Indivision : le nouveau mode d'emploi en 15 questions
(article de Catherine Janat, avec maître JF Humbert, notaire à Paris, lu dans le site de notre Temps)
Après un décès, les héritiers sont en indivision jusqu'au partage de l'héritage : ils se retrouvent à gérer ensemble le patrimoine du défunt. Subie ou désirée, mieux vaut bien connaître les rouages de l'indivision pour préserver ses intérêts.
La situation est fréquente. On se retrouve en indivision avec ses frères et sœurs au décès de son dernier parent. Jusqu'à ce que chacun reçoive sa part d'héritage, le patrimoine du défunt (maison, meubles, placements, voiture, bijoux…) appartient indistinctement à tous ses enfants. En fonction du climat familial, de l'importance de la succession, de l'existence d'une maison de famille, cette situation peut perdurer.
Or, au cours du temps, inévitablement, les héritiers devront prendre des décisions pour gérer les biens, organiser leur utilisation ou même leur vente.
Jusqu'alors la règle de l'unanimité (nécessité de l'accord de tous les héritiers) prévalait.
Source de blocages, de conflits familiaux qu'il fallait faire trancher par le juge, cette règle a été largement assouplie au 1er janvier 2007 (Loi 2006-728 du 23 juin 2006)
1er volet : questions 1 à 5
2ème volet : questions 6 à 10
3 ème volet : questions 11 à 15.
Questions :
1) Qui doit prendre les décisions, en attendant le partage ?
2) Qui peut décider de faire des réparations ?
3) Organisation et gestion collective de l’indivision
4) Faire d'un héritier un responsable de gestion des biens
5) Responsable d'un bien en location, ça engage à quoi ?
1)• Qui doit prendre les décisions, en attendant le partage ?"Au décès de notre mère, nous avons hérité, mes frères et moi, de son pavillon, de divers placements et d'un logement loué. En attendant le partage, qui doit prendre les décisions ?"
• L'accord de tous les héritiers n'est plus nécessaire
Vous devez assumer ensemble la gestion des biens de la succession.
Si vous ne désirez pas mettre en place une organisation particulière (voir "Organisation et gestion collective"), les règles prévues par la loi s'appliquent.
Ainsi l'accord de tous les héritiers n'est désormais exigé que pour les actes importants : la vente d'un bien immobilier, la donation ou encore la prise d'hypothèque.
Les décisions concernant la gestion courante de l'indivision peuvent être prises par les héritiers représentant la majorité des 2/3 des droits (et non des membres de l'indivision -voir exemples ci-dessous).
Celui qui n'a pas participé à la prise de décision doit en être informé. Faute de quoi, celle-ci ne lui est pas opposable.
Il pourra, par exemple, refuser de participer au financement de travaux réalisés dans la maison de famille.
• Privilégiez la lettre recommandée avec AR
Pour donner l'information, la loi n'impose aucune forme particulière.
Mais, pour des raisons de preuves, privilégiez la lettre recommandée avec AR, bien que la précaution puisse paraître superfétatoire dans les familles où la bonne entente règne. Il est enfin des actes dits "conservatoires", que chaque héritier peut faire seul, sans autorisation explicite des autres indivisaires.
Il s'agit des décisions que l'on doit prendre pour éviter une perte financière (action contre un locataire mauvais payeur, par exemple), la disparition d'un bien ou la diminution de sa valeur.
Avant la réforme, l'héritier ne pouvait prendre une telle décision qu'en cas d'urgence, justification qui n'est aujourd'hui plus exigée.
Pour autant, l'acte doit avoir une portée raisonnable, notamment un coût en rapport avec la valeur du bien concerné et ne pas remettre en cause les droits de chacun des héritiers.
• Exemples de calcul de la majorité des 2/3
Au décès d'Albert, ses trois enfants, Pierre, Paul et Jacques, héritent de la totalité de ses biens. Aucun d'eux n'a été favorisé, ils ont des droits égaux. Deux enfants représentent alors la majorité des 2/3.
Paula a deux filles, Edwige et Lucie. Si elle ne prend aucune disposition particulière, à son décès, elles hériteront chacune de la moitié de sa succession. Pour toutes les décisions, sauf les actes conservatoires, elles devront se mettre d'accord. En revanche, si Paula, par testament, favorise Edwige de telle sorte que celle-ci reçoive les 2/3 de la succession et Lucie 1/3, Edwige pourra prendre seule les décisions relatives à la gestion courante.
2) Qui peut décider de faire des réparations ?
"La maison de famille que nous possédons en indivision mériterait des réparations. Puis-je décider seule de les faire réaliser ou dois-je obtenir l'autorisation des autres héritiers ?"
• Tout dépend de la nature des travaux
Si les travaux sont nécessaires à la préservation du bien, vous pouvez agir seule.
Il en sera ainsi de la réparation du toit qui laisse filtrer la pluie, à condition que le montant des travaux soit raisonnable.
