(Lu dans l’internaute magazine le 18 septembre 2007)
Cet article de M. Tâm Tran Huy sur l’économie française, bien que long (3 pages) et complexe nous a paru particulièrement intéressant. Le rapport qu’il commente et résume est à la base de projets de réformes du Président Sarkozy et du Gouvernement
Les raisons d'une faible croissance
"Le problème français ne tient spécifiquement ni à la durée du travail ni à l'emploi mais à la combinaison d'une faible durée du travail et d'un faible taux d'emploi." Dans la ligne de mire des économistes : le taux d'emploi des jeunes et des seniors, bien inférieur à celui de nos voisins européens. Autre problème, qui à première vue n'en est pas un : "la France jouit d'une productivité élevée", mais cette avance provient pour moitié "du faible niveau d'activité et d'emploi". En bref : certes, les Français sont très efficaces dans leur travail, mais ils sont peu nombreux à travailler (le marché du travail exclut de nombreux individus) et travaillent moins longtemps que d'autres pays. Résultat : la croissance est en retard.Les propositions
Dans leur rapport sur "les leviers de la croissance", les experts du Conseil d'analyse économique (CAE) ont identifié 3 domaines principaux, sur lesquels la France doit concentrer ses réformes et ses efforts : 1) agir sur le marché du travail : Premier chantier à lancer selon les auteurs du rapport, celui du marché du travail. A l'instar de Nicolas Sarkozy, ces économistes mettent en avant la nécessité de "travailler plus" et de réformer le droit du travail en ce sens.Travailler plus :
Sans donner de préconisation précise, le rapport évoque la rigidité du droit du travail français comme un frein à un accroissement de la durée du travail. Deux voies sont envisageables pour engager des réformes : » Supprimer les règles françaises sur "les durées maximales de travail et le traitement des heures supplémentaires en termes de repos compensateur et de contingents". » Ou encore, de façon moins radicale, permettre aux entreprises de déroger aux règles françaises, mais en organisant et limitant ces dérogations. Une approche qui permettrait aux partenaires sociaux d'établir leur propre réglementation, en termes de durée de travail, en fonction des spécificités des situations envisagées. Les économistes notent eux-mêmes que de telles mesures auraient certainement des effets pervers, et qu'il est impossible de les appliquer aussi simplement. Il s'agit simplement de s'en inspirer et de noter qu'il faut désormais travailler plus pour permettre à la croissance de s'accroître.Miser sur les jeunes et les seniors
La comparaison avec nos voisins européens est claire, nous travaillons moins en termes de volume horaire : un Français consacre 48 % de son temps de vie au travail contre 58 % pour un Britannique, et 60 % pour un Danois. Cet écart s'explique avant tout par une mobilisation moindre de deux catégories de personnes : les jeunes et les seniors. Forts de ce constat, les économistes ont notamment proposé l'exonération totale des charges sociales sur le travail étudiant et la suppression des limites au cumul emploi-retraite.Réformer le service public de l'emploi
Reprenant les constats du rapport Marimbert sur le service public de l'emploi (2004), les auteurs du rapport qualifient le système français de "très complexe, de moins en moins lisible" et rappellent que "la France a le dispositif d’intervention sur le marché du travail le plus éclaté d’Europe". Selon le rapport du CAE, il convient de fusionner l'ANPE et l'Unedic, et d'engager une réforme progressive des modalités de l'indemnisation chômage. Et les experts de montrer du doigt les insuffisances du service public de l'emploi : coexistence de chômeurs et d’offres d’emplois non satisfaites, inadéquation entre crédits de formation et emploi, service de l’emploi trop souvent réduit aux fonctions d’enregistrement et d’indemnisation.2) Le Marché des biens et des services
