Nous vous proposons aujourd’hui (sans tableaux ni graphiques) cette étude de Mme Givord publiée le 2 septembre 2024 sur le site de l’INSEE (cliquer ici pour accéder au site de l’INSEE)
https://www.insee.fr/fr/statistiques/8240456.html
Les effets du mois de naissance sur la réussite scolaire à 15 ans : une comparaison internationale
Etude de Mme Pauline Givord (Insee) Parue dans Insee Analyses n° 96, le 02/09/2024
Les enfants n’entrent pas tous à l’école ni au même âge ni avec le même degré de maturité. La date de rentrée scolaire en CP étant la même pour tous les enfants nés une même année civile, un élève né en janvier a presque un an de plus qu’un élève né en décembre, ce qui peut constituer un avantage pour les apprentissages.
D’après les résultats au test PISA (Programme international de suivi des acquis des élèves) analysés dans une quinzaine de pays dont la France, les effets de l’âge à l’entrée à l'école sont durables : en moyenne, être plus jeune d’un an à l’entrée à l’école baisse d’environ 20 points les performances à 15 ans en mathématiques, sciences et lecture. Dans plusieurs pays, être plus jeune à l’entrée à l’école augmente également le risque de redoubler au cours de sa scolarité et d’être exposé au harcèlement. Les élèves les plus jeunes expriment des compétences sociales et émotionnelles plus faibles, et ont moins confiance dans leurs capacités. Ils sont par exemple moins nombreux à envisager de faire des études supérieures.
L’ampleur de ces effets est cependant variable selon les pays. Des études montrent que certaines pratiques scolaires (comme des journées plus longues, des classes plus chargées) pourraient amplifier les effets de l’âge d’entrée à l’école.
Sommaire
- Des différences de maturité selon le mois de naissance, marquées en début de scolarité
- Être plus âgé à l’entrée à l'école augmente la réussite scolaire à 15 ans
- Les plus jeunes à l’entrée à l’école ont plus de risques de redoubler
- Au-delà des résultats scolaires, des effets sur les compétences sociales et émotionnelles
Des différences de maturité selon le mois de naissance, marquées en début de scolarité
Cela fait-il une différence dans la vie d’être né en janvier plutôt qu’en décembre ? Aussi étrange que cela puisse sembler, la réponse est en partie oui dans de nombreux domaines. Au départ, ces effets proviennent des règles administratives entourant la scolarisation : l’année scolaire commence à une date fixe, alors que les naissances s’étalent sur l’ensemble de l’année. Par exemple, en France, les élèves entrent en principe au CP l’année de leurs 6 ans, mais les élèves nés en décembre ont onze mois de moins que ceux nés en janvier, soit un écart d’âge de 20 %. Pour atténuer ces écarts, des assouplissements sont parfois possibles, notamment à la demande des parents. En Italie par exemple, il est possible d’anticiper l’entrée à l’école pour les enfants nés de janvier à avril, qui seraient sinon les plus âgés de leur classe et donc potentiellement moins « stimulés » que dans la classe supérieure. À l’inverse, il est fréquent dans certains pays anglo-saxons ou en Allemagne de retarder l’entrée à l’école des élèves les plus jeunes d’une cohorte scolaire, quand ils ne sont pas jugés prêts pour rentrer à l’école.
Attendus dans les premières années de scolarité, ces écarts ne se résorbent pas toujours au cours du temps. Sur données françaises, Grenet (2010) met ainsi en évidence des effets sur la réussite scolaire. Ces effets persistants du mois de naissance sur la réussite dépassent le cadre scolaire : des études l’observent parmi les footballeurs professionnels de l’équipe de France, parmi les sénateurs aux États-Unis ainsi que parmi les dirigeants des grandes entreprises américaines
Cette persistance peut s’expliquer par des effets cumulatifs : une réussite scolaire précoce crée une dynamique positive qui s'auto-alimente au fil de la scolarité. À l’inverse, les élèves les plus jeunes peuvent avoir des résultats décevants en début de scolarité et être étiquetés en difficulté, fragilisant leur estime de soi et leur motivation. La persistance de l’effet sur la réussite scolaire de l’âge à l’entrée à l’école questionne la capacité du système éducatif à gérer l’hétérogénéité des élèves. Il est en effet très peu probable que ces écarts persistants selon l’âge à l’entrée à l’école proviennent de pratiques familiales variables en fonction du mois de naissance.
