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successions : le conjoint survivant (24 05 2008)

Nous présentons ci après le texte de la 2ème conférence donnée à Pau le 17 avril 2008 par Maître Bernard Dupin, Notaire, sur le thème : Le conjoint survivant dans le cadre plus général des Lois successorales des 3 décembre 2001 et 23 juin 2006 à l’initiative du CIAPA (comité départemental d’information et d’action en faveur des personnes âgées), de l’ANHR (association nationale des retraités hospitaliers) et de la CNR (confédération nationale des retraités).
Nous remercions de nouveau vivement Maître Dupin de nous avoir offert sa précieuse contribution et autorisés à reproduire sa conférence, à destination des membres et sympathisants de l’ANHR et de nos lecteurs. Voici le texte de la 2ème Conférence
Les Lois successorales des 3 décembre 2001 et 23 juin 2006 : dans la continuité du Code Civil 1e Partie : L’organisation de la Transmission Successorale 2e Partie : Le Conjoint Successible - Précisions liminaires : -          patrimoine et parenté -          la structure familiale -          évolution historique des droits du conjoint survivant -          lignage et mariage -          définition du conjoint successible - Première partie : hypothèse où le conjoint se trouve, au décès de son époux, en présence d’enfants du défunt             - 3 cas de veuvage et 2 types de situation des enfants

 

            - 3 remarques au sujet des libéralités entre époux 

 

- Deuxième partie : différents cas où le défunt ne laisse pas de descendants mais des parents au degré successible             - absence de descendants et d’ascendants privilégiés

 

            - absence de descendants et présence d’ascendants privilégiés

 

            - absence de descendants : quotité disponible limitée par la réserve du conjoint             - droits du conjoint sur le logement de famille

 

            - droit de jouissance temporaire

 

            - droit viager d’habitation et d’usage

 

Couples et Enfants hors mariage

DEUXIÈME PARTIE : LE CONJOINT SUCCESSIBLE

                                                                                                      

 

           

PATRIMOINE ET PARENTÉ

            Le Code Civil s’est toujours abstenu de donner une définition précise de la famille, bien que la « famille » soit omniprésente dans le Code de 1804, même si le mot y figure rarement. C’est ce qui a permis au concept d’évoluer, non sans équivoque, d’une définition implicite fondée sur le mariage comme source unique de la famille, vers un pluralisme issu de l’égalisation des différentes formes de filiation pour aboutir à la famille plurielle d’aujourd’hui.

            Dans notre histoire juridique la notion de famille a été constamment liée à celle de la parenté, d’une part, et à celle du patrimoine, d’autre part, ces deux constantes étant souvent dominées par une troisième qui était la volonté de contrôler l’accès aux deux autres par l’institution du mariage.

            Le Dictionnaire ROBERT reste toujours attaché à la notion traditionnelle de la famille qu’il définit ainsi : « Les personnes apparentées vivant sous le même toit, et spécialement le père, la mère et les enfants ». Plus généralement, la famille est un groupe de personnes unies par les liens de parenté ou d’alliance, groupe au sein duquel s’insère l’individu par l’intermédiaire de ceux qui lui donnent naissance, ses père et mère.

            Réseau de parenté et d’alliance, la famille est aussi un patrimoine dont l’existence et la transmission ont été historiquement essentielles à la survie du groupe domestique. J’ai expliqué dans ma conférence du 30 octobre dernier à quel point les coutumes successorales pyrénéennes d’aînesse contribuaient à la survie de l’exploitation familiale tout juste capable de pourvoir aux besoins d’une seule famille, étant donné l’étroitesse des vallées qui limitait la surface des terres et des pacages disponibles.

            Certes, de nos jours les membres de la famille ne vivent plus sous le même toit pour faire valoir ensemble la propriété familiale ; de ce fait, les père et mère finissent généralement leurs jours, seuls, et ils abritent rarement leurs enfants sous leur toit au moment de leur mort. Néanmoins, au moment du décès, malgré la dispersion et la géométrie variable des familles, le notaire devra encore recenser comme autrefois les membres de la famille pour établir juridiquement la dévolution du patrimoine du défunt.

            Le lien juridique reste donc toujours très fort, au moment du décès, entre patrimoine et parenté, même si ce lien a été à bien des reprises contesté. Hériter et transmettre et entre-temps si possible accroître, telle est l’assise matérielle de la famille : un droit et un devoir qu’on retrouve tout au long de l’histoire de notre droit.

