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organisation successions (23 mai 2008)

Nous présentons ci après le texte de la 1ere conférence donnée à Pau le 30 octobre 2007 par Maitre Bernard Dupin, Notaire sur le thème :

Les Lois successorales des 3 décembre 2001 et 23 juin 2006 : dans la continuité du Code Civil

à l’initiative du CIAPA (comité départemental d’information et d’action en faveur des personnes âgées), de l’ANHR (association nationale des retraités hospitaliers) et de la CNR (confédération nationale des retraités).
Nous remercions vivement Maître Dupin de nous avoir offert sa précieuse contribution et autorisés à reproduire sa conférence, à destination des membres et sympathisants de l’ANHR et de nos lecteurs.

Voici le texte de la 1ere Conférence : organisation des successions

 

Les Lois successorales des 3 décembre 2001 et 23 juin 2006 : dans la continuité du Code Civil 1e Partie : L’organisation des Successions

 

- La définition française de la succession

1e Partie : L’organisation des Successions

-          la liberté d’organiser sa succession

-          le compromis du Code Civil

-          le Code Civil « constitution civile de la France »

-          le Printemps consulaire des lois 1964-1977 ou les 9 sœurs du Doyen Carbonnier

o         la réforme des régimes matrimoniaux de 1965

o         la réforme des liquidations successorales de 1971

o         la donation-partage (1971), un règlement anticipé de la succession

-          la Renonciation anticipée à l’action en réduction (R.A.AR.)

-          les nouvelles donations-partages de la loi du 23 juin 2006

o         donation partage conjonctive au sein d’une famille recomposée

o         extension de la donation-partage aux héritiers présomptifs autres que les descendants

o         réunion au sein de la donation-partage (transgénérationnelle) de descendants de degrés différents

-          les nouveaux effets de la renonciation à succession

-          le cantonnement d’une libéralité

-          les libéralités graduelles et résiduelles

-          les testaments-partages

 
LES LOIS SUCCESSORALES DES 3 DÉCEMBRE 2001 ET 23 JUIN 2006 DANS LA CONTINUITÉ DU CODE CIVIL
                                                                                        
PREMIÈRE PARTIE : L’ORGANISATION DES SUCCESSIONS DEUXIÈME PARTIE : LE CONJOINT SUCCESSIBLE

  La définition française de la succession

            La matière des successions recouvre des mécanismes juridiques très complexes qui ont pour fonction de résoudre les interrogations que pose aux vivants la mort d’un de leurs proches, pour savoir précisément quels sont leurs droits sur ses biens. Mais le décès signifie aussi la vacance des biens du défunt et la rupture de ses relations avec ses contractants : fournisseurs, salariés, créanciers, débiteurs et autres…

La loi successorale doit permettre à l’héritier d’entrer en possession des biens du défunt en toute sécurité, tout comme à l’ex-contractant du défunt de reprendre ses relations contractuelles avec l’héritier en ayant une parfaite connaissance des droits et obligations de chaque partie.

            Si l’on prend le terme général de succession, il peut être entendu sous un double sens. Au sens premier, il signifie la transmission des biens d’une personne décédée à une ou plusieurs personnes vivantes, qui sont ses héritiers ; mais passant du contenant au contenu, le terme de succession signifie aussi les biens eux-mêmes qui font l’objet de la transmission successorale.

Si l’on approfondit cette dualité d’approche, on devine le choix qui s’offre aux différentes législations successorales : ou la transmission se fera de personne à personne ou elle portera uniquement sur les biens laissés par le défunt ; d’un côté, on aura la succession « à la personne » et de l’autre la succession « aux biens ».

            La solution du Droit français de la succession « à la personne » permet à l’héritier d’appréhender immédiatement les biens héréditaires et d’être considéré, grâce à la rétroactivité de l’option, comme investi, dès le décès, de la propriété des biens successoraux.

