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Commerce mondial : démondialisation ou nouvelle mondialisation ?
Publié le 27 mars 2023
Fragmentation, démondialisation ou passage à une nouvelle mondialisation ? Le commerce mondial n'est plus aussi dynamique qu'il ne l'a été pendant longtemps. Une rupture semble s'être produite depuis 2008. En 2023, la croissance du commerce ralentira fortement, mais restera positive.
SOMMAIRE
- Trente ans de forte hausse du commerce mondial, synonyme de mondialisation
- Un ralentissement prononcé du commercial mondial depuis 2008
- Une nouvelle mondialisation ou un système plus protectionniste ?
Quel sera l'avenir du commerce mondial ? Pendant plus de 30 ans, il a enregistré une croissance exponentielle. Depuis la succession de crises à partir de 2008 une rupture s'est produite. Quinze ans de chocs exogènes ont en effet laissé des traces sur les échanges mondiaux : d'abord, la crise financière, puis la pandémie du Covid-19. Plus récemment, l'invasion de l'Ukraine a fait augmenter les prix de nombreuses matières premières, dont notamment ceux de l'énergie, et a pesé sur les chaînes d'approvisionnement, nécessitant d'importantes réorganisations.
La crise sanitaire mais aussi la guerre en Ukraine ont mis en évidence la question de la dépendance aux importations de certains pays, de la Russie pour les hydrocarbures, de la Chine ou de l'Inde pour les produits industriels ou les principes actifs de certains médicaments. Face à la perte partielle, voire entière de certaines capacités de production et les risques encourus pour la souveraineté nationale, la relocalisation de certaines activités est envisagée. Par ailleurs, les conséquences de l'inflation et du resserrement monétaire à l'œuvre dans les principaux pays industrialisés complètent un tableau globalement assez sombre pour les perspectives immédiates du commerce mondial. Pour 2023, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) estime que le taux de croissance du commerce mondial tombera à un maigre 1%, après 3,5% en 2022. La mondialisation subit-elle un coup d'arrêt ?
Trente ans de forte hausse du commerce mondial, synonyme de mondialisation
Comment le commerce mondial a-t-il évolué sur le long terme ? Son volume est aujourd'hui environ 43 fois supérieur à celui enregistré aux premiers jours de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), conclu en 1947 et en vigueur jusqu'à la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995. L'augmentation entre 1950 et 2021 est donc de 4 300%. En valeur, la croissance est encore plus impressionnante : la valeur du commerce mondial est aujourd'hui de près de 350 fois plus élevée qu'à l'après-guerre.
L'essor du commerce mondial traduit parfaitement le phénomène de mondialisation (globalization en anglais), c'est-à-dire une interconnexion croissante à l'échelle du globe du fait de l'accroissement des échanges de biens, de services, de capitaux, mais aussi des flux de personnes et des savoirs. La création de l'OMC en 1995 a donné un coup d'accélérateur supplémentaire : depuis 1995, le volume et la valeur des échanges mondiaux ont augmenté respectivement de 4% et de 6% en moyenne.
Pendant de nombreuses années, le taux de croissance du volume du commerce mondial a été supérieur à celui du PIB mondial. Ceci a surtout été le cas depuis 1985 jusqu'à la crise financière de 2008. Depuis, les deux taux de croissance sont redevenus très proches. La crise de 2008, comme celle causée par la pandémie en 2020, montrent également qu'en cas de crise, la chute des échanges est plus rapide que celle du PIB, tout comme le redressement après crise. Mais force est de constater qu'une forme de rupture s'est installée depuis la crise de 2008, la mondialisation semble avoir atteint un palier.
Est-ce que la hausse du commerce mondial traduit une réelle mondialisation ? Pas véritablement, car malgré leur essor extraordinaire, les échanges se font surtout entre trois pôles, appelés la Triade : l'Europe (surtout l'Union européenne, UE) avec un peu plus de 35% des exportations et importations mondiales, la zone asiatique (avec un peu moins de 35%), devant l'Amérique du Nord (environ 18%). Le Moyen-Orient (qui enregistre actuellement le plus fort taux de croissance de toutes les régions mondiales), l'Afrique, l'Amérique du Sud et la Communauté des États indépendants (CEI), créée après la dissolution de l'URSS, suivent très loin derrière (aucun n'atteint 5%).