LA STRUCTURE FAMILIALE

 Comme tous les pays issus du droit romain, le droit français de la famille symbolise la famille sous la forme d’un entrecroisement de relations horizontales et verticales :

            - les liaisons horizontales figurent les relations entre époux, fondées sur les rapports d’affection qui unissent par le mariage deux adultes venus d’horizons distincts, le droit français ignorant toujours, dans l’ordre successoral, toute autre forme de couple que le couple marié,

            - tandis que les liaisons verticales représentent la manière dont le couple s’insère dans la longue chaîne du renouvellement des générations, à laquelle il rajoutera le maillon supplémentaire des enfants qu’il concevra. Dans cette chaîne verticale les enfants seront pris en compte sans distinction de filiation, tous les enfants héritant aujourd’hui à part égale, qu’ils soient issus ou non d’un couple marié.

La séparation entre les deux ordres de relations verticales et horizontales se retrouve constamment dans le droit français des successions, auquel elle donne sa structure grâce à deux types de règles différents : les relations entre époux sont gouvernées par les régimes matrimoniaux, tandis que les relations entre les générations successives procèdent du droit des successions.

Ma conférence du 30 octobre dernier a traité uniquement des liaisons familiales verticales, c’est-à-dire de la transmission des biens entre les générations successives, grâce au mécanisme de la donation-partage et tout particulièrement grâce au nouveau type de donation-partage inventé par la loi du 23 juin 2006 : la « donation-partage transgénérationnelle ».

Ce nouvel instrument juridique permet au père de famille de répartir ses biens entre descendants de générations différentes, du vivant même de la génération intermédiaire. Il s’agit d’une donation-partage qui réunit trois générations, grands-parents, parents et petits-enfants, la génération intermédiaire intervenant à l’acte pour s’effacer en tout ou en partie afin de laisser la place à ses propres enfants.

La même volonté de conservation des biens dans la famille au-delà de la première génération se retrouve dans la nouvelle catégorie de donations inventées par la même loi du 23 juin 2006 qui les a dénommées « donations graduelles et résiduelles ». J’ai déjà traité ces nouveaux types de donation le 30 octobre dernier, mais nous pourrons y revenir en fin de séance, tout comme sur la donation-partage transgénérationnelle.

           EVOLUTION HISTORIQUE

 DES DROITS DU CONJOINT SURVIVANT

Pour le moment, je me bornerai à exposer le sort du grand vaincu du droit successoral de la Révolution et de l’Empire, je veux dire le conjoint survivant, qui a été le grand oublié du Code de 1804. Deux siècles après, le conjoint survivant a pris si bien sa revanche que le Code Civil pare maintenant le conjoint du titre de « conjoint successible », alors qu’il n’était à l’origine qu’un « successeur irrégulier » venant à la succession juste avant que la succession ne soit déclarée vacante, faute d’existence d’aucun parent du défunt, même très éloigné.

Le conjoint survivant venait ainsi après la famille par le sang, qui à l’époque s’étendait jusqu’aux cousins au 12e degré. C’est dire la place infime qui était faite au conjoint survivant dans l’ordre successoral dans la version originale du Code Civil.

Aujourd’hui, depuis la loi du 3 décembre 2001, en l’absence d’enfants, le conjoint survivant recueille la totalité de la succession, c’est-à-dire qu’il élimine tous les collatéraux du défunt, frères et sœurs compris, ces derniers ayant rétrogradé dans l’ordre successoral au niveau des collatéraux ordinaires.

Seuls les père et mère ont encore droit, en l’absence de descendants du défunt, à un quart chacun de la succession,  à moins qu’il n’existe des dispositions testamentaires prises par le défunt au profit de son conjoint qui les évinceraient : la réserve des ascendants a en effet été supprimée par la loi du 23 juin 2006. Le conjoint survivant a achevé ainsi sa promotion dans l’ordre successoral, dont il occupe maintenant le premier rang en concurrence avec les enfants et descendants du défunt, deux siècles après avoir été quasiment ignoré par le Code Civil dans le classement des Divers Ordres de Succession.

Ainsi, bien que le mariage ait cessé d’être la seule forme de couple reconnu par la loi, il n’en demeure pas moins qu’il est encore le seul mode de couple susceptible de conférer des droits au survivant en cas de décès.

En effet, dans les cas de dissolution par décès, soit d’un concubinage, soit d’un PACS, la loi successorale ignorera systématiquement les intérêts patrimoniaux du concubin ou du partenaire survivant, puisqu’ils sont tous les deux restés des étrangers par rapport au défunt et donc par rapport à la succession dont ils ne sauraient faire partie en tant que successibles.

