http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2008/10/09/la-chute-des-prix-des-matieres-premieres-agricoles-s-accelere_1104971_1101386.html#xtor=EPR-32280155&ens_id=628862
Les actions ne sont pas seules chahutées par la crise financière. Depuis plus de deux semaines, les Bourses de matières premières agricoles vivent au même rythme. Pourtant, le blé, le maïs ou le soja avaient, depuis août 2007, servi de refuge à des investisseurs leur accordant un intérêt soudain.
"La corrélation entre baisse du marché des actions et hausse des matières premières agricoles était vraie tant que la crise n'était pas majeure. Ce n'est plus le cas aujourd'hui", constate Michel Portier, gérant de la société de conseil Agritel. "La visibilité sur les matières premières agricoles est devenue extrêmement faible, personne n'avait prévu une telle baisse", explique Daniel Chéron, directeur général de la coopérative Limagrain. Pour lui, ces placements pâtissent du même climat de défiance que les actions. Bonne nouvelle pour les consommateurs, depuis le printemps, les céréales avaient déjà quitté leurs sommets.
Mais, jusqu'à présent, leur repli, qui succédait à la flambée générale des cours, était qualifié de simple "correction". En septembre, les prix internationaux du blé se sont ainsi inscrits en baisse de 7 % par rapport à leurs niveaux d'un an plus tôt, le cours du maïs a aussi beaucoup perdu, mais restait de 44 % supérieur à celui de septembre 2007. La baisse était due aux très bonnes prévisions de production mondiale pour 2008, ainsi qu'au recul du pétrole.
"EXCÈS DE BAISSE"
Pour Agritel, les "seuls fondamentaux agricoles" expliquaient le repli jusqu'à mi-septembre, mais aujourd'hui, la phase de correction est terminée, et le marché est entré dans un "excès de baisse". Les investisseurs s'en détournent, craignant une chute de la demande globale de céréales, due au ralentissement économique.
Pas question de parler d'effondrement, juge toutefois Philippe Chalmin, professeur à Paris-Dauphine : "Ce serait le cas si nous avions retrouvé les niveaux de 2005. Nous n'y sommes pas, loin de là." Lui estime que, d'un point de vue structurel, les matières premières agricoles devraient rester fermes, comme l'énergie, mais pas les métaux, vu les interrogations qui pèsent sur la demande chinoise.
En juin, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avaient estimé que les prix agricoles, dont le pic semblait atteint, resteraient élevés pendant au moins dix ans. Si la perspective vaut toujours, la tendance pourrait s'inverser durant quelques mois. Le temps d'un cycle de production mondiale, plus précisément, selon M. Portier. "Avec la restriction des crédits, les agriculteurs auront du mal à financer leurs intrants (semences, engrais...) achetés grâce à l'emprunt dans de nombreux pays", dit-il, prévoyant une baisse des surfaces emblavées, donc de la production, suivie d'une remontée des prix.
En outre, problème de trésorerie ou pas, si les prix chutent, les agriculteurs n'auront pas intérêt à produire beaucoup. Après les émeutes de la faim du printemps, on peut s'inquiéter des conséquences de la crise financière, qui risquent de freiner les investissements et donc la production. Les efforts réalisés ces derniers mois pour endiguer le phénomène pourraient être anéantis. En attendant, la baisse des cours ne soulage pas encore les consommateurs des pays pauvres, touchés par la hausse des prix. Mais pour Wayne Jones, économiste à l'OCDE, "l'impact le plus important de la crise financière concernera peut-être l'incapacité à augmenter l'aide humanitaire pour réduire les incidences négatives des hauts niveaux de prix".