Cette régionalisation traduit le fait que ces régions ont su structurer des zones de libre-échange intégrées : l'Union européenne (avec le Marché unique), l'Alena (Accord de libre-échange nord-américain) pour l'Amérique du Nord et le Mexique, ainsi que le Partenariat économique régional global (RCEP) avec 15 pays asiatiques, dont notamment le Japon, la Chine et la Corée du Sud. Le Mercosur existe en Amérique du Sud. La plupart des échanges se font à l'intérieur de ces zones. Pour l'UE, le commerce entre les pays de l'UE représente environ deux tiers du total des échanges des pays européens.
La France est bien insérée dans le commerce mondial, mais sa part de marché dans les exportations mondiales baisse inexorablement : encore proche de 3,5% en 2010, elle n'est plus qu'à 2,3% au 3e trimestre 2022. Elle exporte principalement des produits agricoles et alimentaires, des biens d'industrie de luxe, de l'automobile et de l'aéronautique. Du côté de ses importations, la France achète à l'étranger surtout des matières premières (en première ligne énergétique) et de plus en plus de biens de consommation. Globalement, la France importe plus qu'elle n'exporte, son commerce extérieur est donc en déficit (depuis le milieu des années 2000). Alors que les importations représentaient 13,1% de la demande intérieure en 1960, cette dernière dépendait en 2021 de 31% de produits étrangers.
En 2022, la France a enregistré un déficit commercial record de 164 milliards d'euros (pour beaucoup à cause de l'envolée de la facture énergétique). Malgré l'excédent dans les services et les revenus, le solde courant est sorti déficitaire avec près de 54 milliards d'euros (-2% du PIB), conséquence aussi de la désindustrialisation de la France et la manque de compétitivité des produits.
Un ralentissement prononcé du commercial mondial depuis 2008
Jusqu'à la crise financière de 2008, le taux de croissance des échanges mondiaux ne cessait pas d'accélérer. Cette tendance semble terminée, un renversement s'est produit ces dernières années par rapport aux années avant crise : entre 2010 et 2019, le taux de croissance moyenne du PIB mondial (environ 3%) a globalement été supérieur au taux de croissance moyen du commerce mondial (environ 2,5%).
Ce n'est donc pas seulement l'affaiblissement de la croissance économique qui peut expliquer le ralentissement du commerce mondial, d'autres facteurs pourraient être en jeu. Une nouvelle phase de mondialisation semble se dessiner et l'hypothèse d'une rupture structurelle et non pas simplement conjoncturelle est de plus en plus privilégiée.
Cette hypothèse est étayée par la relative stagnation récente du taux d'ouverture mondial (la moyenne des exportations et importations mondiales de biens et services, en pourcentage du PIB mondial, calculé au taux de change de marché). Entre 1993 et 2008, ce dernier avait très fortement augmenté, passant de 18 à 30%, grâce notamment à :
- la baisse des coûts de transports et de télécommunications ;
- l'amélioration des infrastructures et de la qualité des télécommunications ;
- la réduction des mesures protectionnistes (notamment sous l'impulsion de l'OMC) ;
- la plus grande dispersion de la richesse mondiale entre des différents pays (plus cette dispersion est grande, plus elle a tendance à augmenter les échanges).
Ces facteurs semblent s'affaiblir : les avancées induites par les innovations récentes s'avèrent de plus en plus exploitées et les nouvelles mesures de libéralisation des échanges (comme l'entrée en vigueur du Partenariat économique régional global, RCEP, le 1er janvier 2022 en Asie-Pacifique) doivent composer avec une certaine résurgence du protectionnisme (augmentation de droits de douane, restriction des mesures de relance aux producteurs nationaux, etc.), réflexe traditionnel en réponse aux crises pour compenser le recul de la demande nationale.
Depuis 2008, le taux d'ouverture mondial est dans une zone de forte instabilité : le rétablissement après la forte chute à la suite de la crise financière n'a pas permis de porter le taux d'ouverture mondial à son niveau d'avant crise. La crise de la zone euro et surtout la pandémie ont continué à peser sur ce taux.
