Nous vous proposons aujourd’hui cette note publiée le août2025 sur le site de l’Institut national d’études démographiques (cliquer ici pour accéder au site de lINED)
https://www.vie-publique.fr/eclairage/19590-chronologie-des-droits-des-femmes.html
Paris, il y a 100 ans : une population plus nombreuse qu’aujourd’hui et déjà originaire d’ailleurs
par Sandra Brée, l'équipe de Popp (The POPP team)
Population et Sociétés n° 636, septembre 2025
À quoi ressemblait la population parisienne il y a un siècle ? Se distinguait-elle du reste du pays ? Que reste-t-il aujourd’hui de ses particularités d’alors ? À partir des données individuelles inédites des recensements de 1926-1936, l’autrice examine les caractéristiques de la population parisienne pendant l’entre-2-guerres, alors à son plus haut niveau de peuplement.
La population parisienne se distingue de celle du reste de la France. La proportion de personnes seules ou étrangères y est, par exemple, plus élevée qu’ailleurs. Comment se composait cette population il y a 100 ans ? Pour répondre à ces questions, il faut disposer de données très détaillées, ce qui est le cas de celles issues des recensements du XIXe siècle. Il n’en est plus de même pour l’entre-deux-guerres. Mais des listes nominatives établies par la commune ont été conservées et transformées en bases de données par le projet Popp. Elles permettent de mieux connaître les caractéristiques de la population de la capitale française pendant l’entre-deux-guerres.
Une ville à son plus haut niveau de peuplement
Entre 1861 et 1921, Paris gagne plus de 1,2 million d’habitants. Le rythme de la croissance est particulièrement fort entre les années 1860 et 1880, et la capitale voit sa population augmenter pour atteindre son plus haut niveau de peuplement entre 1911 et 1954 (pic à plus de 2,9 millions en 1921), avant d’entrer dans une période de décroissance entre les années 1950 et les années 1980, puis de stagnation, avec 2,1 millions d’habitants jusqu’à aujourd’hui.
De 1881 à 1911, les naissances sont légèrement plus nombreuses que les décès. Cependant, ce très faible accroissement naturel n’explique qu’en partie la croissance de la population parisienne qui tient surtout à l’arrivée de personnes nées ailleurs. Les naissances connaissent un léger boom juste après la première guerre mondiale puis se réduisent fortement, mais restent supérieures aux décès jusqu’en 1933. La population parisienne aurait-elle pu se maintenir en l’absence de migration ? C’est peu probable puisque les personnes qui gagnent Paris sont jeunes, en âge de faire des enfants et contribuent à la natalité de la capitale. À l’inverse, celles qui quittent la capitale sont plus âgées, meurent ailleurs et ne contribuent donc pas à sa mortalité.
Deux tiers des Parisiennes et Parisiens ne sont pas nés dans la capitale
Depuis l’Ancien Régime, y compris durant l’entre-deux-guerres, la majorité des Parisiennes et Parisiens ne sont pas nés dans la capitale : en 1926, seul 1/3 est né à Paris. C’est toujours le cas, près de 100 ans plus tard : en 2020, la part de Parisiennes et Parisiens de naissance a même un peu diminué et se situe à 29,7 %. En 1926, comme maintenant, les habitants de la capitale sont bien moins souvent nés dans leur département de résidence que ceux des autres départements, ce qui montre l’attractivité de Paris. La population parisienne est principalement composée de personnes nées en province ou à l’étranger, plus encore aujourd’hui puisque 25 % des habitants de Paris sont nés hors de France, et 45 % dans un autre département, bien plus que dans le reste de la France.
