Article de Mme Gaëlle Dupont lu le 29 février 2008 sur le site du Monde
http://www.lemonde.fr/sciences-et-environnement/article/2008/02/29/bilan-preoccupant-pour-les-especes-protegees-en-france_1017272_3244.html#ens_id=628865
La France dispose, pour la première fois, d'une photographie de l'état du vivant sur son territoire. Non pas de toutes les espèces animales et végétales présentes sur son sol - un tel inventaire serait impossible -, mais de la part la plus remarquable et la plus rare de son riche patrimoine naturel. "Il y a plus d'espèces végétales dans le département des Alpes-Maritimes que dans tout le Royaume-Uni", relève Sébastien Moncorps, directeur du comité français de l'Union mondiale pour la nature (UICN).
Les résultats de cette étude, pilotée par le Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) pour le compte du ministère de l'écologie, ont été transmis à la Commission européenne, jeudi 28 février. Car c'est pour répondre à une obligation communautaire, fixée par la directive sur les habitats naturels de 1992, que la France s'est livrée à cet exercice.
Environ 200 espèces animales et 100 espèces végétales protégées ont été étudiées, ainsi que 132 habitats naturels (lagunes côtières, prés salés, dunes, etc.) qui sont le support de la vie des espèces. Les oiseaux, qui font l'objet d'une directive spécifique, n'étaient pas concernés. Les bilans ont été effectués par aire géographique : atlantique, continentale, alpine et méditerranéenne.
Une couleur a été attribuée à chaque espèce et habitat : verte quand l'état de conservation est favorable, orange quand il est "défavorable inadéquat" (situation inquiétante mais réversible), rouge quand il est "défavorable mauvais" (viabilité compromise), gris quand son état n'est pas connu. Quelque 200 experts ont été mobilisés, toutes les données disponibles rassemblées : un travail ardu, car les informations sont difficiles à collecter, éparses et hétérogènes.
A première vue, les résultats sont alarmants. En moyenne, 36 % des habitats et des espèces sont classés en rouge, 29 % en orange, le reste se répartissant entre le vert (20 %) et le gris.
Mais cette lecture doit être nuancée. "Ce n'est pas un inventaire exhaustif, mais une évaluation des espèces protégées dans le cadre de la directive habitats, qui sont par définition rares ou menacées, affirme Jacques Trouvilliez, directeur du service du patrimoine naturel au Muséum. Il est normal que les résultats ne soient pas très bons."
En outre, le mode de notation a tendance à "tirer les résultats vers le rouge", explique la direction de la nature et des paysages (DNP) du ministère de l'écologie. Pour chaque espèce, quatre critères sont pris en compte : l'évolution de l'aire de répartition ; l'état des effectifs ; l'état des habitats de l'espèce ; ses perspectives futures. Il suffit qu'un seul de ces critères soit classé en rouge pour que l'espèce le soit également. A l'inverse, il faut au moins trois verts pour que son état soit jugé favorable.
Le résultat global est donc préoccupant, sans être catastrophique. "Il y a peu de cas désespérés", commente la DNP.
Ce sont les espèces et les habitats des régions montagneuses, les plus préservés des activités humaines, qui sont les moins fragilisés. Le loup, par exemple, réapparu dans les Alpes au début des années 1990, se porte bien. En revanche, la biodiversité des régions atlantique et continentale est en piètre état. Or ces régions couvrent la majeure partie du territoire. Plus de la moitié des habitats et des espèces y sont classés en rouge.
Globalement, les espèces liées à l'eau sont les plus mal en point. Les habitats côtiers et marins, les dunes, les tourbières et les habitats d'eau douce sont également dégradés.
Ce sont les activités agricoles et forestières qui contribuent le plus à la perte de biodiversité, par la transformation de prairies en cultures de céréales, la destruction des haies, le drainage des marais, la pollution par les fertilisants et les pesticides, l'appauvrissement des peuplements forestiers. L'urbanisation et la fragmentation des habitats par les grandes infrastructures, qui détruisent les écosystèmes ou empêchent leur bon fonctionnement, constituent la deuxième grande menace.
Cet inventaire doit guider la politique de protection de la nature. "Il nous aidera à déterminer les politiques prioritaires", précise la DNP. Il servira également d'étalon, car cet exercice d'évaluation sera renouvelé tous les six ans.
L'enjeu est de préserver un patrimoine pour sa valeur propre - comme l'est le patrimoine historique -, mais aussi pour les services rendus à l'humanité par les écosystèmes qui le composent : fourniture d'eau, d'alimentation, de vêtements, d'énergie, de matériaux, de plantes utilisées en médecine ou d'espaces de loisirs, épuration des pollutions ou protection contre les crues.