A ce point de vue, le droit successoral français n’a pas évolué depuis le Consulat, sa maxime restant probablement celle de Bonaparte, Premier Consul, énonçant cette formule lapidaire : « Les concubins se passent de la loi, la loi se désintéresse d’eux ». C’est toute la différence entre une situation de droit et une situation de fait, en dépit de l’introduction du concubinage et du PACS dans le Code Civil par la loi du 15 novembre 1999 : mais il est vrai que cette loi avait pour but la reconnaissance du couple homosexuel et non pas l’instauration d’un « mariage bis ».

    LIGNAGE ET MARIAGE

Dans la conception originelle du Code Civil, le conjoint survivant avait toutes les raisons de ne pas hériter de son époux, puisqu’il n’était pas son héritier par le sang. Il n’y avait en effet aucune raison de risquer de dérouter les biens de famille au profit d’une autre famille par le sang, qui serait susceptible de les récupérer au décès du conjoint survivant, à défaut de descendants du mariage. Le Code Civil privilégiait donc les intérêts du « lignage » aux dépens de ceux du « mariage ».

C’est au contraire par les effets du mariage qu’était assurée la protection du conjoint survivant pour le cas de décès. Car si les époux font confiance au régime matrimonial légal de la communauté en se mariant sans contrat, le conjoint survivant est automatiquement protégé lors de la liquidation et du partage du régime de communauté qui suivra le décès de son époux.

En effet, le partage de la communauté lui attribuera une demi-part de la communauté et donc de quoi maintenir en principe son train de vie après le décès. L’avantage est d’autant plus sensible que dans le mode de vie ancien, la femme restait au foyer tandis que le mari alimentait, seul, la communauté par son travail et qu’il partageait ensuite avec elle l’enrichissement de la communauté ; au décès de son époux, le conjoint survivant recueillait donc la moitié de la communauté sans participer néanmoins à la succession, vis-à-vis de laquelle il était un étranger en présence des enfants et de la famille du défunt.

Il existe d’autre part dans tous les systèmes juridiques un équilibre entre les régimes matrimoniaux et les successions. C’est ainsi que dans le droit anglo-saxon, où il n’existe pas de communauté conjugale, les époux étant séparés de biens à défaut de contrat de mariage, la common law offre au survivant des époux une protection en lui octroyant des droits dans la succession.

Les notaires se montrent évidemment très attentifs aux risques internationaux suscités par une telle dualité : si deux époux français s’installent en Angleterre et que le mari y décède, sa veuve sera doublement avantagée : par la communauté française, d’une part, et par la succession anglaise, d’autre part ; au lieu que dans le cas inverse, si un couple anglais vient vivre en France, la veuve risque d’être abandonnée à un sort rigoureux par la double absence de communauté anglaise et de droits successoraux dans la loi française. C’est cet équilibre si ancien qu’on aurait pu croire définitivement établi, que la loi française a progressivement remis en cause.

Certes, cet équilibre ancien qui cantonnait les droits du conjoint sur la communauté, tandis que les héritiers par le sang se partageaient la totalité de la succession, n’a pas persisté plus d’un siècle dans sa rigueur initiale, puisqu’en 1891 le conjoint survivant obtiendra une quotité d’un quart en usufruit en présence d’enfants du défunt.

Mais déjà les époux avaient la possibilité, d’après le Code de 1804, de se consentir réciproquement des donations ou de prendre des dispositions testamentaires l’un en faveur de l’autre, à la condition que ces libéralités entre époux ne portent pas atteinte à la réserve prévue par la loi au profit des descendants ou des ascendants, si bien que, dès 1804, les époux ont pu se donner réciproquement la totalité de leurs biens à la condition qu’ils ne laissent ni de descendants ni d’ascendants.

Pour étudier les droits du conjoint survivant au décès d’un époux, il faut donc distinguer entre :

- ce que les juristes appellent l’ordre légal de la succession, qui fixe le quantum de succession auquel aura droit le conjoint lorsque le décès survient sans testament ni donation entre époux,

- et le cas où le conjoint est bénéficiaire d’un avantage consenti par le défunt soit par testament, soit par donation entre époux, ou encore par contrat de mariage.

DÉFINITION DU CONJOINT SUCCESSIBLE

Avant d’étudier les droits du conjoint successible, il faut préciser quelle doit être la situation juridique du conjoint pour être apte à revendiquer des droits successoraux dans la succession de son époux prédécédé. En effet, au moment du décès,  une instance en divorce ou en séparation de corps peut être déjà en cours entre les époux, de même qu’un jugement de séparation de corps peut déjà être devenu définitif entre eux.

