https://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/184000190-fin-de-vie-la-france-a-l-heure-des-choix?xtor=EPR-526.html
PRÉSENTATION
Près de trois décennies après l'adoption des premiers textes réglementaires visant à assurer l'accès le plus large aux soins palliatifs et à l'accompagnement de la fin de vie, la question continue d'être au cœur des préoccupations. L'offre de soins palliatifs est insuffisante et inégalement répartie, notamment en ce qui concerne la prise en charge à domicile souhaitée par la majorité des Françaises et des Français, estime le CESE. Les possibilités offertes par la rédaction de directives anticipées et la désignation d'une personne de confiance demeurent peu utilisées. La sédation profonde et continue reste complexe à mettre en œuvre. L'évolution des législations étrangères interpelle. Les pétitions citoyennes en ligne qui circulent le sujet ont incité le CESE à participer au débat. Les 14 préconisations qu'il formule ici contiennent des mesures de nature à améliorer la mise en œuvre de la législation existante, tout en élargissant les possibilités de choix afin d'apporter une réponse aux situations les plus difficiles.
11 PRÉCONISATIONS :
Préconisation n°1 : lancer sous l’égide du ministère des Solidarités et de la Santé, dans le cadre du plan national de développement des soins palliatifs 2019-2021, une campagne d’information et d’appropriation de la règlementation en vigueur en matière de droits de la personne en fin de vie et de modalités d’exercice de ces droits (notamment DA et personne de confiance), et déclarer l’accompagnement de la fin de vie « grande cause nationale » en 2020.
Préconisation n°2 : accroître et mieux répartir au plan territorial l’offre de soins palliatifs proposée dans le cadre de dispositifs spécialisés (USP, LISP, EMSP, ERRSP, réseaux) ou ordinaires (HAD, SSIAD) d’un volume de 20 à 40% en dotant le prochain plan national de développement des soins palliatifs d’un budget situé entre 228 et 266 millions d’euros pour la période 2019-2021.
Préconisation n°3 : renforcer la formation initiale des professionnel.le.s de la santé et du soin pour développer la place des soins palliatifs et de l’accompagnement des personnes en fin de vie, et accroître très rapidement d’environ 20% en volume l’offre de formation continue sur ces sujets pour répondre aux besoins immédiats.
Préconisation n°4 : dans le cadre notamment des plans nationaux triennaux de développement des soins palliatifs, mieux prendre en compte la place des aidant.e.s professionnel.le.s, des aidant.e.s familiaux.ales et des proches aidant.e.s via la contractualisation entre les ARS, les établissements de santé, les établissements médico-sociaux et les associations de bénévoles, en mettant l’accent sur la reconnaissance de leur rôle par les professionnel. le.s, leur besoin de formation, le développement des initiatives existantes en matière de droit au répit et l’accompagnement à domicile.
Préconisation n°5 : consacrer davantage de moyens, dans la programmation des projets de recherche effectuée par les établissements publics (CNRS, INSERM, CHU) et dans les appels à projets lancés par les agences de moyens (ANR), à la recherche scientifique sur les soins palliatifs et la fin de vie.
Préconisation n°6 : renforcer le contrôle et l’évaluation des dispositifs hospitaliers et ambulatoires participant aux soins palliatifs et à l’accompagnement de fin de vie.
Préconisation n°7 : exclure les soins palliatifs à l’hôpital de la tarification à l’activité (T2A) en prenant mieux en compte le temps requis par ce type de soins.
Préconisation n°8 : améliorer le financement des soins palliatifs à domicile en prenant mieux en compte, dans le cadre de la future tarification à la pathologie, le temps nécessaire dans le forfait mensuel du.de la médecin coordonnateur.rice de soins palliatifs et du.de la médecin participant à la coordination, ainsi que la rémunération de l’ensemble des autres professionnel.le.s de santé, tout en revalorisant le tarif soins en EHPAD ainsi que les dotations accordées aux réseaux et EMSP sur financement du FIR.
Préconisation n°9 : autoriser la prescription par la médecine de ville et la dispensation en pharmacie de ville des médicaments nécessaires à la sédation profonde et continue.
Préconisation n°10 : préciser par décret la procédure collégiale prévue par la loi afin de mieux reconnaître et de conforter la place des professionnel.le.s de santé non médecins et le rôle des acteur. rice.s associatif.ve.s et définir un ordre de priorité dans la prise en compte des avis des membres de la famille.
Préconisation n°11 : prévoir dans la loi que tout.e professionnel.le de santé a le droit de faire appel à un.e autre membre de la profession pour la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue.
CONCLUSION :
Pouvoir, savoir, ne pas craindre de parler de la mort, bien avant qu’elle ne s’approche de trop près ; l’accepter comme une manière de compagne tout au long de la vie, convaincu.e.s que nous sommes qu’elle sera in fine un temps incontournable…
Affronter le tabou pour espérer le réduire, réinventer des rituels et leur redonner du sens, partager en famille, avec les proches et au-delà, pour se préparer autant individuellement que collectivement à l’inéluctable, à vivre sa mort…
Chacune et chacun désire mourir dignement, délivré des souffrances de tous ordres. La loi Claeys-Léonetti a permis des progrès dans cette direction, renforçant le droit et les pratiques des soins palliatifs et instaurant la codification de la sédation profonde et continue. Pour autant, et au-delà de la lancinante question des moyens attribués aux plans gouvernementaux successifs, cette loi n’épuise pas le débat sur la fin de vie. D’ailleurs, une loi pourra-t-elle un jour le faire totalement ?
Alors, il faut avancer tou.te.s ensemble. La médecine progresse et le permet. Une large partie de la société civile le demande, tant par la voie de sondages et de pétitions, que de manière plus individuelle par le récit de situations douloureuses reprises par les médias ou dans les pages de livres-témoignages, mais aussi au travers d’affaires judiciaires complexes.
La dignité humaine est fondamentale et il est impératif de tout faire en toutes circonstances pour qu’elle soit respectée ; cela implique la liberté de formuler ses choix, de les faire évoluer, mais aussi le moment venu de les faire respecter. Elle comprend la liberté des autres, en matière de conscience notamment. Elle n’exclut nullement de vouloir confier ses choix au fil de la vie, de les partager, de souhaiter y faire adhérer les siens.
Sur la question ultime, relisons Jean-Claude Guillebaud dans un éditorial récent (Sud-Ouest 26 01 2018) : « il faut accepter l’idée d’une complexité éthique minimale, d’une conjugaison nécessaire, difficile, fragile, subtile, entre interdit et transgression. Et oui ! Il est des cas où nous devons tout à la fois maintenir solennellement le principe inaugural de l’interdiction (celle de tuer), tout en laissant ouverte, - avec une infinie circonspection -, une possibilité de transgression ».
Il ne s’agit nullement d’opposer le nécessaire renforcement des soins palliatifs à leur élargissement, pouvant aller jusqu’à la prescription, la dispensation et l’administration d'une sédation profonde explicitement létale, mais au contraire de les rapprocher de façon à ce que la loi donne à chaque patient.e en fin de vie les réponses qui lui conviennent. Celles-ci ne sont pas univoques ; chaque personne est différente ; les aspirations, les convictions et les volontés de chacun.e sont différentes.
Tel est le sens profond de cet avis et des préconisations qui y sont décrites. Nous nous sommes efforcé.e.s de le faire avec humilité, précaution, vigilance et compassion. La main doit trembler, disait Montesquieu, à l’heure de s’approcher de la loi