Pendant l’entre-deux-guerres, les femmes sont plus souvent nées en France hexagonale (52 à 55 % selon les années) que les hommes (45 à 48 %) qui sont plus souvent originaires des départements d’Algérie, des colonies et protectorats français ou encore de l’étranger (14 à 15 % contre 9 % pour les femmes). La distribution des départements de naissance est alors presque identique à celle de la fin du XIXe siècle : ils se situent majoritairement dans la moitié nord de la France, dans une zone d’attraction d’environ 200 km autour de la capitale. La proximité de celle-ci explique donc l’origine géographique des arrivants, mais on trouve aussi des populations venues en nombre de plus loin (Bretagne, Bourgogne, Auvergne ou Limousin). La plupart des migrations sont professionnelles, surtout liées au besoin de main-d’œuvre après la 1ère guerre mondiale, mais tiennent aussi, pendant l’entre-deux-guerres, à l’attrait pour le développement culturel et artistique de Paris, qui sert également d’asile à certains : Russes fuyant après la révolution de 1917, Arméniens tentant d’échapper au génocide ou juifs et juives fuyant les discriminations et pogroms.
Le pays de naissance ne se recoupe pas avec la nationalité puisqu’on peut acquérir la nationalité française (naturalisation) ou naître de nationalité française à l’étranger si on a une ou des parents français. Pendant l’entre-deux-guerres, 7 % des femmes et 12 % des hommes résidant à Paris sont de nationalité étrangère et 2 % des individus des 2 sexes sont naturalisés ; c’est davantage que pendant la période précédente (1881-1911 : 7 % d’étrangers et étrangères) ; moins de 2 % de personnes naturalisées en 1911 mais moins qu’aujourd’hui (15 % de nationalité étrangère). Entre 1926 et 1936, la proportion de personnes étrangères baisse au profit de celles naturalisées en raison de l’application de la loi d’août 1927 qui assouplit les critères de naturalisation. Parmi la population étrangère, les Italiens, Polonais, Russes et Belges sont alors les plus nombreux et nombreuses.
Une population féminine et de jeunes adultes
La pyramide des âges de Paris est en forme de sapin, et ce, dès le XIXe siècle. La base étroite s’explique par la présence réduite d’enfants. Non seulement la fécondité est extrêmement faible, mais certains enfants sont encore envoyés en nourrice « au loin », même si la pratique tend à disparaître. Enfin, si la mortalité infantile recule en France et dans sa capitale, elle s’élève encore à 89 ‰ pour les petites filles et à 106 ‰ pour les petits garçons2 en 1926 et à 58 ‰ et 74 ‰, respectivement, en 1936.
Les adultes en âge de travailler, en particulier ceux âgés de 25 à 45 ans, sont en revanche très nombreux du fait des migrations importantes. La population âgée de 50 ans et plus se réduit, principalement en raison de la mortalité croissante à mesure qu’elle avance en âge, mais également à cause des départs. Certains individus quittent la capitale pour retourner dans leur région ou pays d’origine, ou pour s’établir en banlieue parisienne ou dans des territoires plus éloignés.
La population parisienne compte davantage de femmes que d’hommes (55 % contre 45 %), plus encore que la population française dans son ensemble (52 % de femmes). Comme ailleurs, les hommes sont plus nombreux que les femmes à la naissance et, dans une moindre mesure dans l’enfance, puis les femmes deviennent majoritaires dès l’adolescence et en particulier à partir de 55 ans. La mortalité à Paris est plus élevée qu’en France en moyenne, et ce, à tous les âges, les conditions de vie citadines étant moins bonnes en raison de la promiscuité, entre autres. Cependant l’écart de mortalité entre Paris et le reste de la France est plus élevé encore pour les hommes âgés de 40 ans et plus.
Par ailleurs, plusieurs événements notables donnent à la pyramide parisienne sa forme particulière pendant l’entre-deux-guerres : le creux des naissances et celui des décès masculins lié à la 1ère guerre mondiale (que l’on retrouve également pour le reste de la population française) ; le creux des naissances conséquent à la guerre de 1870 contre la Prusse (visible sur la pyramide de la France également) pendant le siège de Paris (1870-1871) ; et la Commune de Paris quelques mois plus tard, ces 2 derniers événements étant spécifiquement parisiens. Aujourd’hui, les écarts entre les pyramides des populations parisienne et française sont plus ténus. La base de la première est toujours plus étroite car la proportion d’enfants résidant à Paris est moindre. Les adultes sont en revanche un peu plus nombreux, contrairement aux personnes âgées.