 Dans ces différents cas, le conjoint est-il encore en droit d’être successible ?

La loi de 2001 qui a institué le conjoint successible, avait prévu d’exclure le conjoint survivant de la succession dans les différentes hypothèses de crise du couple qui viennent d’être évoquées. Par contre la réforme du divorce de 2004 a prévu que le conjoint survivant séparé de corps  conserverait ses droits successoraux ; en conséquence, la loi du 23 juin 2006 est revenue sur l’exclusion du conjoint dans tous ces différents cas et elle a défini sous l’article 732 nouveau du Code Civil la qualité du conjoint successible :

Art. 732 : « Est conjoint successible le conjoint survivant non divorcé ».

Ainsi, tant qu’il n’y a pas de jugement de divorce devenu définitif entre les époux, le conjoint reste donc successible. Or, dans tous les cas de divorce contentieux, le jugement ne devient définitif qu’après que tous les délais d’appel et de cassation sont expirés ou que sera intervenu l’arrêt de cassation qui rendra le divorce définitif.

Dans ces conditions, lorsqu’une instance en divorce ou en séparation de corps est engagée et que les conjoints veulent se priver mutuellement de leurs droits successoraux, ils devront rédiger un testament à cet effet. Si de telles dispositions ne sont pas prises, le conjoint survivant contre lequel une telle action est engagée ou vis-à-vis duquel un jugement de séparation de corps est devenu définitif, va pouvoir prétendre néanmoins à l’intégralité de ses droits successoraux.

Une consultation auprès des conseils des époux (avocat ou notaire) sera donc souvent utile pour connaître la conduite à suivre dans ce genre de situation.

TEXTES

Les deux principaux textes qui ont modifié le droit successoral dans ce début de XXIe siècle sont :

- Loi du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions du droit successoral, - Loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.

L’intitulé de la loi du 3 décembre 2001 passerait pour insolite si l’on ne se replaçait pas dans le contexte qui a entouré le vote de l’augmentation des droits du conjoint. Par décision de la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) du 1er février 2000, la France venait d’être condamnée dans l’affaire MAZUREK pour discrimination en matière successorale à l’égard de l’enfant naturel adultérin, pour atteinte au droit au respect de ses biens découlant de l’article 760 du Code Civil qui lui allouait une part de succession inférieure de moitié à celle des enfants légitimes.

En conséquence, le Gouvernement Français a été contraint de verser à l’enfant adultérin lésé la différence entre la somme qu’il avait recueillie dans la succession et celle qui lui serait revenue si un partage égal avait été effectué. Le législateur s’est donc saisi de l’occasion fournie par la réforme des droits du conjoint survivant pour faire disparaître les dispositions restreignant la vocation successorale de l’enfant adultérin, qui étaient à la source de l’inégalité condamnée au nom des Droits de l’Homme dans l’affaire MAZUREK.

Observons que l’inégalité à laquelle il a été mis fin par la réforme de 2001 remontait à la loi du 3 janvier 1972 sur la filiation, qui avait assimilé les enfants adultérins aux enfants légitimes. Toutefois, au cas de présence dans la succession de l’époux au préjudice de qui avait été commis l’adultère, ou d’enfants légitimes, la part de l’enfant naturel adultérin était réduite à « la moitié de la part à laquelle il aurait eu droit si tous les enfants du défunt, y compris lui-même, eussent été légitimes ».

 La loi du 3 janvier 1972 ne plaçait donc pas l’enfant naturel adultérin en situation d’infériorité absolue, puisqu’il recevait ses droits entiers lorsqu’il n’y avait pas de situation de concurrence avec le conjoint ou avec les enfants légitimes.

Depuis la loi du 3 décembre 2001, l’enfant adultérin recueille désormais ses droits entiers dans la succession de son auteur, qu’il se trouve on non en concurrence avec le conjoint victime de l’adultère ou avec les enfants légitimes.

 

  PLAN

L’étude des droits successoraux du conjoint survivant va être divisée en deux parties :

1°) L’hypothèse où le conjoint se trouve, au décès de son époux, en présence d’enfants du défunt,

2°) Les différents cas où le défunt ne laisse pas de descendants mais des parents au degré successible.

                                                  _________

       LE CONJOINT SUCCESSIBLE

  EN PRÉSENCE DE DESCENDANTS

C’est la loi du 9 mars 1891 qui a permis au conjoint survivant d’entrer dans la catégorie des successibles du défunt en présence d’enfants en lui accordant parcimonieusement une quotité d’1/4 en usufruit.