Un affaiblissement similaire semble s'observer pour le fractionnement international des chaînes de valeur. Longtemps, le fractionnement mondial des chaînes de valeur a été un puissant accélérateur des échanges, il ne l'est plus : le ralentissement ces dernières années est plus marqué pour les biens les plus impliqués dans ces chaînes de valeur internationales. Conjoncturellement, cet affaiblissement est lié à la récente crise pandémique. La lente sortie de crise de la Chine n'a toujours pas permis de les rétablir entièrement.
La tendance à la réduction des chaînes de valeur est renforcée par une préoccupation nouvelle : celle de la souveraineté économique. La pandémie a joué un rôle de révélateur. De nombreux secteurs sont concernés : l'alimentaire, les médicaments, l'énergie, les industries de la transition écologiques et celles de défense. Leur maîtrise s'est imposée dans les agenda politiques. Ces relocalisations suivent également un intérêt économique. Pour les entreprises, le rapatriement d'activités anciennement externalisées vers le territoire national peut s'avérer gagnant face à la hausse des salaires dans les traditionnels ateliers du monde, comme la Chine notamment, conjuguée à celle des coûts de transport lié à la hausse des prix d'énergie.
Tous ces facteurs ont peu de chance de dynamiser le commerce mondial à court terme. L'OMC a récemment réduit ses prévisions pour 2023 : elle ne s'attend plus qu'à une croissance de 1% (contre une hausse de 3,4% dans sa précédente prévision). Les économies restent pour l'instant grevées par plusieurs chocs interdépendants : conflit en Ukraine (avec la hausse des prix des produits de base, dont notamment sur le marché de l'énergie), l'inflation et le resserrement monétaire. Ce dernier est non seulement massif – jamais les taux d'intérêt n'ont été remontés si fortement en si peu de temps, notamment pour la zone euro – en plus, s'il s'avère efface pour calmer l'inflation, il pèsera sur la croissance économique et ralentira mécaniquement les échanges internationaux.
Une nouvelle mondialisation ou un système plus protectionniste ?
Le commerce mondial est, dans son développement, tributaire de la stabilité politique, militaire, climatique et sanitaire mondiale. Les années qui ont suivi la chute du mur de Berlin, puis l'euphorie en lien avec le passage au nouveau millénaire, ont donné un cadre particulièrement stimulant au commerce. Cette période semble toucher à sa fin et un monde plus exposé à des chocs se dessine : choc pandémique, choc militaire, choc climatique. Comment la globalisation s'ajustera face à ces chocs exogènes ?
Il paraît aujourd'hui peu probable que le commerce mondial retrouve rapidement la même dynamique qu'avant les crises. En 2022, peu après l'éclatement du conflit en Ukraine le Fonds monétaire international (FMI) s'est montré plutôt inquiet : "la guerre a accru le risque d'une fragmentation plus durable de l'économie mondiale en blocs géopolitiques s'appuyant sur des normes technologiques, des monnaies de réserve et des systèmes de paiements internationaux distincts. Un tel bouleversement tectonique entraînerait des pertes d'efficience à long terme, accroîtrait la volatilité et serait source de graves difficultés pour le cadre fondé sur des règles qui a régi les relations internationales et économiques au cours des 75 dernières années."
Deux scénarios se dessinent. Le premier scénario est une sorte de repli sur soi, nourri par un réflexe nationaliste et/ou populiste dans le sens d'une démondialisation et de décroissance et qui sera caractérisé par un retour du protectionnisme. Une véritable démondialisation paraît cependant peu probable, car elle ne se montre pas dans les chiffres : le commerce mondial continue à progresser en volume et en valeur, certes à un rythme ralenti, mais reste porté par la croissance mondiale.
