bon exemple en est la rapidité avec laquelle émergent de nouvelles technologies critiques, qui brouillent les frontières entre les secteurs civil et militaire."

Le document identifie quatre risques principaux, pour : 

  • la sécurité des chaînes d’approvisionnement ; 
  • la sécurité physique et la cybersécurité des infrastructures critiques ; 
  • la sécurité des technologies et les fuites de technologies ; 
  • les risques d’instrumentalisation des dépendances économiques ou de coercition économique. 

Ces risques peuvent survenir tout au long de la chaîne de valeur, de la création de connaissances, et de la recherche fondamentale à la commercialisation et à la fabrication à grande échelle.

En découlent trois axes de travail pour faire face à ces risques :

  • la promotion de la base économique, de la compétitivité et de la croissance de l’UE (législation sur les matières premières critiques, règlement européen sur les semi-conducteurs…) ;
  • la protection contre les risques pesant sur la sécurité économique (instruments de défense commerciale, instrument anti-coercition, réglementation en matière de contrôle des IDE, contrôle export, sécurité de la recherche...) ; 
  • le développement de partenariats pour la sécurité économique dans une logique multilatérale (G7, G20, OMC...). 

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