Être plus âgé à l’entrée à l'école augmente la réussite scolaire à 15 ans
Les données du Programme international de suivi des acquis des élèves (PISA) permettent de mesurer les effets de l’âge à l’entrée à l’école sur les performances à 15 ans, et de les comparer entre plusieurs pays. Dans la quinzaine de pays étudiés, le fait d’être plus âgé que ses pairs à l’entrée à l’école augmente significativement les performances dans les matières scolaires mesurées (lecture, mathématiques et sciences). En moyenne sur l’ensemble de ces pays et sur les trois dernières vagues de l’enquête (2015, 2018 et 2022), être plus âgé d’un an à l’entrée à l’école augmente la performance de 21 points en lecture (soit 0,21 écart-type), de 18 points en mathématiques et en sciences. À titre de comparaison, ces écarts sont du même ordre que la progression constatée lors d’une année d’études, telle qu’estimée dans les pays sur lesquels cette évaluation est possible. Ces variations restent néanmoins bien plus réduites que les inégalités de performance liées à l’origine sociale : en moyenne dans l’OCDE, le quart des élèves les plus défavorisés en matière d’origine sociale, telle que mesurée par l’indice PISA de statut économique, social et culturel, a obtenu un score en mathématiques inférieur de 92 points à celui du quart le plus favorisé (et de 112,5 points en France).
Ces effets sont cependant d’ampleur variable selon les pays : être plus âgé que ses pairs d’un an à l’entrée à l’école augmente de 29 points le score en mathématiques en Italie, contre 10 points en Estonie et en Finlande et 9 points aux Pays-Bas. En France, l’effet est de 14 points en mathématiques, de 17 points en sciences, et de 18 points en lecture.
Les plus jeunes à l’entrée à l’école ont plus de risques de redoubler
Ces écarts de réussite se reflètent dans les parcours scolaires. Ainsi, les élèves les plus jeunes à l’entrée à l’école déclarent nettement plus souvent que les autres avoir redoublé au cours de leur scolarité. La pratique du redoublement varie fortement selon les pays. Elle est très marginale dans de nombreux pays, moins de 3 % des élèves de 15 ans déclarent avoir redoublé auparavant en Estonie, en Corée du Sud et en Finlande, alors qu’en Belgique et en Espagne, c’est le cas de 22 % des élèves en 2022. En France, cette part est de 10 %, deux fois moins qu’en 2015. Toutefois, dans les pays où le redoublement est fréquent, le fait d’être plus vieux d’un an à l’entrée à l’école réduit de plus de 10 points la probabilité de redoubler à l'école élémentaire.
En revanche, l’effet est beaucoup plus modeste sur le redoublement dans le secondaire, les écarts de maturité relative se réduisant avec l’âge. L’effet de l’âge à l’entrée à l’école sur le risque de redoublement est amplifié par l’origine sociale des élèves : en Belgique, en France et en Espagne, le fait d’entrer tôt à l’école augmente de plus de 15 points la probabilité de redoubler lorsque l’élève fait partie du quart le plus défavorisé en matière d’origine sociale, contre moins de 5 points de pourcentage quand il fait partie du quart des élèves les plus favorisés. Il est probable que les familles favorisées disposent de davantage de ressources pour compenser les difficultés ressenties par leurs enfants quand ils entrent plus jeunes à l’école.
La plus forte probabilité de redoublement des élèves les plus jeunes à l’entrée à l’école explique en partie les écarts de performance au test PISA. Les élèves qui ont redoublé avant 15 ans sont dans une classe de niveau inférieur et ont donc bénéficié de moins d’enseignements pour réussir le test que ceux qui n’ont pas redoublé. Le redoublement peut aussi avoir un effet indirect : même si cette pratique permet aux élèves en difficulté de disposer de plus de temps pour leurs apprentissages, les résultats de la recherche montrent qu’elle ne serait au mieux efficace qu’à court terme, avec le risque sur le long terme d’entamer la confiance en eux des élèves et leurs motivations. Le redoublement n’est cependant pas le seul canal par lequel transitent les effets persistants de l’âge à l’entrée à l’école, puisque ces derniers s’observent également dans les pays où cette pratique est marginale.
Plus généralement, l’âge à l’entrée à l’école influence la qualité des relations à l’école. Les élèves les plus jeunes lors de l’entrée à l’école déclarent plus souvent que leurs pairs plus âgés qu’ils estiment être traités de manière « injuste » par leurs enseignants. Dans plusieurs pays, ils ont également plus de risques de subir une situation de harcèlement : en France et aux Pays-Bas, le fait d’être entré plus jeune à l’école augmente l’indice d’exposition au harcèlement de 0,2 écart-type, l’augmentation est en moyenne de 0,1 écart-type sur l’ensemble des pays. Il est possible que les élèves les plus jeunes à l’entrée à l’école aient des caractéristiques physiques ou sociales, comme une plus grande timidité ou une moindre assurance, qui les exposent plus à du harcèlement.
