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développement durable : indicateurs (10 07 2009)

Les indicateurs du développement durable et l’empreinte écologique

Etude de M. Philippe Le Clézio, membre du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) : note de Présentation publiée le 2 juin 2009 sur le site du CESE (cliquer ici pour accéder au site du CESE et pour lire l’étude complète)

http://www.conseil-economique-et-social.fr/ces_dat2/2-3based/base.htm

Aux termes de la loi de programme relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement adoptée par le Parlement en février 2009, l’État se fixe pour objectif de disposer, en 2010, d’indicateurs à l’échelle nationale. Dans cette perspective, le Premier ministre, par lettre du 20 janvier 2009, a soumis au Conseil économique, social et environnemental les trois questions suivantes : «  De quelle information les hommes politiques, les citoyens et les acteurs économiques doivent-ils disposer pour prendre des décisions ou adopter des comportements favorables à un développement durable ? Quels indicateurs phares doit-on retenir pour envoyer les signaux les plus lisibles ? L’empreinte écologique doit-elle en faire partie ?  » .

Notre assemblée a articulé sa réflexion selon trois parties :

- la première, une fois rappelées les limites du PIB et des indicateurs économiques traditionnels, examine les enjeux de l’intégration de l’impératif de la durabilité dans nos représentations statistiques. Il s’agit d’orienter les décisions publiques et les comportements des agents économiques dans un sens favorable au développement durable, c’est-à-dire qui respecte l’environnement, conforte la cohésion sociale, assure toujours plus largement la satisfaction des besoins de la population, en préservant celle des générations futures. Cela suppose une meilleure association des citoyens au débat sur le développement ;

- la deuxième analyse la problématique de la mise en place d’indicateurs du développement durable pour répondre aux besoins des décideurs et des observateurs spécialisés mais aussi pour l’information du plus grand nombre ;

- la dernière évalue la pertinence de l’empreinte écologique, en mettant en évidence ses apports et ses limites.

Cette réflexion, conduite en parallèle de celle de la «  commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social  » mise en place par le Président de la République et présidée par Joseph Stiglitz, débouche sur un ensemble de sept recommandations visant à enrichir la statistique publique et développer son usage par les citoyens. L’avis insiste tout particulièrement sur la nécessité de les associer à la définition des indicateurs à même de fournir une appréhension globale des évolutions de notre société puisqu’à travers leur choix ce sont, en réalité, des choix de société, des choix politiques au sens le plus profond du terme, qui sont opérés.

1. Intensifier la production de données dans les domaines sociaux et environnementaux

Il convient d’abord de relativiser la pertinence des informations fournies par l’évolution du PIB , qui est devenu l’indicateur économique de référence : celui-ci ne mesure pas la qualité de la vie, ne dit rien sur la répartition de la richesse à l’intérieur d’une société et ignore les atteintes portées à l’environnement . Les exigences du développement durable rendent indispensables d’intensifier la production de données dans les domaines sociaux et environnementaux. Un effort soutenu des pouvoirs publics pour dégager les moyens nécessaires à une meilleure connaissance statistique dans ces domaines doit être fourni. Cela suppose d’améliorer :

- la fréquence de mise à jour des résultats ;

- leur actualité ;

- leur adaptation à la décision publique ;

- leur déclinaison géographique, y compris concernant l’Outre-mer.

La mesure du PIB elle-même est encore perfectible pour mieux prendre en compte les aspects non marchands de la production.

2. Associer étroitement les citoyens et la société civile au choix des indicateurs et à l’évaluation de leurs évolutions

Le Conseil souhaite animer, de concert avec le CNIS, la concertation nécessaire entre les statisticiens publics, les représentants de la société civile et, plus généralement, les citoyens sur la définition des indicateurs du développement durable. Son objectif consisterait à :

- formuler une première proposition intégrant, à parts égales, des thèmes et des indicateurs économiques, sociaux et environnementaux à soumettre au débat citoyen ;

- organiser, en association avec les Conseils économiques et sociaux régionaux (CESR), des conférences citoyennes à l’image des conférences de consensus scandinaves pour confronter cette proposition aux attentes de la population. Cette étape pourrait servir à la construction d’indicateurs infra -nationaux prenant en compte les spécificités des territoires ;

- soumettre in fine à l’approbation de notre assemblée une liste d’indicateurs sur laquelle il reviendrait au Parlement de se prononcer afin qu’ils deviennent les indicateurs de l’ensemble de la Nation.

Ce processus pourrait être renouvelé tous les cinq ans. Le Conseil aurait également la charge de l’ évaluation annuelle des évolutions de ces indicateurs, sur la base d’un débat décentralisé au sein des CESR.

3. Privilégier une logique de tableau de bord

Afin de toucher l’opinion et de permettre l’association du plus grand nombre au débat public, il conviendrait, dans ce cadre, d’élaborer un tableau de bord composé d’ une douzaine d’indicateurs signifiants, robustes, fréquemment mis à jour.

Un tel tableau de bord gagnerait en lisibilité si à chaque item étaient associés des objectifs quantifiés et datés permettant de mieux apprécier les efforts accomplis. Il devrait être diffusé auprès d’un large public sous la forme d’un livret synthétique présentant de manière attractive ses indicateurs phares.