Etroitement lié au marché du travail, le marché des biens et des services est plus rarement évoqué. Une grave erreur pour le Conseil d'analyse économique, qui préconise sa libéralisation. Depuis une quinzaine d'années, les pays de l'OCDE ont suivi un mouvement de dérèglementation générale. Dans ce domaine, la France est restée en-dessous de la moyenne. Pour justifier leurs positions, les experts rappellent plusieurs rapports, parmi lesquels celui du FMI en 2005, qui a estimé que "si la France permettait autant de concurrence dans l’ensemble de ses services et de son commerce qu’en Scandinavie ou au Royaume-Uni, son PIB serait dans 15 ans supérieur de 5,8 %". Pour les économistes, "travailler plus, de manière plus productive ne peut se faire que si l’économie est débarrassée d’entraves réglementaires dont la finalité économique est souvent pour le moins incertaine". Ils identifient 3 problèmes principaux et y adaptent les solutions suivantes : » Dans le secteur de la distribution, les experts préconisent une abrogation pure et simple de certaines lois. Pour ce qui est des commerces, il s'agit des lois Royer (1973), Raffarin (1996) sur l’urbanisme commercial, et Galland (1996) sur la concurrence. Les deux dernières ont pour but de protéger les petits commerces, mais elles ont surtout pour effet de restreindre la concurrence entre grandes surfaces, ce qui permet aux commerces de fixer des prix élevés (+7% en cumulé de 1996 à 2003) . La loi Raffarin rend très difficile l’ouverture de surfaces supérieures à 300 m², ce qui a pour effet d'empêcher l'arrivée de certains hard discounters. La loi Galland, qui interdit la revente à perte et la discrimination tarifaire, a simplement pour conséquence que les "hypermarchés vendent aussi cher que les magasins de centre-ville", mais négocient de très importantes marges arrière. Des configurations où le consommateur perd du pouvoir d'achat et alimente donc faiblement la croissance. » Les économistes réclament également l'ouverture des professions fermées (notaires, pharmaciens, taxis, vétérinaires...). » La France doit adapter sa politique aux nécessités des PME (50 à 500 salariés). Ces dernières doivent avoir une réglementation adaptée à leurs spécificités, afin que l'on puisse assister à l'émergence d'entreprises, telles que Google ou Microsoft, qui sont passées très rapidement de l'état de start-up à celui de géant.
3) Réformer l’enseignement supérieur
Ce dernier domaine est celui qui réclame le plus de moyens financiers et dont les effets sur la croissance se feront sentir à plus long terme : cependant, l'impact positif de la réforme est certain. Pourquoi l'enseignement supérieur français est-il à la traîne ? Quelles réformes doit-il subir pour à nouveau concurrencer les plus grandes nations scientifiques (Etats-Unis mais aussi pays nordiques) ?
L'enseignement supérieur directement lié à la croissance
Première donnée mise en avant par les économistes : l'état de la recherche est directement lié à la croissance. Investir dans l'éducation supérieure pour augmenter notre croissance potentielle n'est pas un pari mais une nécessité. Si la France s'aligne sur les pays scandinaves, en faisant passer ses dépenses de "1,3 % à 2 % du PIB", et en "accroissant son efficacité par une réforme adaptée", la croissance potentielle française pourrait être augmentée de 0,2 point en 10 ans et de 0,4 point en 15 ans.Un constat alarmant
Aujourd'hui, la France est en retard par rapport aux "anciennes nations scientifiques", telles les Etats-Unis ou les pays scandinaves. Ce problème est surtout criant dans le domaine des nouvelles technologies. En plus d'un problème de performance, le supérieur est en proie à un problème de communication. Le rapport ne mâche pas ses mots : " la tétanisation des élites politico-administratives face au monde étudiant a conduit à différer sans cesse les réformes jugées les plus urgentes dans la gouvernance et le financement des universités". Non seulement l'enseignement supérieur manque de moyens et aiguille mal ses étudiants vers des filières alimentant la croissance, mais il n'a jamais été réformé parce que trop sensible.4 pistes de réformes
Pour le Conseil d'analyse économique, il y a 4 réformes urgentes à mettre en place. Il faut : » "Réformer la gouvernance des universités et leur accorder une réelle autonomie qui inclut la politique de recherche et le recrutement", » "Soumettre les présidents d’universités à des évaluations académiques", » "Accorder aux universités les plus performantes des moyens supplémentaires distribués sur la base d’évaluations indépendantes des performances de recherche et d’emploi des étudiants",» "Revoir le statut des enseignants chercheurs pour moduler les charges d’enseignement et de recherche, différencier les trajectoires professionnelles et adapter les rémunérations aux contributions"