Des célibataires en grand nombre
Une des spécificités de la population parisienne est le nombre de célibataires (personnes jamais mariées) parmi la population âgée de 15 ans et plus. Les personnes célibataires sont bien plus nombreuses à Paris qu’en France en moyenne du fait de la structure par âge de la population parisienne, en raison de l’arrivée de jeunes gns dont beaucoup de célibataires. Inversement, les personnes mariées sont proportionnellement moins nombreuses à Paris que dans le pays en moyenne. Le concubinage en revanche, plus fréquent à Paris par rapport à la moyenne nationale mais l’écart se réduit depuis la fin du XIXe siècle.
À Paris comme ailleurs, les veuves sont plus nombreuses que les veufs en raison de la longévité plus importante des femmes et de l’écart d’âge entre conjoints, qui est souvent à l’avantage des hommes. Pendant l’entre-deux-guerres, les veuves sont nombreuses à cause des pertes masculines de la 1ère guerre mondiale, même si une partie d’entre elles s’est remariée. On compte cependant autant de veuves mais bien moins de veufs à Paris que dans le reste de la France. Peut-être parce que le remariage plus fréquent des veufs (et des divorcés), que des veuves (et divorcées), est encore plus marqué à Paris qu’ailleurs.
La population divorcée est plus élevée dans la capitale que dans le pays en moyenne, ce qui était déjà le cas à la fin du XIXe siècle. En 1936, à Paris, 2 % des hommes et plus de 3 % des femmes étaient divorcées, contre moins de 1 % pour le reste de la population française. Les comportements nouveaux ou marginaux (séparations, limitation des naissances, naissances hors mariage, relations homosexuelles…) sont plus fréquents à Paris, en raison de l’anonymat de la grande ville et du détachement des structures communautaires et familiales.
Aujourd’hui, les statuts conjugaux des Parisiennes et Parisiens diffèrent toujours : Paris compte plus de célibataires que le reste de la France et moins de personnes mariées ou veuves. En revanche, contrairement aux siècles précédents, les divorcés sont un peu moins nombreux dans la capitale. Vivre en couple non marié est aussi fréquent que dans le reste de la France (même si l’on est davantage en union libre et moins pacsé à Paris).
Une ville socialement différenciée
Comme aujourd’hui, dans l’entre-deux-guerres, les quartiers parisiens diffèrent les uns des autres et on note des différences sociales, professionnelles et culturelles. Le nombre de domestiques par ménage est un bon indicateur du niveau de richesse des quartiers. L’emploi de domestiques, particulièrement fréquent dans l’ouest de la capitale, montre que les 7e, 8e, 16e arrondissements, ainsi que le sud du 17e, sont les plus aisés alors que ceux de l’est, en particulier à la périphérie, sont les plus pauvres. Si de nombreux ménages, même peu aisés, ont une ”bonne à tout faire”, les plus riches peuvent employer des domestiques (maître d’hôtel, cuisinière, valet de chambre, gouvernante, chauffeur…), parfois en nombre supérieur à celui des membres de la famille qui les emploie. Cependant, dans l’entre-deux-guerres, ce nombre tend à diminuer et le modèle de la bonne unique s’impose peu à peu. Les domestiques, dont 85 % sont des femmes, résidant par ailleurs de moins en moins chez leurs patrons et de plus en plus dans leur propre logement.
Cette ségrégation géographique de l’espace parisien existe toujours aujourd’hui et montre la stabilité de cette dichotomie qui réserve l’ouest de la capitale aux plus aisés et laisse l’est aux plus pauvres