            Il s’agit en réalité d’une fiction juridique qui évite toute vacance ou solution de continuité entre le décès et le début du fonctionnement des règles successorales, de sorte que, même si l’héritier n’a pas pris la possession immédiate des biens du défunt, ce qui est le plus généralement le cas, la loi estimera qu’il avait le droit de le faire et qu’en conséquence cette possibilité équivaut à une réalité.

            En Droit français, on hérite donc d’un patrimoine, c’est-à-dire d’un ensemble d’avoirs et de charges qui était rattaché à la personne du défunt et qui échoit à la personne de l’héritier, celui-ci ayant néanmoins la possibilité de n’accepter la succession qu’ « à concurrence de l’actif net », selon l’appellation de la loi du 23 juin 2006 qui a remplacé l’ancienne expression de « bénéfice d’inventaire ».

            En Droit français la transmission successorale s’effectue du patrimoine du défunt à celui de l’héritier, c’est-à-dire de la personne du défunt à celle de l’héritier, alors qu’en Droit anglo-saxon on n’hérite jamais directement. Tous les biens et intérêts qui appartiennent à une personne décédée sont dévolus non pas aux bénéficiaires eux-mêmes de la succession, mais à un intermédiaire représentant le défunt, qui est soit l’exécuteur nommé dans le testament, soit, s’il n’y a pas de testament, un administrateur désigné par ordonnance de justice.

            Dans une première phase, dite d’administration, la mission de cet intermédiaire sera de liquider la succession en payant les impôts et les dettes du défunt et d’exécuter les legs, pour arriver à obtenir un solde net qu’il distribuera dans une seconde phase entre les différents bénéficiaires du testament ou de la succession légale.

            Dans cette approche, ce sont les biens qui représentent l’élément primordial, car c’est pour les administrer qu’existe ce personnage de l’exécuteur ou de l’administrateur qui représentera le défunt avant la remise des biens aux héritiers. En droit anglais, le problème immédiat posé par le décès n’est donc pas un problème de droits héréditaires consistant à déterminer la ou les personnes auxquelles les biens du défunt vont se trouver rattachés, mais un problème de succession vacante qui revient à constater l’existence de biens qui n’ont plus de maître.

            A la conception française de la continuité assurée de personne à personne, qui devient problématique quand on se trouve en présence de plusieurs héritiers, et davantage encore lorsqu’il existe un passif à diviser entre les héritiers, la conception anglaise substitue la continuité assurée non par les personnes mais par les biens et le principe de l’unité d’administration de ces biens par l’exécuteur ou l’administrateur qui dégagera, après mise au net, un solde définitif représenté par les éléments concrets qui seront réellement disponibles et transmissibles à l’héritier.

            Tout se passe comme s’il s’agissait de régler une faillite en vue de la répartition d’un solde net aux créanciers. Du reste, cette notion de faillite vient d’entrer incidemment dans notre droit successoral, puisque les mécanismes de la nouvelle procédure de l’ « acceptation de la succession à concurrence de l’actif net » se rapprochent du droit des procédures collectives qui règle en France les défaillances d’entreprises.

            Telles sont les premières réflexions venant à l’esprit lorsqu’on examine les problèmes soulevés par une succession ; dans tous les cas, le décès provoque un vide sur le plan affectif et un hiatus au niveau juridique. Les différents systèmes juridiques comblent ce vide, de manière plus ou moins appropriée, mais la mort et ses suites restent des moments décisifs de la vie juridique des particuliers.

                                                                  

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PREMIÈRE PARTIE : L’ORGANISATION DES SUCCESSIONS

La liberté d’organiser sa succession

            Nous avons célébré en 2004 le bicentenaire de la naissance du Code Civil. Sous l’Ancien Régime, les traditions successorales de la France se divisaient entre le Nord et le Midi. Les coutumes du Nord étaient généralement plus égalitaires que les coutumes du Midi. Dans le Midi, les coutumes privilégiaient le testament et elles donnaient la liberté au père de famille de favoriser son aîné pour le mettre en mesure de continuer l’exploitation de la propriété de famille.