Au-delà des résultats scolaires, des effets sur les compétences sociales et émotionnelles
L’enquête PISA permet d’aller au-delà des seuls constats sur les résultats scolaires et permet de mesurer un large spectre de compétences sociales et émotionnelles comme la persévérance, la motivation, la confiance en soi ou l’ouverture aux autres.
Ces traits sont valorisés sur le marché du travail, au-delà des capacités cognitives et sont donc considérés comme en partie prédictifs de la réussite future. Ces compétences peuvent cependant évoluer en fonction du contexte et des expériences vécues par les enfants. En moyenne sur les seize pays étudiés, les élèves les plus âgés à l’entrée à l’école expriment un niveau plus élevé de compétences sociales et émotionnelles que les plus jeunes. Ils ont de plus grandes compétences relationnelles : ils expriment ainsi un niveau plus élevé d’empathie, mais savent aussi mieux s’affirmer de manière positive (assertivité). Ils sont aussi plus motivés, et présentent des niveaux plus élevés de persévérance, de capacité à réguler leurs émotions et de résister au stress. Les élèves entrés plus âgés à l’école sont aussi plus nombreux à envisager à 15 ans de faire des études supérieures (+5 points de pourcentage en moyenne). Ces résultats sont cohérents avec de possibles mécanismes de renforcement positif ou négatif selon les facilités perçues en début de scolarité.
La persistance des effets de l’âge à l’entrée à l’école n’est cependant pas une fatalité, comme l’illustrent les écarts entre les systèmes scolaires, voire au cours du temps au sein de mêmes systèmes scolaires. Les données ne sont cependant pas suffisantes pour identifier si ces différences proviennent de simples variations statistiques, ni pour isoler le cas échéant les facteurs qui pourraient permettre d’expliquer ces évolutions ou ces écarts entre pays.
Des études plus locales apportent néanmoins des pistes sur les pratiques pédagogiques qui amplifieraient ou au contraire réduiraient la persistance des différences de maturité à l’entrée à l’école. Par exemple, à partir d’observations exhaustives sur une longue période dans l’état de Floride, montrent que les difficultés des élèves les plus jeunes à l’entrée à l’école sont amplifiées par des journées scolaires plus longues (sans doute parce qu’ils ont des capacités de concentration plus faibles), ou des classes à effectifs plus élevés (l’attention que les enseignants leur prêtent pouvant être réduite). Certains travaux alertent également sur les risques d’« étiquetage » précoce : les élèves jeunes à l’entrée à l’école sont surreprésentés dans les diagnostics d’hyperactivité, probablement parce qu’ils ont moins de capacités de concentration.
Bien entendu, le constat de moindre réussite des élèves plus jeunes au début de leur scolarité correspond à des effets moyens, autour desquels se distribue une grande diversité de cas individuels. De très nombreux élèves entrés plus tôt que la moyenne à l’école (soit qu’ils sont nés en fin d’année, soit qu’ils ont anticipé cette entrée) obtiennent de très bonnes performances aux tests et ont une relation positive à l’école. Les compétences mesurées dans PISA ne constituent d’ailleurs qu’une mesure à 15 ans, qu’il faudrait pouvoir compléter par des mesures ultérieures pour vérifier si ces effets sont persistants à l’âge adulte.
Pour en savoir plus
Givord P., « L'influence de l'âge d'entrée à l'école sur les compétences scolaires et socioémotionnelles : une étude à partir de PISA », Documents de travail, no 2024-18, Insee, juillet 2024.
OCDE, Ouvrir dans un nouvel onglet“PISA 2022 Technical Report", OECD Publishing, mars 2024.
Bernigole V., Fernandez A., Loi M., Salles F., « Ouvrir dans un nouvel ongletPISA 2022 : la France ne fait pas exception à la baisse généralisée des performances en culture mathématique dans l’OCDE », Note d'Information no 23.48, DEPP, décembre 2023.
Dhuey E., Figlio D., Karbownik K., Roth J., Ouvrir dans un nouvel onglet“School Starting Age and Cognitive Development" , Journal of Policy Analysis and Management, John Wiley & Sons, Ltd., Vol. 38(3), pp. 538-578, avril 2019.
Heckman J., Kautz T., Ouvrir dans un nouvel onglet“Hard evidence on soft skills", Labour Economics, Elsevier, Vol. 19(4), pp. 451-464, août 2012.
Dhuey E., Lipscomb S., Ouvrir dans un nouvel onglet“Disabled or young? Relative age and special education diagnoses in schools", Economics of Education Review, Vol. 29(5), pp. 857-872, octobre 2010.
Grenet J., « Ouvrir dans un nouvel ongletLa date de naissance influence-t-elle les trajectoires scolaires et professionnelles ? Une évaluation sur données françaises », Revue économique, Vol. 61, no 3, pp. 589-598, juin 2010.