Cette quotité est restée identique pendant tout le XXe siècle, tandis que des lois nouvelles sont venues augmenter à plusieurs reprises la possibilité donnée aux époux de s’avantager réciproquement par des donations ou des testaments. C’est ainsi que la quotité disponible entre époux en présence d’enfants a été progressivement augmentée. Depuis 1972 cette quotité a été portée à 1/4 en pleine propriété et 3/4 en usufruit ou à la totalité en usufruit de la succession, que les enfants soient ou non des enfants issus du mariage.

Il en est résulté à la fin du XXe siècle, un écart de situation excessif entre le conjoint bénéficiaire d’une libéralité entre époux et le conjoint qui ne recevait que son maigre quart d’usufruit légal en cas de décès intestat.

Mais si tout le monde reconnaissait l’insuffisance des droits successoraux accordés par la loi au conjoint survivant, la recherche d’une augmentation les concernant s’est révélée épineuse. En effet, les épouses survivantes ne constituent pas une population homogène. On en distingue au moins trois catégories principales :

Généralement les époux appartiennent à la même génération et l’homme a deux ou trois ans de plus que la femme au moment du mariage. Comme l’espérance de vie de la femme est supérieure de sept à huit ans, la survie moyenne de l’épouse est statistiquement d’une dizaine d’années. Dans ce cas, le conjoint survivant n’est qu’un « passant dans la succession ». Si ce « passant » hérite en pleine propriété, il y aura une seconde mutation dans un délai assez bref. Au regard de la fiscalité et des frais, la formule de la dévolution de l’usufruit au conjoint survivant présente une supériorité évidente.

Il existe un second groupe de veuves qui est constitué par des femmes qui se retrouvent en situation de veuvage prématuré du fait de la mort d’un mari jeune par accident ou maladie. Ce genre de situation est susceptible de mettre l’épouse survivante dans une situation financière difficile, surtout si elle n’a pas d’activité professionnelle propre, d’autant que les enfants sont jeunes dans cette deuxième hypothèse.

Là aussi, la solution d’un usufruit universel au profit du survivant paraît être la solution convenable, d’autant qu’elle lui permet de pérenniser ses droits de jouissance légale, qui, sinon, ne seraient que provisoires sur les biens de ses enfants mineurs.

Mais il existe un troisième groupe de conjoints dont le contexte familial s’accommode moins bien de cette solution : il s’agit des veuves en secondes noces, sinon davantage. La difficulté peut alors venir d’une mésentente entre l’épouse ultime et les enfants des précédentes unions.

Pour ce dernier groupe de veuves, une vocation à un droit partiel en pleine propriété de la succession paraît préférable, de manière à permettre au survivant de reprendre sa liberté et aux descendants du défunt de n’avoir pas à attendre indéfiniment le décès d’une belle-mère quelquefois aussi jeune qu’eux avant de pouvoir entrer en possession de leurs droits successoraux… sans compter les litiges probables entre les nus-propriétaires et l’usufruitière tout le temps que durera l’usufruit.

La loi du 3 décembre 2001 va prendre en compte cette dualité de situations en stipulant sous l’article 757 nouveau du Code Civil que le conjoint survivant recueille des quotités différentes selon que les enfants du défunt sont ou non des enfants communs des deux époux.

Quand tous les enfants sont issus du mariage des deux époux, « le conjoint survivant recueille, à son choix, l’usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens » de l’époux prédécédé.

Par contre, en présence d’un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux, le conjoint survivant n’a droit qu’à « la propriété du quart » des biens de son époux.

En présence d’enfants, les droits du conjoint survivant ont donc été très sensiblement augmentés puisqu’il reçoit dans tous les cas le quart en propriété et non plus seulement le quart en usufruit. En outre, lorsque tous les enfants sont issus du mariage du défunt avec le conjoint survivant, ce dernier peut opter pour la totalité en usufruit de la succession.

Ainsi le conjoint survivant reçoit-il aujourd’hui dans la succession intestat de son époux certaines des quotités qui ne pouvaient naguère lui être octroyées que par une donation entre époux. Le conjoint a donc avancé dans l’ordre successoral et il vient maintenant concurrencer de plein droit les héritiers par excellence du défunt, que sont les enfants, jusque dans leurs droits en pleine propriété.

TROIS REMARQUES AUTOUR DES

LIBERALITÉS ENTRE EPOUX

EN PRÉSENCE D’ENFANTS

I - Les droits ab intestat du conjoint survivant n’ont été véritablement élargis que dans le cas où les descendants du défunt sont tous issus du mariage des deux époux.