            Tel était le cas de nos coutumes pyrénéennes où l’étroitesse des vallées limitait la surface des terres et des pacages disponibles de telle sorte que chaque exploitation était tout juste capable de pourvoir aux besoins d’une famille.

En raison de ces conditions de vie très difficiles, les fors du Béarn s’appliquaient, pour une simple raison de survie, à « proscrire le partage égal des biens entre les enfants, car si l’un d’eux avait eu la maison, l’autre la grange, l’autre les prés, c’était la ruine de la propriété par l’impossibilité absolue de son exploitation. Il fallait donc mettre entre les mains d’un seul la charge du domaine », comme l’écrivait Jean Loustalot-Forest dans sa thèse de doctorat en Droit.

Les mêmes motivations existent toujours dans les familles rurales, mais le père de famille peut avoir aussi d’autres raisons de vouloir organiser librement sa future transmission successorale ; il peut vouloir, par exemple, donner une certaine sécurité financière à son conjoint survivant ou tenir à assurer l’avenir d’un enfant handicapé en demandant à ses autres enfants de consentir à des sacrifices ; le père de famille doit donc prendre des dispositions qui ne découlent pas automatiquement de la loi mais dont il doit savoir dans quelles limites elles sont permises ou prohibées.

            Ce souci de l’avenir est particulièrement vif chez le chef d’entreprise qui veut pérenniser l’existence de son entreprise en la laissant entre les mains de l’enfant qu’il a choisi et qu’il est prêt à avantager pour parvenir à ce résultat.

            Ces quelques exemples illustrent l’alternative que doit résoudre le père de famille au soir de sa vie : soit faire acte d’autorité en organisant de son vivant sa succession au moyen d’une donation-partage, soit risquer le couperet du partage égalitaire qui interviendra après son décès non préparé. Les héritiers seront alors obligés de vendre les biens si l’on n’arrive pas à constituer pour chaque héritier des lots égaux « de même nature et valeur en meubles et immeubles », comme le prescrivent les dispositions impératives du Code Civil de 1804 qui a consacré partiellement dans les partages successoraux la poussée égalitariste de la Révolution française

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Le compromis du Code Civil

            Le Code Civil a cherché à réaliser un compromis entre les traditions de l’Ancien Régime et les lois de combat de l’An II sur les successions, en tâchant de concilier la succession légale et la succession testamentaire.

            En réaction contre les traditions de l’Ancien Régime, le Droit Révolutionnaire avait imposé une égalité rigoureuse entre les descendants et il avait même  interdit au père de famille de tester au profit d’un héritier en ligne directe, de peur que, par le biais d’un testament, il soit encore en mesure de faire « un aîné », la faculté de tester n’étant possible qu’au profit d’un étranger à l’hérédité.

C’est Cambacérès qui a imaginé la solution de compromis qui laisse une marge de liberté au père de famille en graduant la quotité disponible en fonction du nombre d’héritiers ayant droit à une réserve dans la succession, soit : la moitié des biens du de cujus en présence d’un enfant, le tiers avec deux enfants et le quart en présence de trois enfants ou plus, les enfants du défunt étant avec les ascendants les seuls héritiers qui ont droit à une réserve dans le Code Civil de 1804. De plus, le Code Civil a rétabli la liberté de tester au profit d’un héritier et  le père de famille a donc retrouvé le droit d’avantager de la quotité disponible l’enfant qui reprend la propriété, soit un tiers ou un quart en plus, suivant le nombre d’enfants.

On trouve l’illustration du compromis recherché par le Code Civil dans le texte original de l’article 832 relatif au partage, qui, tout en recommandant « dans la formation et la composition des lots, d’éviter autant que possible de morceler les héritages et de diviser les exploitations », prescrit « de faire entrer dans chaque lot, s’il se peut, la même quantité de meubles et immeubles ayant même nature et valeur ».