Le deuxième scénario est celui d'une nouvelle mondialisation, qui d'une part se nourrit des mêmes facteurs que celle qui prévalaient jusqu'ici (libéralisation des échanges, avantages comparatifs, économies d'échelle et d'agglomération, régionalisation avec des zones de libre-échange intégrées), et d'autre part intègre de nouvelles contraintes et exigences (résilience, souveraineté économique, sécurité alimentaire et technologique, décarbonation et transition verte, amélioration des instruments existants de gouvernance et de résolution des conflits commerciaux). Dans ce second scénario, il n'est pas faut obstacle à des subventions nationales ciblées, voire d'autres moyens, pour favoriser certaines industries stratégiques ou à des sanctions économiques pour arriver à des changements de comportement d'un pays donné.
Une telle mondialisation transformée doit à court terme composer avec deux facteurs, pas complètement indépendants :
- la défense de la souveraineté économique ;
- la transition verte et la lutte contre l'inflation.
Depuis la pandémie, l'objectif d'autonomie a intégré les agendas politiques. La Commission européenne est en train de préparer une politique d'autonomie stratégique ouverte qui va au-delà du champ militaire et s'étend également sur celui de l'économie. Elle traduit le fait que depuis notamment la crise pandémique, les liens commerciaux et financiers ne sont plus exclusivement considérés comme des moteurs, mais également comme des sources potentielles de fragilité.
L'objectif est de prévenir ou de limiter le défaut d'approvisionnement dans certains secteurs, notamment ceux indispensables aux moyens d'action des États. Sans nécessairement passer par une relocalisation entière de chaînes de production, il peut aussi s'agir de :
- la diversification des approvisionnements (voir le gaz à la suite à la guerre en Ukraine) ;
- reconsidérer les alliés afin de s'orienter vers des partenaires considérés plus sûrs ;
- développer les savoirs et la maîtrise nécessaires aux technologies recherchées ;
- une plus grande sélectivité dans les investissements directs étrangers ;
- un plus grand contrôle des exportations.
Plusieurs de ces mesures ne sont pas favorables au développement des échanges mondiaux.
L'autre facteur est la transition verte et la lutte contre l'inflation. Jusqu'à 2050, l'Europe vise la neutralité carbone. Le défi est de décarboner l'industrie sans prendre le risque d'une désindustrialisation. Les États-Unis sous l'administration Biden se sont également engagés dans une telle transition. C'est l'objectif de la loi américaine sur la réduction de l'inflation (IRA), votée dans le cadre de la lutte contre l'inflation, mais qui prévoit un budget d'environ 370 milliards de dollars au soutien de la politique industrielle verte américaine.
L'UE voit cette loi comme une menace pour la compétitivité de son industrie. Il s'agit notamment de la place donnée à la logique d'acheter américain qui sous-tend certaines des subventions envisagées comme les allègements fiscaux conditionnés au fait de produire aux États-Unis et/ou intégrer dans la production des biens produits localement. De telles mesures sont cependant contraires aux principes de l'OMC, notamment l'égalité de traitement pour les étrangers et les nationaux (la clause de traitement national). Les craintes de l'Europe peuvent donc être légitimes. Mais si l'Europe réagit à son tour avec une politique similaire, une course aux subventions pourrait en être le résultat et le commerce mondial pourrait en pâtir.
Le 17 01 2023, la présidente de la Commission européenne a dévoilé un plan en 4 piliers destinés à répondre au dispositif IRA, qui s'inscrit dans le Pacte vert pour l'Europe et prévoit des mesures en faveur de l'industrie européenne. Son objectif est de faire de l'Europe le "foyer des technologies propres et de l'innovation industrielle sur la voie de la neutralité carbone".
Cet échange transatlantique montre que les défis pour le commerce mondial ne diminuent pas. Maintenir un système commercial ouvert et le concilier avec une politique ambitieuse de lutte en faveur de la décarbonation tout en développant des technologies et des savoirs en faveur de la transition écologique n'admet pas de réponse simple. Si la solution était la négociation entre pays partenaires, le commerce mondial en profiterait. Le dialogue avec les États-Unis pourrait permettre un certain nombre d'aménagements. La conclusion de nouveaux accords commerciaux pourrait ouvrir de nouvelles perspectives. Si, en revanche, on se dirige davantage vers des mesures protectionnistes favorables aux seules entreprises nationales et régionales, la fragmentation et la régionalisation du commerce mondial pourraient s'accentuer.