            Par contre, le conjoint survivant reste désavantagé dans le cas où il existe des enfants du défunt qui ne sont pas issus du mariage commun des deux époux. Dans cette hypothèse, en effet, le conjoint ne pourra pas opter pour l’usufruit de la succession ; il sera obligé de se contenter du quart en propriété, ce qui entraînera le partage de la succession dès le décès et la quasi impossibilité de rester dans son cadre de vie.

            Comme on peut l’imaginer, la loi du 3 décembre 2001 a voulu arbitrer entre les différents intérêts en présence ; elle a eu certainement à l’esprit les conflits d’intérêts entre enfants d’un premier mariage et conjoint en secondes noces. Toutefois, la solution retenue est loin d’être juste dans tous les cas d’enfants non issus du mariage.

            En particulier, la présence d’un enfant adultérin aura pour conséquence de priver le conjoint survivant du droit d’opter pour l’usufruit de la totalité de la succession, qui lui aurait donné la possibilité de rester dans son cadre de vie.

            Ainsi, malgré l’extension des droits ab intestat du conjoint survivant, on ne saurait trop recommander aux époux la signature d’une donation entre époux ou la rédaction d’un testament, à toutes fins utiles

            Rappelons que, depuis 1972, un époux peut « disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement », que les enfants ou descendants soient « issus ou non du mariage » (art. 1094-1 C. Civ).

            Le conjoint bénéficiaire d’une libéralité entre époux conserve donc un avantage certain sur celui qui ne recueille ses droits qu’ab intestat, même si ceux-ci viennent d’être nettement améliorés par la loi du 3 décembre 2001.

II – Depuis la loi du 23 juin 2006, le conjoint survivant, bénéficiaire de la quotité disponible, n’est plus enfermé entre les trois options légales de l’article 1094-1 ci-dessus : usufruit universel, ou quart en propriété et trois autres quarts en usufruit, ou quotité disponible ordinaire.

            Sans pouvoir aller au-delà de ces trois options, le texte nouveau permet au conjoint de limiter son acceptation de la libéralité à une partie seulement des biens et droits dont il a été gratifié.

            Bien plus, il a été ajouté un paragraphe fiscal à l’article 1094-1 du Code Civil, qui précise que ce cantonnement des droits du conjoint ne pourra pas être considéré res successibles.

            Ainsi, au lieu de figer définitivement les parts des héritiers, l’acceptation de la donation entre époux pourra n’être que partielle, ce qui donnera plus de souplesse au partage de la succession future du premier décédé.

            Cette amélioration sera particulièrement sensible en cas de partage de la succession entre le conjoint survivant et les enfants issus d’un précédent mariage, car les enfants communs des deux époux laissent généralement le survivant en possession de l’ensemble des biens de l’indivision jusqu’à son décès.

III – Enfin, un changement de régime matrimonial permet toujours aux époux de se donner réciproquement au-delà de la quotité disponible et même la totalité de leurs biens sans aucune limitation, s’ils adoptent le régime de la communauté universelle, assorti d’une clause d’attribution intégrale de cette communauté au profit du survivant.

            L’article 1525 du Code Civil stipule en effet que de telles clauses « ne sont point réputées des donations, ni quant au fond, ni quant à la forme, mais simplement des conventions de mariage et entre associés ».

            N’étant pas considérée comme une donation entre époux, l’attribution intégrale de communauté ne peut donc pas être réduite aux limites de la quotité disponible.

            Mais il existe des héritiers vis-à-vis desquels la clause d’attribution garde le caractère d’une libéralité : ce sont les enfants « qui ne seraient pas issus des deux époux ». Ils peuvent demander la réduction de la convention matrimoniale passée entre les deux époux dans la mesure où elle aurait pour effet d’avantager le survivant au-delà du triptyque de l’article 1094-1.

            Cependant la loi du 23 juin 2006, inspirée par le même esprit de souplesse que celui qui permet le cantonnement des droits du conjoint, offre à ces enfants la possibilité de renoncer à demander immédiatement cette réduction, et donc de n’y procéder qu’au décès du conjoint survivant. Il s’agit d’une application particulière de la renonciation anticipée à l’action en réduction.

 Cette renonciation provisoire par les enfants au profit du conjoint survivant est assortie d’un privilège mobilier, et d’un inventaire des meubles et de l’état des immeubles. Comme la RAAR de droit commun, qui a été étudiée dans la précédente séance du 30 octobre 2007, cette renonciation est subordonnée à un lourd formalisme qui nécessite un acte authentique reçu par deux notaires et la signature séparée de chaque renonçant en la présence des seuls notaires, afin de garantir l’absence de pression subie par le renonçant.