Cette recherche de compromis continuera à figurer dans le Code Civil jusqu’à la loi du 23 juin 2006, qui supprimera définitivement ce paragraphe de l’article 832, à l’occasion de la récente réforme des successions et des libéralités. Mais les termes du Code Civil de 1804 auront inspiré la pratique des partages pendant deux siècles, confirmant, si besoin était, l’adage de Montesquieu selon lequel « une bonne loi est une vieille loi ».

            Effectivement, au lieu de faire table rase du passé, comme l’ambitionnait la Convention jacobine, qui aurait horrifié Montesquieu en voulant délégitimer les anciennes coutumes pour faire advenir un homme nouveau au moyen d’une loi successorale strictement égalitaire, les rédacteurs du Code Civil jugèrent que les lois révolutionnaires étaient trop en avance sur les mœurs de leur temps, et en particulier la loi du 12 Brumaire An II sur les enfants naturels qui leur accordait les mêmes droits qu’aux enfants légitimes.

Le modèle familial du Code Civil est donc en adéquation avec les mœurs de la majorité des Français de l’époque ; il est fondé sur le mariage et il fonctionne sous l’autorité hiérarchique du mari qui exerce la puissance maritale sur sa femme et la puissance paternelle sur ses enfants. Les enfants légitimes succèdent à leur père sans distinction relative à leur sexe ou à leur qualité d’aîné ou de cadet, tandis que l’enfant naturel ne recueille que le tiers de la portion héréditaire qu’il aurait eue s’il avait été légitime. De son côté, la femme se trouve frappée d’incapacité par le fait même d’entrer dans les liens du mariage, ce qui équivaut pour elle à une quasi tutelle de son mari pendant toute la durée de son union. Ce privilège de la masculinité disparaîtra progressivement du Code Civil, mais il ne froissait pas l’opinion majoritaire de l’époque, en dehors des protestations de quelques féministes, et notamment de l’auteur de la Déclaration des Droits de la Femme qui disparaîtra sous la Terreur.

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Le Code Civil « constitution civile de la France  »

            Pendant les 150 premières années de son existence, le Code Civil a connu une période relativement calme, malgré une vie constitutionnelle mouvementée riche de 4 républiques et de plusieurs monarchies, en sorte que le Code Civil a pu apparaître durant cette période comme une véritable Constitution Civile de la France , grâce à sa stabilité.

            Le Droit successoral notamment ne connut que des inflexions mineures, la règle de l’égalité successorale entre les enfants s’est en effet rapidement et définitivement imposée, sous réserve du problème de la sincérité relative des partages ruraux dans nos régions…

            Les deux premières inflexions du Droit successoral sont survenues sous la IIIe République , elles  sont les suivantes :

            La première inflexion concerne le conjoint survivant :

            On imagine mal que l’usufruit du conjoint survivant n’a été institué que par une loi du 9 mars 1891, très postérieure au Code Civil. En effet, selon les termes du Code de 1804, le conjoint n’était qu’un successeur irrégulier, placé au dernier rang des successibles, juste devant l’Etat, qui n’hérite que lorsqu’il n’y a pas d’héritier à quelque degré que ce soit.

Toujours influencé par l’Ancien Droit, le Code a privilégié l’intérêt des familles d’origine des époux sur celui du ménage ; aussi le conjoint survivant ne recevait-il dans le Code Civil, à défaut de testament, aucun droit sur la succession de son époux prédécédé, lorsqu’il venait en concurrence avec des enfants ou avec des collatéraux du défunt.

            Il faudra d’âpres discussions parlementaires pour que l’article 767 du Code Civil soit modifié en 1891 et qu’il accorde enfin au conjoint survivant d’un époux décédé sans testament un usufruit du quart des biens en présence d’enfants et de la moitié des biens quand il n’y avait pas d’enfants.

            Mais il faut reconnaître que les époux ont toujours eu la faculté de disposer entre eux d’une quotité disponible spéciale en présence d’enfants, comme de se gratifier réciproquement de la totalité de leurs biens en cas d’absence d’héritiers réservataires, c’est-à-dire de descendants ou d’ascendants.