Pour leur financement, vous pouvez, au choix, employer l'argent de l'indivision que vous détenez (loyers encaissés, revenus de placements…), exiger la participation des autres héritiers, ou encore avancer la somme en cause puis vous faire rembourser.
S'il s'agit de travaux d'entretien ou d'amélioration, la décision doit être prise à la majorité des 2/3 (voir "Qui doit prendre les décisions ?").
3) Organisation et gestion collective de l’indivision
"Nous avons choisi de garder ensemble la maison de nos grands-parents et un studio à la montagne. Est-il possible d'organiser cette indivision entre nous ?"
• L'indivision conventionnelle
Vous pouvez organiser, dans une convention, la gestion de l'indivision comme bon vous semble, à condition d'être tous d'accord.
On parle alors d'indivision conventionnelle. La convention doit être écrite, désigner les biens de l'indivision et indiquer la quote-part de chaque héritier.
Comme elle concerne des biens immobiliers, elle doit être rédigée devant notaire.
Les héritiers ont une grande liberté pour en déterminer le contenu, sachant que tous les points qu'elle ne réglera pas seront régis par les dispositions prévues par la loi (voir "Qui doit prendre les décisions ?").
Cette convention peut viser toute la succession ou certains biens seulement et vous permettre, entre autres, de désigner un gérant de l'indivision (voir "Faire d'un héritier un responsable de gestion des biens").
Elle peut être établie pour une durée indéterminée ou déterminée de, au maximum, 5 ans renouvelables (voir "Peut-on éviter qu'un héritier demande le partage ?").
4) Faire d'un héritier un responsable de gestion des biens
"Nous désirerions charger l'un de nous de la gestion des biens de la succession en attendant le partage. Est-ce possible ?"
• Un mandat tacite
Un héritier peut de fait prendre en main la gestion des biens, sans qu'aucun co-indivisaire ne s'y oppose.
Grâce à ce mandat, dit tacite, l'héritier gérant peut réaliser les actes d'administration courante mais ne peut ni conclure un bail ou le renouveler, ni vendre ou donner un bien.
Le mandat cessera automatiquement si un membre de l'indivision manifeste son désaccord.
• Un mandat d'administration générale
Autre possibilité : désigner celui qui se chargera de la gestion courante des biens (y compris de la conclusion et du renouvellement d'un bail d'habitation).
Il peut s'agir de l'un d'entre vous ou d'une tout autre personne (un administrateur de biens…).
Cette désignation doit être prise à la majorité des deux tiers (voir "Qui doit prendre les décisions ?").
Le mieux est d'établir par écrit un mandat, dit d'administration générale, et d'y détailler les pouvoirs confiés.
Attention, le mandataire doit être désigné à l'unanimité lorsqu'on lui confie un acte qui sort de la gestion courante et qui exige l'accord de tous les héritiers (pour vendre un bien immobilier, en particulier) !
Pour faire face aux dépenses, il pourra utiliser les fonds de l'indivision (par exemple des loyers ou des revenus de placements).
S'ils sont insuffisants, les héritiers devront personnellement couvrir l'ensemble des frais.
• Une convention d'indivision
Plus sophistiqué, vous pouvez signer à l'unanimité une convention d'indivision (voir "Organisation et gestion collective") et y prévoir la désignation d'un gérant chargé de gérer les biens de l'indivision : veiller à leur bon entretien, encaisser des loyers, payer les factures, conclure un bail d'habitation…
Il peut représenter les co-indivisaires en justice mais en aucun cas réaliser, de sa seule initiative, un acte pour lequel l'accord de tous les héritiers est nécessaire, comme vendre un logement.
5) Responsable d'un bien en location, ça engage à quoi ?
"Mes frères et sœurs m'ont chargé de la gestion des biens en indivision, notamment d'un appartement en location. À quoi cela m'engage-t-il ?"
• Un devoir de justification
Vous devez être en mesure de justifier des revenus perçus et des dépenses engagées et répondre des fautes de gestion que vous pouvez commettre.
Un héritier qui subirait un préjudice imputable à une telle faute pourrait vous demander une indemnisation, si besoin, en justice.
Il en sera de même si vous n'accomplissez pas les actes pour lesquels vous avez reçu le mandat.
• L'obligation de rendre des comptes
Si l'exercice de votre activité constitue un travail présentant une certaine continuité, vous avez droit à une rémunération qui peut être fixée à l'amiable entre les co-indivisaires ou, à défaut, en justice.
Sachez que la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu'à celui qui reçoit un salaire.
À noter : celui nommé gérant de l'indivision par convention a l'obligation, en outre, de rendre des comptes de sa gestion au moins une fois par an.
Par écrit, il indique aux co- indivisaires les bénéfices réalisés ainsi que les pertes subies ou prévisibles.
Chaque héritier peut exiger, par ailleurs, que lui soient fournis les documents relatifs à la gestion.