_______

ABSENCE DE DESCENDANTS

ABSENCE DE DESCENDANTS ET D’ASCENDANTS PRIVILÉGIÉS

            1°) Dans ce cas, le conjoint a droit à la totalité, sauf le cas particulier des « biens de famille » qui constituent une nouvelle catégorie de biens introduite dans notre droit par la loi du 3 décembre 2001.

La solution de principe est extrêmement simple :

            « En l’absence d’enfants ou de descendants du défunt et de ses père et mère, le conjoint survivant recueille toute la succession » (C.Civ. art. 757-2).

            C’est le terme d’une évolution qui a débuté par la loi du 26 mars 1957. Depuis lors, le conjoint survivant primait les collatéraux ordinaires ; avec la loi du 3 décembre 2001, il l’emporte également sur les collatéraux privilégiés (frères et sœurs).

            Le resserrement de l’ordre successoral autour de la famille nucléaire (père, mère et enfants éventuels), aboutit donc à l’élimination des frères et sœurs au profit du conjoint survivant, après l’élimination des collatéraux ordinaires.

            2°) Néanmoins, les frères et sœurs n’ont pas été privés de la totalité de leurs droits. En effet, l’article 757-3 dispose :

            « Par dérogation à l’article 757-2, en cas de prédécès des père et mère, les biens que le défunt avait reçus d’eux par succession ou donation et qui se retrouvent en nature dans la succession sont, en l’absence de descendants, dévolus pour moitié aux frères et sœurs du défunt ou à leurs descendants, eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l’origine de la transmission. »

            Ce texte découle d’un compromis parlementaire entre les tenants du lignage et les tenants du ménage. En effet, le texte de l’Assemblée Nationale, voté sur proposition de Monsieur VIDALIES, prenait le parti radical d’éliminer les frères et sœurs. Mais le Sénat a fait observer que, s’il l’on voulait être logique et éliminer tout à fait les frères et sœurs, il fallait aussi priver les père et mère de tous droits successoraux puisque les frères et sœurs seront les bénéficiaires finaux des biens qui remonteront aux père et mère.

            Il en est finalement résulté une solution de compromis élaborée par la Commission Mixte. Elle consiste à instaurer un nouveau droit de « retour légal » dans notre droit au profit des frères et soeurs du défunt sur les biens reçus par celui-ci de ses père et mère par succession ou donation, lorsque ces biens se retrouvent en nature dans la succession. A défaut de descendants, la moitié de ces « biens de famille » revient aux frères et sœurs du défunt, pour leur servir de compensation à la privation de leurs droits par le conjoint survivant.

            3°) Jamais les frères et sœurs n’ont été des héritiers réservataires du défunt, seuls les descendants, et, jusqu’en 2006, les ascendants, ont bénéficié de cette qualité.

            En conséquence, toute donation ou legs universel de biens entre époux prive automatiquement les frères et sœurs de tous leurs droits et notamment de ce nouveau droit de retour légal introduit par la loi du 3 décembre 2001.

            Aussi, bien que le conjoint hérite aujourd’hui de la totalité, en l’absence de descendants et d’ascendants du défunt, il est indispensable de prendre des dispositions entre époux afin d’éviter au conjoint survivant le risque d’avoir à procéder éventuellement au partage des « biens de famille » avec les frères et sœurs du défunt.

ABSENCE DE DESCENDANTS

PRÉSENCE D’ASCENDANTS PRIVILÉGIÉS

Loi du 3 décembre 2001

            A la suite de la loi du 3 décembre 2001, l’article 757-1 prévoit :

            « Si, à défaut d’enfants ou de descendants, le défunt laisse ses père et mère, le conjoint survivant recueille la moitié des biens. L’autre moitié est dévolue pour un quart au père et pour un quart à la mère. »

 

« Quand le père ou la mère est prédécédé, la part qui lui serait revenue échoit au conjoint survivant. »

 

 

            Jusqu’à présent, dans une telle hypothèse, il y avait lieu de répartir la succession entre les ascendants et les collatéraux privilégiés, tout en tenant compte des droits du conjoint survivant. La loi nouvelle a donc simplifié la répartition en la limitant aux ascendants et au conjoint ; les ascendants privilégiés conservaient par ailleurs leur réserve dans la loi du 3 décembre 2001, celle-ci coïncidant exactement avec leur vocation successorale.