            La seconde inflexion du Droit successoral remonte au Décret-Loi du 17 juin 1938, qui a institué l’attribution préférentielle en modifiant pour la première fois l’article 832 du Code Civil, déjà cité. Cette première version de l’attribution préférentielle ne touchera que la petite exploitation agricole familiale, mais son succès a été immédiat et se poursuit encore de nos jours.

            La méthode de l’attribution préférentielle consiste à soustraire l’exploitation agricole aux règles ordinaires du partage pour l’attribuer à un indivisaire préféré aux autres, qui sera le conjoint survivant ou tout héritier membre de l’indivision désirant poursuivre l’exploitation.

            Tout au long du XIXe siècle, Le Play avait dénoncé le Code Civil comme étant « la machine à hacher les sols » et, par voie de conséquence, la cause de la dépopulation, car il incitait les familles rurales à faire un enfant unique, faute de pouvoir « faire un aîné ».

            Ce courant conservateur fut rejoint par certains républicains et par les catholiques sociaux, désireux d’aider les familles d’ouvriers et de paysans à accéder à la propriété sans risquer de voir leurs efforts anéantis par des partages successoraux ruineux.

            Une loi du 30 janvier 1894 avait déjà autorisé pour les habitations à bon marché le maintien dans l’indivision et même la transmission intégrale au conjoint ou à l’un des enfants de la maison individuelle occupée par les époux au moment du décès.

            Ces premières expériences encouragèrent les gouvernements des années 30 à aller beaucoup plus loin dans la remise en cause des règles du Code Civil sur les partages successoraux. Paradoxalement, la réforme, souhaitée depuis toujours par les conservateurs, fut engagée à l’époque du Front Populaire dans le cadre de la politique nataliste et sociale chargée de lutter contre la dénatalité et l’exode rural, en améliorant la situation des héritiers et du conjoint survivant désireux de continuer l’exploitation.

            C’est donc à l’approche de la guerre de 1940 que le Décret-Loi du 17 juin 1938 autorisa le conjoint survivant ou tout héritier participant effectivement et personnellement à l’exploitation, à solliciter auprès du tribunal soit le maintien dans l’indivision, soit l’attribution préférentielle, pour tous les fonds agricoles, sous la condition de ne pas dépasser une valeur de 200.000 F (de l’époque). L’entière propriété familiale allait donc pouvoir être attribuée au seul cohéritier exploitant, moyennant le versement d’une soulte en argent aux autres cohéritiers équivalant à leur part en nature.

            Dérogeant aux règles habituelles du partage, cette demande dite « de droit » doit être présentée auprès du tribunal, mais elle ne peut pas être rejetée par celui-ci quand il s’agit d’une exploitation d’une surface inférieure à un certain minimum. Bien plus, l’attribution préférentielle réservée jadis aux petites exploitations agricoles a été étendue par la loi du 19 décembre 1961 et par plusieurs lois successives d’abord aux exploitations agricoles sans limitation de taille, puis aux entreprises commerciales, industrielles ou artisanales exploitées ou non sous forme de société, et enfin à la propriété ou au droit au bail du local d’habitation occupé par les époux au jour du décès ; selon les cas, l’attribution préférentielle est de droit ou facultative pour le tribunal.

            Pour compléter l’attribution préférentielle, le Code de la Famille du 29 juillet 1939 institua un contrat de travail à salaire différé permettant de défalquer des soultes éventuelles dues à ses cohéritiers un pécule fictif en faveur de celui qui continuait l’exploitation agricole, pour lui tenir compte des années de travail effectuées gratuitement sur l’exploitation familiale.

            Ces deux législations continuent d’avoir un large succès, car elles sont toujours en application et la Réforme des successions du 23 juin 2006 vient de regrouper dans le Code Civil les nombreux cas d’attributions préférentielles, en les maintenant sous le contrôle du juge, qu’elles soient facultatives ou de droit.