Des documents plus détaillés regroupant des indicateurs à un niveau plus fin devraient aussi être aisément accessibles sur les sites internet de la statistique publique.

4. Intensifier les coopérations internationales pour homogénéiser les outils statistiques

Les initiatives visant à mettre au point des indicateurs synthétiques doivent s’inscrire dans le cadre de la réflexion sur une meilleure appréhension du bien-être et de toutes les composantes du développement durable. Les représentations statistiques doivent, en effet, intégrer ces objectifs dès l’origine, selon une approche systémique, si l’on souhaite que le comportement des agents économiques aille effectivement dans ce sens.

Ces travaux devraient faire l’objet d’une harmonisation aux niveaux européen (Eurostat) et international (OCDE et ONU) .

5. À ce stade, retenir plutôt des indicateurs non agrégés et emblématiques que synthétiques

La mise au point d’indicateurs synthétiques de développement durable (traduisant des visions différentes du développement économique et social ainsi que des enjeux environnementaux) permettrait de combler certaines lacunes du PIB, à condition de renforcer leur fiabilité et de s’accorder sur un cadre conceptuel commun (en particulier sur les pondérations à retenir).

Dans cette attente, si le gouvernement souhaitait compléter une mesure rénovée du PIB par un nombre d’indicateurs plus réduit que celui préconisé dans le cadre du tableau de bord, notre assemblée l’invite à retenir plutôt des indicateurs emblématiques, plus robustes,  aptes à alerter l’opinion publique sur des évolutions préjudiciables à la cohésion sociale et à la qualité de l’environnement.

De tels indicateurs permettant, par exemple, le suivi de l’ évolution des inégalités de revenu, des émissions de CO 2 ou de la biodiversité devraient naturellement être discutés selon un processus analogue à celui décrit au point 2.

6. Améliorer la méthodologie de l’empreinte écologique

L’indicateur d’empreinte écologique présente plusieurs intérêts :

- la formulation de son résultat est pédagogique, simple à saisir et intuitivement parlante ;

- il peut être utilisé au niveau d’un produit, d’un individu, d’une entreprise, d’une collectivité territoriale ou d’un pays ;

- il apporte une information radicalement différente du PIB en rendant commensurables des impacts environnementaux hétérogènes ;

- il porte sur la consommation et non sur la production, ce qui permet de mieux identifier les responsabilités.

Pour ces raisons, il a désormais une telle notoriété qu’il apparaîtrait contre-productif, du point de vue de la sensibilisation, de l’écarter de la liste des données mises en avant par les pouvoirs publics.

Cependant, pour qu’il puisse y prendre place, il est indispensable qu’il acquière un statut public. Cela suppose aussi qu’il soit explicitement précisé que l’empreinte écologique, ne prend pas en compte (en dépit de son nom) tous les impacts environnementaux et accompagner la publication de sa valeur de celle du solde écologique. Cela suppose enfin de lever des réserves méthodologiques concernant les méthodes de calcul (coefficients de conversion, pondérations) et la sensibilité des résultats aux hypothèses qui peuvent rendre incertaine l’interprétation des évolutions.

7. Donner dans l’immédiat la priorité au bilan carbone

Dans l’attente de ces approfondissements auxquels notre pays a tout intérêt à participer, on peut légitimement penser que les émissions de CO 2 (qui représentent 52 % de l’empreinte et sont la cause première de sa forte hausse ces dernières décennies) au travers du bilan carbone (en y incluant, le cas échéant, les émissions de méthane, d’halocarbures et de protoxyde d’azote) pourrait constituer l’indicateur de référence pour le pilier environnemental :

- sa construction est désormais robuste ;

- il s’agit d’un indicateur non composite et emblématique ;

- il fait l’objet d’un suivi international et porte sur la cause majeure du réchauffement climatique ;

- il s’agit d’un indicateur de performance plus directement opérationnel que l’empreinte écologique pour orienter l’action des entreprises et des administrations publiques.

Il est par ailleurs possible de le présenter d’une manière aussi parlante pour le citoyen que l’empreinte : soit en jour de l’année à partir duquel les émissions saturent la capacité de séquestration planétaire ; soit (de manière privilégiée) en nombre de planètes nécessaires pour séquestrer le CO 2 si les émissions nationales étaient généralisées. Il devrait aussi faire l’objet d’une normalisation sous l’égide du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) afin de faciliter les comparaisons internationales.

Cette réflexion sur les indicateurs du développement durable aura d’autant plus de sens si elle facilite la prise de conscience que notre société peut se déliter voire même disparaître sous le coup d’inégalités de plus en plus fortes ou de pollutions et dégradations majeures infligées à l’environnement. Pour y faire face, il faut créer les conditions d’un complet épanouissement des individus, ce qui suppose du lien social, des disparités de qualité de vie relativement resserrées et une attention soutenue portée au patrimoine naturel. L’enjeu est désormais de recourir à des indicateurs de convergence sociale et écologique , à côté des critères existants. Un enjeu qui, loin d’être purement technique, touche au cœur même des choix politiques puisqu’il s’agit, ni plus ni moins, que de passer d’une civilisation «  du beaucoup avoir  » à une civilisation «  du mieux être  »

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