 

            On retrouve, là encore, l’esprit de la loi qui est de resserrer la dévolution autour de la famille stricte, puisque les collatéraux privilégiés ont perdu leurs droits, tandis que les ascendants ordinaires (les grands-parents) ont été, eux aussi, éliminés en présence du conjoint.

 

            Mais, perdant leurs droits successoraux, les grands-parents ont reçu en compensation, mais uniquement s’ils sont dans le besoin, le droit de bénéficier d’une créance d’aliments contre la succession.

 

Loi du 23 juin 2006

 

            L’amélioration des droits héréditaires du conjoint ne s’est pas arrêtée en 2001 ; la loi du 23 juin 2006 a, en effet, supprimé la réserve des ascendants, qui constituait une atteinte à la liberté testamentaire du disposant décédé sans enfants et voulant laisser la totalité de ses biens soit à son conjoint, soit à toute autre personne.

 

            L’ancien article 914 fixait la quotité disponible à la moitié des biens si, à défaut d’enfants, le défunt laissait un ou plusieurs ascendants dans chacune des lignes, paternelle et maternelle, et aux trois-quarts s’il ne laissait d’ascendants que dans une ligne.

            La loi du 23 juin 2006 a abrogé purement et simplement l’article 914 et supprimé la réserve aussi bien des ascendants privilégiés (père et mère) que des ascendants ordinaires (grands-parents et au-delà).

 

            Rappelons que, pour avoir droit à leur réserve, les ascendants devaient venir à la succession. Ainsi, les ascendants ordinaires étaient écartés en présence de collatéraux privilégiés acceptant la succession.

 

Cette suppression renforce donc la liberté patrimoniale d’un testateur pour tenir davantage compte de la réalité des familles où les liens entre le défunt et ses ascendants sont souvent distendus, la famille se limitant de plus en plus au ménage avec ou sans enfant.

 

Tout en supprimant la réserve des père et mère, la loi de 2006 n’a pas supprimé cependant leurs droits héréditaires en présence du conjoint survivant de leur fils ou de leur fille décédés sans enfants. Ces droits héréditaires qui s’élèvent à un quart pour chacun d’eux, ont été énoncés ci-dessus sous l’article 757-1 du Code Civil.

 

Les père et mère continuent donc à hériter d’un quart en propriété dans la succession de leurs descendants (fils ou fille) décédés intestat sans enfants. Mais ce quart héréditaire ne constitue plus une réserve.  Ils peuvent donc en être privés par une disposition testamentaire prise par le défunt.

 

En contrepartie de la suppression de leur réserve, la loi de 2006 a mis en place un nouveau « droit de retour » légal au profit des père et mère et non pas des ascendants ordinaires, jadis réservataires.

 

Le nouvel article 738-2 dispose :

 

« Lorsque les père et mère ou l’un d’eux survivent au défunt et que celui-ci n’a pas de postérité, ils peuvent dans tous les cas exercer un droit de retour, à concurrence des quotes-parts fixées au premier alinéa de l’article 738 (c’est-à-dire 1/4 chacun), sur les biens que le défunt avait reçus d’eux par donation. »

 

 

« La valeur de la portion des biens soumise au droit de retour s’impute en priorité sur les droits successoraux des père et mère. »

 

 

« Lorsque le droit de retour ne peut s’exercer en nature, il s’exécute en valeur, dans la limite de l’actif successoral. »

 

 

A la différence de ce qui est admis pour le droit de retour dont bénéficient les collatéraux privilégiés, ce nouveau droit de retour a un caractère d’ordre public, les père et mère ne pouvant pas en être privés par testament ou donation entre époux. Le législateur a en quelque sorte rétabli le droit de retour légal de l’ascendant donateur qui existait déjà dans le Code Napoléon et avait pour but d’éviter que les biens donnés par un ascendant soient détournés de sa lignée.

Ainsi, tout en resserrant la famille autour des époux, le législateur a ressuscité la notion de lignage grâce à deux nouveaux droits de retour qui ont été instaurés respectivement par la loi du 3 décembre 2001 au profit des frères et sœurs, et par la loi du 23 juin 2006 au profit des père et mère.

 

 

 

ABSENCE DE DESCENDANTS

QUOTITÉ DISPONIBLE LIMITÉE PAR LA RÉSERVE DU CONJOINT

 

 

            Nous avons vu qu’en l’absence de descendants, le conjoint survivant recueille la moitié de la succession de son époux et, en outre, la part des père et mère de celui-ci si ses père et mère sont décédés. Le conjoint survivant recueille également la part des père et mère, même non décédés, s’il est donataire ou légataire universel de son époux par donation ou testament

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