            Malgré l’incompatibilité qu’il y avait toujours eu entre l’attribution préférentielle et l’obligation de partager en nature, les termes de l’ancien article 832 ont continué à figurer jusqu’à nos jours en tête des dispositions concernant l’attribution préférentielle qui constituaient la suite de ce même article.

            Prenant acte de l’évolution progressive de notre Droit, il est désormais inscrit dans le Code Civil, depuis la loi du 23 juin 2006, que « l’égalité dans le partage est une égalité en valeur » (art. 826 al. 1er).

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Le printemps consulaire des lois 1964-1977 ou les 9 sœurs du Doyen Carbonnier

            Après un siècle et demi de stabilité, le temps était venu de réformer le Code Civil pour mettre le Droit civil en accord avec l’évolution des mœurs.

            Dès le 7 juin 1945, un décret du Gouvernement Provisoire avait mis en place une Commission de révision du Code Civil qui publia son projet en 1953. Mais le travail de préparation ne put aboutir dans les textes qu’à partir des années 60.

            Au lieu de construire sur une table rase, les législateurs ont choisi, pour réformer le Droit civil, d’insérer leurs réformes successives dans le plan du Code de 1804, en sorte que la numérotation des articles du Code a été maintenue grosso modo, grâce à ce souci de conserver l’architecture générale de la construction juridique de 1804.

            Malgré ses nombreuses retouches, le Code Civil est le dernier survivant des Codes napoléoniens qui a réussi à traverser deux siècles en sauvant l’essentiel de l’esprit qui animait ses rédacteurs.

            C’est pour cette raison que le Doyen Carbonnier, décédé en 2003, qui a été l’inspirateur de ces réformes, a pu être qualifié de 5ème rédacteur du Code Civil et que la période de la Ve République correspondant à ces réformes a pu être qualifiée de printemps consulaire des lois, en souvenir du régime qui a vu la naissance du Code Civil.

            Les deux réformes de cette période qui exercent toujours une influence directe sur la matière successorale sont les suivantes :

            - la réforme des régimes matrimoniaux de 1965,

            - et la réforme des liquidations successorales de 1971.

           

La réforme des régimes matrimoniaux de 1965            

- Observation préliminaire

            Il faut observer en premier lieu  qu’il existe une certaine confusion dans l’esprit du public entre le régime matrimonial et le régime successoral.

            En effet, quand deux jeunes époux se marient, ils attachent peu d’importance à leur régime matrimonial et ils égarent facilement leur contrat de mariage s’ils en ont contracté un, aussi ignorent-ils généralement quel régime matrimonial ils ont choisi et en quoi peut consister leur régime.

            Normalement, le rôle pratique du régime matrimonial consiste à déterminer ce qui appartient à chacun des deux époux à titre personnel et ce qui leur appartient par moitié.

            Sur ce point, les critères sont différents selon qu’il y a régime de communauté ou régime séparatiste, le principe étant qu’en régime de séparation de biens tout ce qui a été acheté par un époux seul pendant le mariage lui appartient en propre, tandis qu’en communauté, tout bien, meuble ou immeuble, même acquis séparément par chaque époux pendant le mariage, est censé appartenir aux deux époux par moitié.

            Pendant la durée de leur mariage, les époux n’auront en principe pas besoin de se préoccuper de leur régime matrimonial. C’est au premier décès qu’il sera nécessaire de faire le tri entre ce qui est propre à chaque époux et ce qui appartient aux deux époux par moitié. Pour déterminer à qui revient tel ou tel bien, il faudra alors étudier soit les termes du contrat de mariage, s’il y en a un, soit les articles du Code Civil relatifs au régime légal de communauté, s’il n’y a pas de contrat.

            Une fois le régime matrimonial des époux ainsi liquidé et la part du défunt déterminée, on arrive à la succession proprement dite, et il s’agira alors d’appliquer soit les dispositions testamentaires, soit la loi successorale.

 

           

- Fin de l’immutabilité du régime matrimonial

            La réforme de 1965 a permis à la femme de se libérer de la tutelle de son mari pour la gestion de ses biens personnels, tout en obligeant son mari à recueillir sa signature pour les actes de disposition des biens de communauté, qu’il pouvait effectuer jusque là sans la signature de sa femme.

Il s’agit d’une étape très importante dans l’accession de la femme à l’égalité avec son mari pour la gestion des biens du ménage. Mais cette réforme a eu aussi une incidence sur le plan successoral, ce qui a ajouté encore à la confusion entre le régime matrimonial et le régime successoral.

            En effet, jusqu’en 1965, le régime matrimonial choisi volontairement ou non par les époux lors de leur mariage était définitif pour toute la durée de leur union, en vertu du sacro-saint principe de l’immutabilité du régime matrimonial.

            Désormais, « après deux années d’application du régime matrimonial, conventionnel ou légal, les époux pourront convenir, dans l’intérêt de la famille, de le modifier, ou même d’en changer entièrement, par un acte notarié qui sera soumis à l’homologation du tribunal de leur domicile », selon les termes du nouvel article 1397 du Code Civil dans sa rédaction de 1965, modifiée par la loi du 23 juin 2006 qui a supprimé l’homologation judiciaire, sauf en cas d’opposition des créanciers ou des enfants majeurs.

            Le changement de régime matrimonial a connu une fortune exceptionnelle car depuis lors, chaque année, plusieurs milliers de couples, 20.000 par an ces dernières années, choisissent de changer de régime matrimonial soit pour adopter la séparation au lieu de la communauté, soit majoritairement pour adopter la communauté universelle avec clause d’attribution au survivant, cette disposition étant très avantageuse pour le survivant, qui ne sera pas considéré comme héritier mais comme propriétaire du bien dès l’origine, comme le défunt lui-même.

 

            En conséquence, grâce à l’adoption de la communauté universelle et à la condition qu’il n’existe pas d’enfants non issus des deux époux, le survivant va devenir au décès le seul propriétaire de tout l’actif propre au défunt ou commun aux époux, sans avoir à acquitter aucun droit de succession.

            Toutefois l’attrait fiscal de la communauté universelle a été diminué par la loi TEPA du 21 août 2007, puisque tous les droits de succession qui étaient dus jusque là par le conjoint survivant sont supprimés.

            Il faut ajouter que la communauté universelle a toujours été désavantageuse pour les enfants issus du mariage des deux époux, car ceux-ci, faute de recevoir une quotité quelconque de la succession du premier décédé, vont perdre de ce fait le bénéfice de l’abattement auquel ils auraient eu droit lors de ce premier décès. Les droits qu’ils auront à payer lors du décès du survivant seront en effet plus importants que s’ils avaient reçu l’avoir total de leurs père et mère divisé en deux successions et bénéficié ainsi d’un double abattement.

            Mais le problème le plus important de la communauté universelle concerne le cas où les époux n’ont pas d’enfants.  Dans ce cas, tous les biens du ménage vont passer au deuxième décès entre les mains de la famille du survivant, alors que telle n’aurait peut-être pas été l’intention des deux époux, d’autant qu’on ne connait jamais à l’avance l’ordre dans lequel se produiront les décès.

            Quand on n’a pas d’enfants, il est donc indispensable que le jour de la signature de la communauté universelle ou de la donation entre époux, dont l’effet est identique en cas d’absence d’enfants, chaque époux rédige son propre testament.

            Dans ce testament chaque époux expliquera qu’il se place dans le cas où il survivrait à son conjoint et que, pour cette hypothèse, il décide de laisser l’ensemble des biens qu’il possédera à son décès aux personnes de son choix, faute de quoi le sort des biens du ménage risque de suivre une voie non désirée par les époux, notamment si le survivant ne dispose pas du temps nécessaire ou n’est plus en mesure, après le premier décès, de rédiger un testament. En outre, les deux époux peuvent décéder ensemble dans un même accident et l’ordre des décès devient alors totalement aléatoire, ce qui démontre les risques des successions intestat après signature d’une communauté universelle et la nécessité pour chaque époux de rédiger un testament.

 

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